Le socialiste Lenin Moreno a remporté l'élection présidentielle de dimanche en Equateur, qui met ainsi fin à l'ère de Rafael Correa, selon des résultats quasi définitifs du second tour dénoncés toutefois par son adversaire, l'ex-banquier de droite Guillermo Lasso. "Nous voulons un gouvernement qui commence par un appel à tous, pour un dialogue fraternel. La main est tendue à qui veut la saisir", a déclaré Lenin Moreno, qui succèdera le 24 mai à son charismatique mais polémique mentor, au pouvoir depuis dix ans. Jugé affable et plus conciliant, le candidat d'Alliance Pais (AP, Patria Altiva i Soberana: Patrie altière et souveraine - l'acronyme jouant sur le mot "pays" en espagnol), l'a emporté avec 51,14% des voix. Cet homme de 64 ans, paraplégique depuis une agression à main armée en 1998, va ainsi devenir le premier président équatorien à se déplacer en fauteuil roulant. Le candidat de la droite Guillermo Lasso, 61 ans, du mouvement Créant des opportunités (Creo, "Je crée/Je crois"), a obtenu 48,86%, selon ces résultats portant sur 98,02% des suffrages et diffusés par le Conseil national électoral (CNE). Objectif d'installer un gouvernement illégitime L'ex-banquier, qui s'était auparavant déclaré vainqueur à partir de sondages de sortie des urnes, a prévenu qu'il présenterait "le plus rapidement possible toutes les objections" contre d'éventuelles irrégularités du scrutin. "Nous allons défendre la volonté du peuple équatorien face à des présomptions d'une fraude qui a pour objectif d'installer un gouvernement qui serait, dès à présent, illégitime", a-t-il lancé à Guayaquil, sa ville natale et capitale économique du pays (ouest). Dans une ambiance tendue, émaillée de brèves escarmouches, des centaines de partisans des deux bords s'étaient rassemblés près du CNE à Quito, réclamant des résultats rapides. Ils se sont dispersés au bout de quelques heures. Les abords du bâtiment avaient été barrés par la police pour prévenir d'éventuels incidents, suite à la forte mobilisation de l'opposition à l'issue du premier tour le 19 février. La victoire de Lenin Moreno, qui devrait maintenir le cap du "Socialisme du XXIe siècle" impulsé par Rafael Correa, renforce une gauche latino-américaine mise à mal après les virages à droite de l'Argentine, du Brésil et du Pérou. Le président socialiste vénézuélien Nicolas Maduro a été le premier dirigeant étranger à féliciter M. Moreno pour "le triomphe de la révolution citoyenne". La victoire de M. Moreno est aussi un soulagement pour Julian Assange, auquel M. Lasso entendait, dans le mois suivant sa prise de fonction, retirer l'asile dont bénéficie le fondateur de WikiLeaks, réfugié à l'ambassade équatorienne de Londres depuis juin 2012. "J'invite cordialement M. Lasso à se retirer de l'Equateur dans les 30 prochains jours (avec ou sans ses millions offshore) " (#AssangeOUILassoNON), a tweeté en espagnol Julian Assange, sous le coup d'un mandat d'arrêt européen pour un viol en Suède qu'il nie. L'Australien craint en outre d'être extradé aux Etats-Unis où il risque de lourdes peines pour la publication de documents confidentiels militaires et diplomatiques, notamment sur les guerres en Irak et en Afghanistan. Ce scrutin était inédit depuis la première élection en 2006 de Raphael Correa, 53 ans, réélu deux fois dès le premier tour. Le futur président, dont le parti a obtenu la majorité absolue à l'Assemblée aux législatives du 19 février, va se retrouver à la tête d'un pays pétrolier en crise économique et endetté, suite à la chute des cours du brut, et politiquement divisé.
Deux défis à confronter "Moreno sera confronté à deux défis (...): un fort discrédit (du corréisme) et une situation économique de vaches maigres", a déclaré le politologue Esteban Nicholls, de l'Université andine d'Equateur. L'économiste Rafael Correa - qui prévoit d'aller vivre et enseigner en Belgique, pays de son épouse - a mis à profit la manne pétrolière pour moderniser l'Equateur et réduire les inégalités sociales. Mais il lui est reproché de l'avoir gaspillée et de s'être trop souvent confronté aux milieux d'affaires, aux médias et aux multinationales, outre des accusations de corruption qui ont éclaboussé son gouvernement. Après l'annonce des résultats, il s'est uni à la fête des sympathisants d'AP, montant même sur scène pour entonner le chant révolutionnaire "Venceremos", le poing levé. "Le pays reste dans de bonnes mains", a-t-il lancé, tandis que Lenin Moreno brandissait une pancarte "Correa tu vas nous manquer", avant de pousser aussi la chansonnette.