Depuis trente-sept ans qu'il dirige le Zimbabwe, Robert Mugabe semblait insubmersible. Son règne s'est lézardé en quelques jours et paraissait lundi, malgré sa résistance, proche de la fin, après une succession de convulsions inédites dans l'histoire du pays. Retour en six épisodes sur deux semaines folles qui ont mis à genoux le dernier régime issu de la lutte anticoloniale.
Coup de balai Le 6 novembre, le ministre de l'Information Simon Khaya Moyo annonce que le chef de l'Etat a limogé son vice-président Emmerson Mnangagwa, accusé de manquer de "loyauté". A Harare, la nouvelle ne surprend personne. Depuis des semaines, la Première dame Grace Mugabe s'est lancée dans une violente campagne de dénigrement contre M. Mnangagwa, qui lui barre la route de la succession de son mari. A peine évincé, celui que l'on appelle le "crocodile" annonce son exil. Mais il défie le couple présidentiel et jure de revenir au pays pour prendre la tête du parti au pouvoir, la Zanu-PF. La capitale bruisse déjà de rumeurs faisant de la deuxième épouse du chef de l'Etat la nouvelle vice-présidente. La voie semble dégagée pour que, le moment venu, elle succède à son mari.
Casus belli Dans les rangs de l'armée, le dernier caprice du couple Mugabe passe très mal. Pour son chef d'état-major, le général Constantino Chiwenga, c'est même la foucade de trop. Hors de question, juge-t-il, que l'incontrôlable Grace grille la politesse à "son" candidat Emmerson Mnangawa, héros de la guerre de libération et incontournable de la galaxie sécuritaire. "La purge actuelle qui vise clairement les membres du parti engagés dans la guerre d'indépendance doit cesser immédiatement", tonne le général Chiwenga, en treillis et en colère, lors d'une intervention inédite devant la presse le 13 novembre. "L'armée n'hésitera pas à intervenir", menace-t-il.
Coup de force Et pour la première fois depuis l'indépendance du pays en 1980, l'armée franchit le Rubicon dans la nuit du 14 au 15 novembre. Ses blindés prennent position à Harare. L'opération se déroule en douceur, officiellement sans faire de victimes. Seuls quelques coups de feu sont tirés autour du "Toit bleu", la propriété du chef de l'Etat, aussitôt placé en résidence surveillée avec sa famille. Un porte-parole de l'état-major s'invite à l'aube à la télévision nationale pour assurer qu'il ne s'agit pas là d'un coup d'Etat mais juste d'une opération contre les "criminels" de l'entourage du président, en l'occurrence les partisans de Grace Mugabe. A l'aube, la capitale se réveille interloquée mais reste calme, comme soulagée d'entrevoir la fin du règne de son président.
"Bob" résiste Mais le vieil homme, déterminé et retors, n'est pas décidé à capituler en rase campagne. Le 16 novembre, il rencontre pour la première fois les généraux qui le poussent vers la sortie et refuse sèchement de leur remettre sa démission. Le lendemain, il s'offre même sa première sortie publique depuis l'intervention des militaires. Revêtu d'une toge bleue et d'une coiffe assortie, il préside une cérémonie de remise de diplôme d'une université d'Harare. Avant de s'endormir dans son grand fauteuil de bois...
Seul Malgré son obstination, les soutiens du président le lâchent un à un. Ses anciens "camarades" de la guerre d'indépendance sont les premiers à lui tourner le dos. "La partie est finie", lance leur chef, Christopher Mutsvangwa. Samedi 18, des dizaines de milliers de manifestants envahissent les rues des deux principales villes du pays, Harare et Bulawayo (sud-ouest), aux cris de "Bye bye Mugabe" ou "Au revoir grand-père". Scènes inimaginables il y a quelques semaines, la foule fraternise avec l'armée, l'instrument de répression favori du régime. Dimanche, la défaite de Robert Mugabe semble consommée. Réunie en urgence, la Zanu-PF lui retire son mandat de président du parti et exclut son épouse de ses rangs. Cette fois c'est sûr, pense-t-on à Harare, il doit confirmer qu'il jette le gant lors d'une allocution télévision prévue en soirée.
Bras d'honneur Encadré d'une brochette de militaires en tenue, Robert Mugabe lit de son anglais d'un autre siècle une longue déclaration dans laquelle il reconnaît le bien-fondé de certaines critiques, mais prêche l'unité et la réconciliation. Il s'emmêle dans son texte et finit sa prestation... sans annoncer qu'il se retire. Enième provocation, il assure même qu'il présidera le prochain congrès de la Zanu-PF ! Dans le pays, c'est la surprise et la déception. Le "roi" n'a pas encore abdiqué, mais il est désormais sous la menace d'une destitution. Ses jours sont plus que jamais comptés.