Après quelques jours de manifestations en Iran, le bilan est de 21 morts. Si Donald Trump dénonce un régime brutal et corrompu, le Conseil de sécurité iranien affirme que ces mouvements sont influencés par les ennemis de l'Iran. Qui cherche à déstabiliser le pouvoir en place à Téhéran? De simples mécontents de la vie économique et sociale? Analyse. "On y trouve des chômeurs, des étudiants, des classes moyennes appauvries, des gens qui ont placé leurs économies dans des institutions de financements et qui ont été escroqués, on y trouve des travailleurs qui ne perçoivent pas leur salaire depuis un, deux, trois ou quatre mois." François Nicoullaud, ancien ambassadeur de la France à Téhéran, définit les personnes présentes dans les manifestations qui ont secoué les villes principales d'Iran depuis le 28 décembre. S'il considère, comme la plupart des observateurs, que cette opposition qui s'exprime dans la rue, réclame des changements dans la politique économique du pays, François Nicoullaud tente de distinguer deux groupes bien différents l'un de l'autre: "C'est encore difficilement discernable, mais ce sont des manifestations avec une participation composite. […] Le mécontentement est diffus et il touche toute une série de sujets: des sujets économiques en raison des difficultés économiques du pays mais aussi une insatisfaction politique à l'égard du régime." Contrairement à une vision trop simpliste décrivant ces manifestants en de simples citoyens qui désirent des réformes économiques et sociales, et à l'instar de l'ancien diplomate français, Milad Jokar, spécialiste de l'Iran et du Moyen-Orient, expose ces deux oppositions distinctes: "Il y a des gens qui souffrent vraiment et qui sont frustrés, qui utilisent une protestation violente pour exprimer leur colère parce qu'ils n'en peuvent plus. Et vient se greffer une demande d'une autre partie de la population pour avoir plus de libertés et exprimer le mécontentement économique et social." Milad Jokar dépeint les "premiers" manifestants comme les partisans de l'ancien candidat conservateur à la présidentielle de mai 2017 Ebrahim Raïssi: Ils viennent de Mashhad [2ème ville du pays, ndlr] qui est aussi le bastion de l'ancien concurrent à Hassan Rohani lors de la dernière élection présidentielle. Les manifestations ont commencé de là. Il y a pas mal de conservateurs et qui sont vraiment dans les couches les plus modestes de la population. Si les raisons premières de ces manifestations sont liées à la conjecture économique de la République islamique, le Président Rohani semble pris en étau par ces deux groupes de manifestants comme le résume Milad Jokar: "Le Président Rohani a une tâche très difficile et dans son intervention télévisée il a dû jouer un peu l'équilibriste entre les différents mécontentements en écoutant les frustrations liées à l'économie […], et des personnes qui sont déçu de sa politique, notamment certains conservateurs qui ne voulait jamais faire confiance aux US pour l'accord sur le nucléaire." Si nos deux experts interrogés sur le sujet considèrent que cette contestation est en réalité double, ils font tous les deux le même constat: ces mouvements de protestations ne sont ni organisés, ni dirigés par un quelconque leader. Mais si François Nicoullaud concède que cette absence de leadership est "un problème pour les manifestants", elle l'est aussi pour le pouvoir en place: "On est devant un mécontentement [pas une volonté de révolution, ndlr], mais c'est un mécontentement diffus et profond. Et précisément, les mécontentements, s'ils sont mal gérés, peuvent tourner en mouvement de type révolutionnaire." Et d'ajouter: "On va voir ce que fait le régime. Il est un peu désemparé je pense par le côté diffus: l'absence de leader, l'absence de mot d'ordre très clair, donc il a du mal à trouver la riposte à cela. Le mécontentement pourrait continuer à se diffuser, à grossir, c'est ce qu'on verra dans les jours qui viennent." Si l'ancien ambassadeur français à Téhéran envisage que ces mouvements de protestations peuvent maintenir leurs actions, le Président iranien a tenté de rassurer ces manifestants tout en condamnant la violence qui pourrait s'apparenter à des actes révolutionnaires. Hassan Rohani qui avait promis durant la dernière campagne présidentielle une amélioration de l'économie du pays, a en partie rempli son contrat (croissance en progression, inflation haute mais maîtrisée, etc.). Mais les décisions de Donald Trump au sujet de l'accord sur le nucléaire, contrarient le retour de l'Iran sur la scène internationale comme un pays économiquement attractif. De plus, les ennemis de Téhéran, surfe sur cette vague de protestations comme le souligne Milad Jokar: "On voit le Président Trump ou le Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou récupèrent ceci en essayant de s'aligner avec la protestation et la colère des iraniens. Alors qu'eux-mêmes, dans leur politique, participent aux difficultés économiques du pays." Outre les Etats-Unis et Israël, un troisième ennemi extérieur semble faire ingérence dans la situation actuelle que traverse l'Iran. En effet, alors que les manifestations ont "démarré sur des réseaux sociaux", comme le souligne François Nicoullaud, un grand nombre de tweets provient du Royaume Saoud selon le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale. De plus, pour l'ancien ambassadeur considère que cette méthode ne soutiendra pas les manifestants: "Les américains ont pris très vivement parti et cela n'aide pas les manifestants. S'ils veulent aider le mouvement actuel, ce n'est pas cela qu'il faut faire parce que cela donne une arme aux adversaires de ce mouvement: "Vous voyez bien. Ce mouvement est manipulé par Washington, ce sont des marionnettes de Washington." Si François Nicoullaud doute de l'aide de la politique américaine aux contestataires, il semble que cette stratégie favorise le chaos en Iran. Comme le souligne Milad Jokar: "Le Congrès américain a un budget pour une action qui vise à une certaine forme de changement de régime en Iran. Il y a des médias aussi qui utilisent ceci et qui expriment une colère. Il y a des chaînes iraniennes aux Etats-Unis ou la BBC en persan, qui sont très écouté en Iran, et qui peuvent aussi contribuer à une certaine galvanisation de la colère. A l'instar de Milad Jokar, qui reconnaît qu'"il y a une certaine ingérence", François Nicoullaud s'interroge sur la position que doit adopter l'exécutif français sur cette question iranienne et alors que le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian devait se rendre à Téhéran ce 5 janvier. Après un communiqué de presse du Quai d'Orsay, qui rappelait que "la France exprime sa préoccupation face au nombre important des victimes et des arrestations", Emmanuel Macron a repoussé la visite de son chef de la diplomatie et aurait appelé son homologue iranien "à la retenue et à l'apaisement" lors d'un échange téléphonique. De son côté, Hassan Rohani aurait demandé au Président français d'agir contre un "groupe terroriste" basé en France et acteur des manifestations qui secouent l'Iran. Mais quel que soit le choix de Paris dans cette affaire iranienne, François Nicoullaud rappelle que: "Il faut bien dire que le problème est iranien. Les gens qui protestent sont iraniens et la solution est iranienne. Donc il faut être très prudent."