Poussée des réformateurs, recul des conservateurs. Mais au lendemain d'une élection qui lui est favorable, Rohani doit gérer de nombreux dossiers très difficiles. Les élections qui se sont déroulées en Iran vendredi devaient renouveler à la fois le Majlis, le Parlement et l'Assemblée des experts, l'instance qui désignera le jour venu le successeur d'Ali Khamenei, le Guide suprême. Celui-ci, lors des élections, n'avait fait campagne que contre le risque de « l'infiltration de l'ennemi » américain. L'Assemblée des experts avait légalement le pouvoir de refuser les candidatures dans les deux chambres et elle ne s'en est pas privée invalidant 5.600 candidats, essentiellement des réformateurs, sur les 12.000 se présentant aux législatives et 640 sur les 800 candidats à l'Assemblée des experts, faisant ainsi place nette pour des votes favorables aux conservateurs. Malgré cette censure, la liste « Espoir », qui représentait le camp des modérés et des réformateurs mené par le président Rohani, a largement progressé dans ces deux chambres. D'après les informations données par le ministère de l'Intérieur, près de 60% des 55 millions d'électeurs iraniens ont participé au vote. Le décompte a été achevé, lundi soir, et la liste « Espoir, Sérénité, Prospérité économique » du bloc modéré-réformateur a démontré être, et de loin, la force montante du Parlement iranien. Les partisans de Rohani et les modernistes ont su faire alliance, et même avec des islamistes modérés. Sur les 290 sièges du Parlement, élu pour quatre ans, cette liste a obtenu 91 sièges. Force montante mais pas majoritaire car le camp des conservateurs ou des « fondamentalistes » conservent 96 sièges. Certes, un recul net puisqu'ils étaient jusque-là très majoritaires dans les deux chambres. 25 candidats « indépendants » ont également été élus et sont souvent pour l'instant inclassables. Enfin, 52 sièges sont en ballottage, aucun candidat n'ayant récolté suffisamment de voix pour être élu au premier tour. De nouvelles élections auront lieu dans quelques semaines. L'absence d'une majorité franche affaiblit bien sûr le camp Rohani, elle fait aussi courir le risque d'une guérilla parlementaire perpétuelle et des recompositions continues d'alliances fragiles. Cette élection confirme néanmoins le président Rohani et favorisera l'évolution vers une direction « centriste » de la vie politique iranienne. Celle-ci a été largement rendue possible par la politique habile, capable de compromis, pragmatique et parfois hardie de Hassan Rohani, notamment avec l'accord sur le nucléaire iranien. Lorsque celui-ci a été élu en juin 2013, après la présidence du très radical Mahmoud Ahmadinejad, il n'incarnait pas les aspirations des réformateurs mais après deux ans de mandat, les résultats tangibles de sa politique ont permis d'opérer un rapprochement entre réformateurs et modérés, jusques et y compris dans le camp islamiste. La situation économique s'est améliorée : « Lorsque Mahmoud Ahmadinejad a quitté la présidence, l'Iran connaissait un taux de croissance négatif de -6,8%. Sous le président Rohani, la croissance est revenue à -2,4%, avant même la levée des sanctions. On peut établir le même constat pour l'inflation : à la fin du mandat d'Ahmadinejad, il était de l'ordre de 45%, il s'est stabilisé aujourd'hui aux alentours de 12%. Indéniablement, c'est une meilleure gestion de l'économie qui a permis d'atteindre ces résultats », comme le note Milad Jokar, spécialiste de l'Iran. Les conservateurs en recul mais très présents Les conservateurs islamistes ont subi de réels échecs. A Téhéran, les réformateurs et modérés emportent la totalité des 30 sièges de représentation de la capitale iranienne, sièges qui étaient jusqu'alors détenus en grande partie par les conservateurs. Dans l'Assemblée des experts, qui a été bâtie pour constitutionnellement donner au camp religieux-conservateur, un droit supérieur sur le Parlement, deux figures religieuses emblématiques de ce courant, l'ayatollah Mohammad Yazdi, l'actuel chef de l'Assemblée des experts, et l'ayatollah Mohammad Taghi Mesbah Yazdi, ont été battus à l'élection de cette chambre. Dans le même suffrage, deux figures réformatrices, l'ancien président Rafsandjani et l'actuel président Rohani sont fait élire avec succès dans cette Assemblée des experts. Mais le camp conservateur est loin d'être battu et conserve une forte influence dans l'Iran rural alors que le bloc réformiste s'enracine plutôt dans les milieux urbains. Les islamistes iraniens peuvent également compter sur une implantation ancienne et sur le soutien d'une institution qui leur est proche, les Gardiens de la révolution, organisation paramilitaire qui dépend directement du Guide de la révolution, l'Imam Khamenei. « Il ne faut pas oublier que le pouvoir suprême appartient à l'Imam Khamenei et que plusieurs domaines sensibles -la sécurité intérieure, l'armée, la justice- relèvent directement de lui. Le Guide a, jusqu'à maintenant, fait confiance à Rohani, mais il doit tenir compte des préoccupations des autres acteurs de la vie politique iranienne, notamment les Gardiens de la révolution », explique Denis Bauchard de l'Ifri. Dans une Assemblée, sans majorité franche, et avec de nombreux problèmes à résoudre pour l'Iran, « le Guide pourrait être appelé à arbitrer entre les différents courants qui s'opposent. Il n'est pas sûr que le camp des réformateurs en sorte vainqueur, l'Imam Khamenei veillant à conserver un certain équilibre à l'intérieur d'un système de gouvernement qui demeure opaque », poursuit ce spécialiste de l'Iran. Les dossiers difficiles Quelles sont les dossiers épineux que devra affronter le président Rohani, fort d'une redistribution des cartes électorales qui lui est plus favorable qu'en son début de mandat ? Les attentes des électeurs se concentrent aujourd'hui sur la situation économique du pays. Elle s'améliore mais demeure fragile et l'effondrement des cours du pétrole ne va pas faciliter le pilotage gouvernemental. La fin des sanctions liées à l'accord passé avec les pays du P 5+1 (les 5 membres du Conseil de sécurité - Etats-Unis, Chine, France, Royaume-Uni, Russie + l'Allemagne), va cependant permettre à l'Iran d'exporter plus facilement et surtout de pouvoir accueillir des investissements étrangers. Le président Rohani veut mettre en place des réformes libérales en matière économique, cherche à favoriser l'environnement des affaires et faciliter l'investissement privé. L'importance des scores réalisés par les modérés dans les centres urbains a dû surprendre le camp conservateur. La catégorie des 30-45 ans, aujourd'hui démographiquement la plus nombreuse, est aussi celle qui semble nourrir le plus d'aspirations pour l'amélioration de sa condition socioéconomique. Et les solutions économiques très libérales proposées par l'exécutif iranien n'ont pas nécessairement de garanties de succès, tout au moins à court terme : un retournement de conjoncture accentuerait la coupure entre villes et campagnes, mais pourrait également dans les couches moyennes et notamment dans la jeunesse étudiante, faire beaucoup pâlir la cote de Rohani. Enfin, cet électorat urbain a également ses exigences qu'il s'agisse de l'émancipation des femmes, de l'insertion de la jeunesse ou de la liberté d'expression ou du pluralisme de l'information. L'élargissement des libertés publiques refusé sèchement par le camp conservateur et âprement réclamé par une grande partie de l'électorat iranien, échappe de fait au président Rohani. L'Imam Khamenei a toute autorité dans ce domaine mais conservateur âgé de 78 ans, en fin de parcours et soucieux de préserver l'équilibre entre toutes les composantes politiques iraniennes, restera sur ces questions d'une rare prudence. Les réformateurs souhaitent également la libération des dirigeants du « Mouvement vert » (manifestations massives en 2009 à la suite de la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad) toujours en résidence surveillée. Là encore, les conservateurs vont s'y opposer vivement. Toutes ces questions sensibles feront certainement l'objet de tensions avec le camp conservateur qui se sent aujourd'hui en situation de défense et de repli et certainement prêt à une contre-offensive. Forte rivalité entre l'Iran et l'Arabie saoudite Le second dossier, qui pourra peut-être faire l'objet de plus de consensus entre toutes les parties en Iran, est l'instabilité régionale. Sur fond de conflits religieux entre sunnites et chiites, il y a la réalité d'une opposition très vive entre deux puissances régionales, l'Arabie saoudite et l'Iran. L'affrontement a pris une forme armée à travers le conflit au Yémen, où des forces sunnites, aidées par l'aviation saoudienne, s'affrontent à des troupes chiites soutenues par Téhéran. Au Yémen, opèrent également des milices sunnites djihadistes qui se réclament soit d'Al-Qaïda, soit de Daesh. C'est à l'occasion de ce conflit que l'Arabie saoudite et l'Iran ont rompu leurs relations diplomatiques. Les monarchies du Golfe et l'Iran s'affrontent également à Bahreïn, petit Etat où la famille régnante est sunnite alors que la population est très majoritairement chiite. Au Liban, l'Arabie saoudite soutient les sunnites et l'Iran appuie le Hezbollah. Les deux pays s'affrontent également en Syrie. L'Iran intervient militairement contre Daesh en Irak et soutient de fait Bachar el-Assad en Syrie. L'Arabie saoudite soutient l'opposition sunnite. Le pays est rentré depuis samedi dans une phase de cessez-le-feu, imposé au camp sunnite par les USA, et au camp alaouite par la Russie. Mais l'offensive militaire continue contre les djihadistes d'Al Nosra et surtout contre l'Etat islamique. Daesh a d'ailleurs opéré une vague d'attentats dimanche à Bagdad, faisant 59 morts. Mais même en admettant que la trêve tienne en Syrie, les rivalités entre toutes les parties subsistent et aucune solution ne pointe à l'horizon. De même, ni l'Arabie saoudite, ni la Turquie, ni l'Iran ne souhaiteront perdre leur influence sur la vaste zone irako-syrienne. La minorité kurde qui existe aussi bien en Turquie, en Syrie, en Irak et en Iran complique encore un peu plus la donne. Une paix durable en Syrie ? « Il faudrait, en un mot, qu'Américains et Russes continuent à œuvrer main dans la main pour imposer à tous un compromis que chacun puisse accepter. C'est la condition sine qua non pour que le cessez-le-feu débouche sur la paix mais, outre que l'actuelle connivence américano-russe est bien trop récente pour qu'on puisse tabler sur sa durée, les Etats-Unis changeront de président dans dix mois ». Si Hillary Clinton est élue, il y a fort à parier qu'elle poursuivra, peu ou prou, la politique d'Obama. Si Donald Trump, qui est en train de remporter la primaire du camp républicain, gagnait la Maison-Blanche, il y a fort à craindre que la normalisation des relations irano-américaines en souffre beaucoup. Ce qui renforcerait le camp conservateur et affaiblirait Rohani. Le président iranien sait d'ores et déjà que la normalisation avec les Etats-Unis rentre dans une phase difficile, avec une attitude américaine dans l'inconnu après les élections et « il sait, à l'inverse, que l'orientation fixée par le Guide, qui refuse toute normalisation à portée générale dans les relations avec les Etats-Unis, est une ligne rouge qu'il ne pourra franchir », comme le pointe Denis Bauchard.