Les professionnels français et étrangers de l'élevage se retrouvent de mardi à vendredi au 31e Salon international des productions animales (Space) de Rennes, placé sous le signe de la robotique, dans un contexte plus apaisé, malgré la volatilité des prix à la production. Pour ses 30 ans, le deuxième salon professionnel mondial de l'élevage en fréquentation et variété des filières (bovine, avicole, porcine, cunicole, ovine et caprine) s'attend à dépasser de nouveau la barre des 100.000 visiteurs, dont 15.000 étrangers, pour 1.441 exposants, dont un tiers d'internationaux, Allemagne, Pays-Bas et Italie en tête. Dans un contexte général marqué par le rééquilibrage des prix du lait et du porc, mais aussi par le scandale des œufs au Fipronil, les épisodes de grippe aviaire ou les accusations répétées d'associations de défense du bien-être animal, le Space fait figure de temps de respiration et de réflexion pour la profession. Considéré comme une vitrine des dernières innovations en matière d'élevage, le salon accorde cette année une large place à la robotique, qu'il souhaite "démystifier", sur un stand baptisé "L'espace pour demain". "La robotique permet de réduire la pénibilité des tâches et l'idée est de donner des pistes de réflexion aux éleveurs", explique Anne-Marie Quéméner, commissaire générale du Space. Des robots les plus connus comme les robots de traite, à ceux qui distribuent les aliments, lavent les porcheries, aèrent les litières des poules, voire bénéficient d'une intelligence artificielle, telle cette "simplificatrice en génomique" qui aide l'éleveur à choisir des taureaux pour sa vache, aucune filière n'est oubliée. Comme chaque année, une palette d'inventions ont également été sélectionnées par un jury indépendant de l'organisation du salon, 47 au total. Parmi elles, un appareil mesurant la couleur des jaunes d'oeuf, un kit de pesée des lapereaux en engraissement ou une application signalant la présence de tracteurs sur la route pour éviter les accidents.
'Acheter notre génétique' Fidèle à sa mission de promotion de l'élevage français auprès de visiteurs étrangers, le Space attirera encore cette année d'importantes délégations venues d'Iran et d'Afrique de l'Ouest, ainsi que de Russie et d'Egypte, avec des visiteurs en quête de partenariats ou de technologies pour développer les productions animales dans leur pays. Si cette 31e édition fera venir moins d'hommes et de femmes politiques français que l'an dernier, en pleine campagne présidentielle, avec la seule visite du ministre de l'Agriculture Stéphane Travert prévue mardi pour l'inauguration, ce n'est pas le cas côté étranger avec la venue du ministre du Commerce irlandais, de l'ambassadeur des Pays-Bas ou encore du consul des Etats-Unis. Grands moments de spectacle et temps fort du salon consacré à la génétique, les concours d'animaux et le traditionnel défilé sur un "ring" végétalisé de 750 animaux en présentation. Quelque 550 bovins issus de 13 races différentes, ainsi que 200 ovins et caprins de 10 races seront ainsi présentés à un public de passionnés. Un concours européen, deux concours nationaux, 11 concours inter-régionaux ainsi que des présentations génétiques sont au programme pendant 4 jours. En viande bovine, la Simmental à la robe pie rouge, très répandue en Allemagne et en Autriche, sera à l'honneur pour le concours européen, tandis que la blanche Charolaise réunira pour son concours national les 80 meilleurs animaux de la race. La vente "Genomic", la seule en Europe à rassembler huit races laitières et allaitantes avec 35 animaux sélectionnés aura lieu quant à elle mercredi après-midi. "L'objectif est de faire en sorte que les étrangers viennent acheter notre génétique", souligne Jean-Yves Rissel, responsable des présentations animales. Incontournable lieu de débats, le Space a programmé quelque 70 conférences et rencontres sur des thèmes aussi variés que "l'élevage sous le feu des critiques", "les impacts de l'élevage de ruminants sur l'environnement" ou "les problématiques communes aux jeunes agriculteurs bretons, malgaches et maliens". En plein démarrage des Etats généraux de l'alimentation, le Space consacrera enfin la soirée de jeudi au "manger français".
La ferme robotisée, un gain de temps et d'argent Un robot distribue la nourriture aux vaches, un autre change la paille et deux robots s'occupent de la traite: Antoine Boixière, 27 ans, adore les robots qui le soulagent au quotidien sur l'exploitation laitière de 140 hectares des Côtes-d'Armor qu'il partage depuis six ans avec son père. "J'aime bien tout ce qui est automatisation", explique le jeune homme aux allures d'étudiant dans l'allée centrale du grand hangar impeccable où sont répartis vaches et veaux, à Pleudihen-sur-Rance. Depuis son installation en Gaec (Groupement agricole d'exploitation en commun) en 2011 dans cette exploitation de 120 vaches laitières, la ferme, au fonctionnement classique jusqu'alors, a fait l'acquisition de quatre robots. "Il y a cinq ans, la question s'est posée: embaucher deux salariés ou acheter un robot de traite, le coût étant quasiment identique. On a choisi le robot", poursuit Antoine Boixière pour lequel, globalement, les investissements de sa ferme robotisée ne sont pas plus lourds que ceux d'une exploitation conventionnelle. Le jeune homme énumère les raisons de ce choix: "le robot travaille sept jours sur sept, ne prend pas de vacances, n'est jamais malade. Au bout de sept ans, il est amorti, alors que le salarié, il faut continuer à le payer la 8ème année..." Et surtout, le robot apporte un plus par rapport au salarié, considère l'éleveur. Si elle est traite trois fois par jour, la vache, dotée d'un boitier connecté au niveau du collier, passe en moyenne cinq fois dans le robot. A chaque passage, "le robot nous donne des informations. Si une vache est patraque, il nous le dit (...) Du coup, il y a beaucoup de problèmes qu'on sait mieux prévenir. On traite beaucoup plus en préventif, avec des huiles essentielles, au lieu de faire du curatif. Huit fois sur dix, on n'a pas besoin d'avoir recours aux antibiotiques".
"Sportives de haut niveau" Aux yeux du jeune éleveur, pour ces vaches qui ne sortent jamais de l'étable, l'automatisation améliore aussi la performance et le bien-être. Le robot permet "une alimentation en continu", contrairement à une ferme classique où l'agriculteur vient nourrir ses vaches. "Ça fait qu'il n'y a pas de compétition à l'auge et donc, pas de stress" pour les animaux qui ont accès en permanence à la nourriture. De plus, "on lui dit (au robot d'alimentation, ndlr): +telle ration pour tel lot, à tel endroit+" et le robot prépare "à 100g près" l'assemblage de fourrages et de minéraux requis -provenant pour une large part des cultures de l'exploitation- puis va le déposer devant l'animal. "C'est beaucoup plus précis que l'humain". Robot de traite et robot d'alimentation "se transmettent les données" et "nous ressortent l'efficacité alimentaire et économique" de la vache. "Tous les jours, on peut savoir ce qu'on a gagné...." Quant au robot pailleur, il renouvelle régulièrement la paille sous les vaches pour leur plus grand confort, tout en libérant l'éleveur d'une tâche peu gratifiante. "Il y a beaucoup moins de poussière. Ce sont de bien meilleures conditions pour nous comme pour les animaux." Car le confort de l'animal est une préoccupation constante. "Elles font ce qu'elles veulent quand elles en ont envie." Elles disposent même d'un appareil brosseur: la machine "brosse l'endroit où la vache a envie d'être brossée". "On fait tout ce qu'il faut pour qu'elles soient au top. Ce sont des sportives de haut niveau." Et les vaches le lui rendent bien. "Grâce au robot de traite, on a 10% de production en plus", constate Antoine Boixière. Soit 12.000 litres en moyenne par vache et par an -1,4 million au total/an- quand la production moyenne de la race la plus productive se situe environ à 9.350 l/vache/an. L'automatisation, "ça nous fait gagner beaucoup de temps et ça nous apporte aussi de la souplesse dans le travail". Les journées sont moins longues, un weekend sur deux est libre et quelques courtes semaines de vacances sont même au programme.
Une ferme du "big data" L'élevage de demain sera-t-il piloté par des modèles mathématiques, avec des vaches nourries au gramme près, soignées avant même de tomber malades et des éleveurs biberonnés aux nouvelles technologies, enchantés de pouvoir s'affranchir grâce à elles des tâches les plus ingrates? C'est du moins le projet de "ferme du futur", en réalité un réseau d'"e-éleveurs", fermiers interconnectés, que nourrit l'entreprise Neovia, filiale du géant coopératif InVivo. L'entreprise de Saint-Nolff (Morbihan), spécialisée dans la nutrition et la santé animale et qui expose au 31ème salon international de l'élevage (SPACE) qui ouvre mardi, s'est lancée il y a un an dans un ambitieux projet de ferme expérimentale, programmée pour 2020. Imaginée comme une "vitrine des technologies les plus innovantes dans l'élevage", selon son P-DG Hubert de Roquefeuil, elle aspire ni plus ni moins qu'à améliorer le bien-être de l'éleveur, le confort de l'animal et la productivité de la ferme, tout en réduisant son impact environnemental. "Au 19e siècle, la France était positiviste et croyait dans la technologie. Aujourd'hui, on associe la technologie au risque. Or la technologie est sans doute une partie de la solution à la crise de l'élevage", explique le patron. Point de départ du projet? La collecte et l'agrégation des milliers de données disponibles en temps réel sur les porcs, volailles et ruminants grâce aux capteurs, colliers, caméras ou drones prévus pour étudier leurs comportements. Le croisement de ces données et leur modélisation détermineront ensuite les conduites à tenir. Un "pilotage fin et prédictif" des élevages, selon Neovia, qui envisage de commercialiser ces nouveaux services. Pour l'agronome Marc Dufumier, les modèles mathématiques ne font cependant pas tout. "On l'a vu avec la vache folle, quand on avait découvert que les farines animales faisaient mieux l'affaire que certains acides aminés du soja", prévient-il.
La ferme, gisement de données Henri Isaac, président du think-tank "Renaissance numérique" qui a rédigé un rapport sur "les défis de l'agriculture connectée", salue lui une "agriculture de précision, indissociable de l'enjeu écologique". "Agréger des données permet de limiter les intrants, les pesticides, de ne donner à l'animal que ce dont il a besoin pour éviter le gaspillage ou de détecter les signes annonciateurs de maladie afin de réduire les antibiotiques", précise-t-il. Un œil qui coule, signe avant-coureur de fièvre? L'information sera aussitôt télétransmise à l'éleveur sans qu'il n'ait besoin de scruter toutes ses bêtes. Une fois analysés, les paramètres météo peuvent aussi alerter sur des risques de crise sanitaire. La "ferme du futur", une mine de données qui ne demandent qu'à être exploitées? Dans un secteur fortement soumis aux aléas climatiques, l'idée semble séduisante. "Nous avons des capacités d'anticipation beaucoup plus élevées qu'avant à des coûts bien plus réduits, mais encore faut-il pouvoir interpréter les données", nuance Henri Isaac. De fait, l'abondance de données ne met pas toujours "à l'abri des erreurs d'interprétation", estime Annick Audiot, chercheuse à l'Inra. Pour attirer les bonnes idées, Neovia a lancé en mai un "appel à solutions". Bâtiments ergonomiques connectés, robots, mais aussi tests de régimes nutritionnels pour animaux... Au total, le projet mobilisera plusieurs millions d'euros. Une ferme sera construite dans le Morbihan et fonctionnera en réseau avec les 11 autres du groupe dans le monde. "On aimerait construire un bâtiment avec des architectes, des gens qui font de la robotique", explique M. de Roquefeuil. L'idée étant aussi de soulager l'éleveur des tâches les plus harassantes pour "qu'il retrouve du plaisir à travailler". A la clé, des "e-éleveurs" en partie postés derrière des écrans. Un bouleversement des pratiques qui, par-delà l'aspect financier, n'est pas totalement anodin, selon Annick Audiot, pour qui la relation homme-animal reste "fondatrice du métier d'éleveur". "Si capteurs et algorithmes représentent une aide au diagnostic (...) il y a fort à parier qu'elles ne pourront complètement remplacer le travail humain", estime-t-elle. L'agronome Marc Dufumier s'interroge lui sur la finalité des innovations, le plus important étant, de son point de vue, "de promouvoir celles qui garantissent une alimentation saine et évitent les perturbateurs endocriniens".