Pour lever le dernier obstacle à la diffusion de la voiture électrique, certains misent sur la charge rapide, d'autres sur la pile à combustible : 3 minutes pour retrouver 650 km d'autonomie, qui dit mieux ? Reste à trouver où faire le plein d'hydrogène. La voiture électrique à hydrogène de Honda ? Elle fonctionne. Parfaitement, même. Et ce, depuis fort longtemps. La dernière fois que nous avons pu le vérifier, c'était en 2009, au moment où le constructeur japonais jetait sur les routes allemandes deux exemplaires de sa FCX Clarity expérimentale. Objectif, compléter les observations des quatre-vingt-cinq pionniers californiens qui s'étaient portés volontaires pour goûter à la voiture du futur. Pourquoi si peu de clients-cobayes ? D'une part, parce que chaque exemplaire de la Honda FCX Clarity revenait à un prix proprement exorbitant, impossible à amortir. D'où le choix de louer durant quelques mois plutôt que de vendre la FCX Clarity, histoire de garder un contrôle total sur cette expérimentation géante menée en conditions réelles d'utilisation. "C'était aussi une manière d'empêcher nos concurrents de percer nos secrets en démontant la voiture pièce par pièce", concède Thomas Brachmann, Ingénieur en Chef du Projet. D'autre part, rares étaient les candidats pouvant se targuer de vivre à distance raisonnable d'une station délivrant du dihydrogène. La pile à combustible combine ce gaz à l'oxygène de l'air pour produire des électrons, de l'eau et de la chaleur. Un réservoir de dihydrogène liquéfié remplace ainsi la lourde batterie au lithium qui grève la plupart des voitures électriques.
700 km en 3 minutes : fini les longues heures de charge des batteries Voilà huit ans, on comptait six pompes de dihydrogène liquide ouvertes au public dans toute l'Europe de l'Ouest ; elles devraient être au nombre de deux cents d'ici la fin 2017. On est loin des milliers de bornes de charge rapide qui éclosent un peu partout pour encourager la diffusion de la propulsion électrique. Et c'est bien là que le bât blesse. En 2009 déjà, nous nous demandions s'il était bien raisonnable d'investir des centaines de millions d'euros dans le perfectionnement de la pile à combustible alors que les batteries emmagasinent toujours plus de courant pour moins cher. La courbe de leurs progrès ne fait qu'accélérer, de sorte qu'une Renault ZOE née en 2013 avec 240 km d'autonomie annonce aujourd'hui 400 km. D'ici cinq ans, elle pourrait atteindre les 500 km sans coûter radicalement plus cher, grâce à une nouvelle chimie de batterie lithium NMC (pour nickel-manganèse-cobalt). Et on annonce beaucoup mieux avec le graphène. Plus que l'autonomie, c'est donc la contrainte du temps de charge qui freine la diffusion de la voiture électrique à batterie. L'Américain Tesla montre la voie en finançant le déploiement d'un réseau de bornes de charge ultra rapides. Toutefois il rappelait ce mois-ci dans une note adressée à ses clients que les batteries ont une tolérance limitée à ce type de gavage sous très haute tension.
Les batteries n'ont pas dit leur dernier mot "Les batteries au lithium vont progresser : de nouvelles chimies les aideront probablement à mieux tolérer les charges rapides répétées", admet Thomas Brachmann. "Mais chez Honda, nous demandons à voir. Et en attendant, la pile à combustible a son mot à dire. Notre Clarity Fuel Cell parcourt 650 km sur le cycle NEDC et n'exige que 3 minutes pour faire le plein d'hydrogène. Par ailleurs, on sait stocker en grandes quantités l'hydrogène ; pas le courant électrique. L'électricité produite en pure perte par les éoliennes pourrait être emmagasinée sous forme d'hydrogène généré par l'électrolyse de l'eau. De quoi compenser la forte consommation de courant de ce procédé." On rétorquera à Thomas Brachmann qu'il reste à construire un réseau de distribution d'hydrogène. Argument qu'il balaie du revers de la main en rappelant que multiplier les bornes de charge rapide coûte très cher aussi, en raison de la forte section des câbles haute tension en cuivre. "Il est plus facile et moins coûteux de convoyer l'hydrogène liquéfié par camions depuis des citernes enterrées à proximité des lieux de production." Les dirigeants du Groupe Volkswagen misent eux aussi sur le développement d'une filière de production et de distribution d'un hydrogène renouvelable. Quant au coût de la pile elle-même - information hautement sensible s'il en est - Thomas Brachmann ne doute pas qu'il peut être sensiblement réduit à mesure que s'améliore le rendement. "Le platine est l'élément qui coûte le plus cher. Notre objectif est d'arriver à terme à une quantité de ce métal rare égale à celle que l'on trouve dans le pot catalytique de Monsieur Tout-le-Monde."
L'hydrogène n'est pas encore un vecteur d'électricité propre Pour l'heure malheureusement, la quasi-totalité de l'hydrogène est produit à partir de sources d'énergie fossiles. Voilà qui entame sérieusement le bilan CO2 de la voiture électrique à pile à combustible. D'autant que le dihydrogène (H2) n'est qu'un vecteur d'énergie - et non pas une source - dont une part non négligeable est consommée durant sa production, sa liquéfaction puis sa conversion en électricité. Les chiffres et les évaluations divergent selon les sources, mais il est généralement admis que le rendement du puits à la roue est de 45 % pour une pile à combustible alimentée en H2 produit par vaporeformage du gaz naturel ou valorisation du chlore, contre 25 % avec un H2 obtenu par électrolyse. Le bilan de la voiture à batterie est environ trois fois meilleur, malgré les pertes dues à l'échauffement dans les conducteurs. Le mois dernier, nous concluions notre premier essai de l'Opel Ampera-e (cliquez pour lire notre article : "Comment Opel éradique la peur de la panne sèche") en soulignant qu'aucune autre voiture électrique n'offre une autonomie aussi élevée (400 km NEDC) à un prix aussi mesuré. Même avec ses 650 km NEDC,la Honda Clarity Fuel Cell n'est pas celle qui lui ravira ce titre de gloire. Le constructeur japonais admet en effet que le prix de vente fixé au Japon n'a qu'un lointain rapport avec le coût réel de la voiture : à 57.000 euros pièce, Honda ne rentre pas dans ses frais. Pas davantage aux Etats-Unis, où la Honda Clarity Fuel Cell est offerte à la location sur 36 mois pour un loyer de 457 euros. A titre de comparaison, la Hyundai ix35 Fuel Cell confiée à quelques chauffeurs de taxi parisiens était facturée 66.000 euros, tandis que la Toyota Mirai s'affiche à 80.000 euros. Et en France ? Hélas, la voiture miracle ne foulera pas nos routes, hormis dans le cadre de démonstrations publiques. Les six exemplaires de la Honda Clarity Fuel Cell destinés à l'Europe ont été prêtés (pas même de loués) durant deux mois à des familles danoises et britanniques à compter du 1ermai 2017. Pourquoi ces pays ? Parce qu'on y trouve respectivement douze et six des cent quatre-vingt pompes d'hydrogène répertoriées à l'heure actuelle sur le Vieux Continent. Au retour des voitures en juillet, Honda décidera ou non de les louer pour une durée plus conséquente. Le Japonais participe avec cinq constructeurs (BMW, Daimler, Hyundai et Toyota) au projet HyFive qui ambitionne de mettre quelque 185 voitures à hydrogène sur les routes du Danemark, de la Suède de l'Autriche, de l'Allemagne, de l'Italie et du Royaume-Uni afin de promouvoir la pile à combustible et militer pour le déploiement d'un réseau de pompes d'hydrogène. C'était précisément la vocation de la Honda FCX Clarity en 2008 qui rêvait d'approcher d'un prix de vente raisonnable sous dix ans.
Pile miniaturisée mais performances améliorées Les ingénieurs Honda ont sensiblement réduit l'encombrement de leur pile à combustible. En réalité, il convient de parler d'unebatterie de piles à combustibles, puisqu'on en dénombre 358 qui travaillent de pair. Autrefois disposées en long, au centre du châssis de la FCX, ces piles tiennent dorénavant sous le capot avant, au-dessus du moteur électrique, de la transmission et de l'électronique qui gère le tout. De quoi libérer le plancher et de la place pour cinq passagers (un de plus que dans la FCX et que dans la Toyota Mirai), ainsi que pour 407 litres VDA de bagages. Le réservoir principal de 117 litres plaqué contre le dossier de la banquette interdit de le rabattre, tandis qu'un second, de 24 litres, se cache sous l'assise. Pourquoi deux bonbonnes ? "La forte pression de stockage sous 700 bars impose la forme cylindrique, plus difficile à caser que les petites cellules de la pile à combustible ou d'une batterie", rappelle T. Brachmann. Il souligne en revanche que tout le reste de la mécanique de la Clarity Fuel Cell "n'occupe pas davantage de place que notre moteur V6 essence, ce qui permet d'envisager de l'installer sous le capot d'autres modèles, en fonction de l'évolution de la demande."
La première pile à combustible à double suralimentation Malgré sa compacité, cette nouvelle pile à combustible convertit le dihydrogène en courant électrique plus vite et mieux que sa devancière. L'expérience acquise par la FCX Clarity a permis de remplacer la pompe à air d'autrefois par un véritablecompresseur électrique à double étage. Il gave en oxygène les éléments de la pile à un rythme qu'on pensait jusque-là incompatible avec leur longévité. L'excédent d'eau qui limitait autrefois le débit est mieux évacué. Résultat, la puissance par élément croît de moitié et le rendement atteint les 60 %. Pour autant, la pile de la Honda Clarity Fuel Cell est à peine plus puissante que sa devancière : 103 kW contre 100 kW. "Après avoir augmenté de moitié le rendement des piles, nous avons diminué de 30 % leur nombre pour rester aux alentours d'une puissance de 100 kW", explique T. Brachmann. "Nous estimons en effet qu'une berline de cette taille n'a pas besoin de davantage." Moins lourde d'une centaine de kilogrammes, l'Opel Ampera-e a pourtant droit à 150 kW (204 chevaux). Les accélérations de la Honda Clarity Fuel Cell n'ont pas le côté explosif de celles de l'Opel, mais elles n'en sont pas moins suffisantes. Avec 500 volts à disposition quasi constante (300 volts auparavant), le moteur de 130 kW (177 chevaux) et de 300 Nm répond sans délai et offre à la Honda Clarity Fuel Cell unevivacité égale à celle de sa devancière pourtant moins lourde de 200 kg. Ceci s'explique par la présence d'une batterie tampon au lithium-ion de 1,7 kWh - disposée sous les sièges avant - qui permet de délivrer un surcroît de courant lors des fortes accélérations. Elle est également chargée d'emmagasiner le courant issu de la récupération de l'énergie cinétique au freinage. De quoi contribuer à diminuer la consommation de dihydrogène et à étendre l'autonomie de la Honda Clarity Fuel Cell. Le constructeur annonce 650 km avec un plein de 5 kg de dihydrogène (à 700 bars), soit autant que sa rivale moins logeable, la Toyota Mirai.
Pourquoi 700 km aux USA et 650 km en Europe Honda annonce une autonomie optimale de 700 km aux USA, soit 50 km de plus qu'en Europe (chiffre NEDC, soit environ 460 km WLTP). Pourquoi cette différence pour une voiture pourtant identique de part et d'autre de l'Atlantique ? "Cela tient à un défaut de communication entre le véhicule et la station", résume T. Brachmann. "Aux USA, la pompe optimise le remplissage du réservoir en fonction de sa température. Ce capteur n'étant pas conforme à la réglementation européenne, la pompe n'est pas autorisée à tenir compte de ses messages : elle se contente par conséquent d'estimer la température. Conséquence, le taux de remplissage du réservoir n'est pas toujours optimal." Résultat, la masse de dihydrogène délivrée à chaque plein varie plus en Europe qu'aux USA. Raison suffisante pour inciter Honda à publier une valeur d'autonomie prudente, volontairement sous-évaluée. Au final et en l'espace de huit ans, la Honda à dihydrogène a beaucoup changé sans que rien ne change véritablement autour d'elle. Plus encore que sa devancière, cette voiture électrique démontre que la pile à combustible est au point. Il ne lui manque qu'un réseau de distribution de dihydrogène renouvelable, ainsi qu'un approvisionnement suffisant en réservoirs, véritable goulet d'étranglement à l'heure actuelle pour Honda et les quatre autres constructeurs investis dans la pile à combustible. Un sacré défi pour l'industrie et nos gouvernants. En attendant, bien malin celui qui saura dire qui, de la pile à combustible ou de la batterie l'emportera. On peut imaginer que cette dernière se cantonnera aux petits véhicules et aux trajets courts (recharge aisée durant la nuit), tandis que la pile à combustible remplacera le moteur thermique pour le transport des passagers et des marchandises au long cours. https://www.challenges.fr/automobile/essais/essai-honda-clarity-fuel-cell-electrique-a-pile-a-combustible-650-km-d-autonomie_472985 - comments.