Le président de l'Instance électorale (Isie) en Tunisie a dénoncé mardi le blocage "inadmissible" de la "marche vers la démocratie" dans ce pays, fustigeant notamment le retard dans la tenue des premières élections locales de l'après-révolution. Considérée comme l'unique rescapée du Printemps arabe, "la Tunisie s'est démarquée (...) par sa réussite partielle de la transition et il est inadmissible de tronquer cette marche vers la démocratie", a dit Chafik Sarsar dans un entretien au quotidien La Presse. "Tout est bloqué. (...) Nous avons loupé un rendez-vous avec l'histoire", a-t-il ajouté, en référence notamment aux difficultés dans la mise en place effective de deux nouvelles institutions, la Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Mais le président de l'Isie s'est également montré très critique face au retard pris par le Parlement dans l'adoption de la loi électorale, un préalable à la tenue des premiers scrutins municipaux et régionaux depuis la révolution de 2011. "Ce sont les intérêts partisans tout simplement qui font que nous avons ce retard", a-t-il déploré. Interrogé sur le sujet, le président du groupe de réflexion Joussour, Khayam Turki a expliqué cet immobilisme par le fort enjeu des scrutins. "Avec les municipales, ce sont 8.700 élus, un véritable maillage démocratique", et il y a l'idée (parmi des formations) que si le parti d'en face gagne, on est fichus", a-t-il affirmé, qualifiant leur report incessant de "grande fragilité démocratique actuelle du pays". Plus de six ans après la chute de la dictature de Zine el Abidine Ben Ali, ces élections sont attendues "avec impatience" par les citoyens, a de son côté déclaré à La Presse Chafik Sarsar. Tout en exhortant à "être optimiste mais très actif", il a rappelé que son instance avait besoin de "huit mois à partir de la publication de la loi" pour organiser de tels scrutins. S'ils n'interviennent qu'en 2018, ils seront immédiatement suivis en 2019 par la présidentielle et un tel "rapprochement n'est pas conseillé", a-t-il encore plaidé. Parallèlement, le Parlement tunisien devait procéder mardi au renouvellement du tiers des membres de l'Instance électorale. La séance plénière a toutefois dû être ajournée, faute de quorum: seuls 116 députés étaient présents sur les 160 requis, a rapporté Al Bawsala, une ONG qui supervise le travail législatif depuis la révolution. La transition démocratique en Tunisie a été saluée comme une réussite après l'adoption en 2014 d'une nouvelle Constitution et la tenue d'élections législatives et présidentielle libres. Les municipalités, en revanche, sont toujours gérées par de simples "délégations spéciales", en charge des affaires courantes, ce qui impacte la vie quotidienne des Tunisiens (infrastructures défaillantes, ramassage déficient des ordures etc...). Ces désagréments s'ajoutent à la morosité économique, marquée par une croissance faible et la persistance d'un chômage massif, surtout chez les jeunes. Mardi, des incidents ont éclaté à Sidi Bouzid, berceau de la révolution, après que des diplômés au chômage eurent pénétré de force dans les locaux du gouvernorat. Venus de Meknassi, à une cinquantaine de kilomètres, ils ont réclamé la concrétisation de promesses d'embauches. Appel au calme Le gouverneur de la région, Mourad Mahjoubi, affirme, dans une déclaration de presse, que les autorités sont disposées à dialoguer avec les protestataires et à trouver des solutions aux problèmes de l'emploi, de l'activation du projet de mine de phosphate et des travailleurs de chantier. Rappelons que des protestataires ont été arrêtés puis relâchés, dans la journée. L'arrestation d'un groupe de jeune (7 manifestants), explique le gouverneur, était à titre provisoire afin de protéger le siège de la délégation contre les agressions. Les protestations qui se poursuivent depuis plus de deux semaines à Méknessi ont connu une escalade, mardi, lorsque des manifestants ont envahi le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid, défonçant la porte principale, avant d'être délogés de force par la police. Auparavant, les jeunes venus de la délégation de Meknessi se sont rassemblés devant le siège du gouvernorat, revendiquant leurs droits au développement et à l'emploi, outre la démission du gouverneur. Les forces de l'ordre ont fait évacuer de force les manifestants causant de légères blessures à quelques-uns. Le calme était revenu à la mi-journée, mais un appel à une grève générale jeudi à Meknassi a été lancé. Des représentants de la société civile et des syndicalistes présents sur les lieux ont vivement condamné "l'intervention policière musclée". L'Union Locale du Travail avait, depuis une dizaine de jours, appelé à la désobéissance civile dans la délégation jusqu'à la réalisation des revendications de la population locale se rapportant, essentiellement, à l'emploi et au développement. Il y a tout juste un an, la Tunisie a connu sa plus importante contestation sociale après la mort d'un jeune lors d'une manifestation pour l'emploi à Kasserine, qui se trouve -comme Sidi Bouzid- dans le centre défavorisé du pays.