Chaque salarié verra son compte personnel de formation crédité en euros et non plus en heures, et la collecte de fonds sera dorénavant assurée par les Urssaf, a annoncé lundi Muriel Pénicaud, un "big bang" qui mécontente à la fois syndicats et patronat. Arguant d'une "bataille de la compétence engagée" au niveau mondial, la ministre a expliqué qu'il ne fallait pas "réformer à la marge", lors de la présentation de la réforme de la formation professionnelle devant la presse. Celle-ci fera partie d'un projet de loi comprenant aussi la réforme de l'apprentissage et celle de l'assurance chômage, qui doit être présenté en conseil des ministres mi-avril. Il devrait s'intituler "Pour la liberté de choisir son avenir professionnel". La réforme de la formation professionnelle s'appuie "largement" sur l'accord conclu le 22 février par les syndicats et le patronat, a assuré Mme Pénicaud. Ce texte, âprement négocié pendant trois mois, contient, entre autres, un renforcement du compte personnel de formation (CPF), qui comprendra aussi un dispositif destiné à remplacer l'actuel CIF (congé individuel de formation) pour les formations longues, souvent des reconversions. Au cours de la négociation, les partenaires sociaux avaient décidé une augmentation des heures (de 24 à 35 heures) du CPF. Mais, si le gouvernement a retenu l'idée d'une augmentation des droits, il a décidé de passer à un décompte non plus en heures mais en euros, comme il l'avait d'ailleurs suggéré depuis le départ. "Les euros sont beaucoup plus concrets et lisibles pour chacun", a justifié Mme Pénicaud, au grand dam des partenaires sociaux, qui redoutent une inflation des coûts de formation et une baisse des droits. Avec la réforme, les salariés -- à temps plein ou partiel -- disposeront sur leur compte de 500 euros par an, plafonnés à 5.000 euros. Les personnes sans qualification auront 800 euros, avec un plafonnement à 8.000. En revanche, pour les salariés en CDD, le compte sera crédité prorata temporis. Autre changement de taille: les sommes destinées à la formation seront collectées par les Urssaf, les organismes collecteurs des cotisations sociales, qui les transfèreront à la Caisse des dépôts. Actuellement, la collecte est réalisée par les organismes paritaires collecteurs agréés (Opca). Ces derniers seront radicalement transformés pour devenir des "Opérateurs de compétences", des structures chargées, notamment, de financer les centres de formation d'apprentis (CFA). Comme prévu, cette mesure a hérissé à la fois patronat et syndicats. Le Medef y voit "une volonté de +nationalisation+ du système en donnant à des acteurs publics un rôle central", notamment les Urssaf et la Caisse des dépôt.
'Chamboule-tout destructeur' La CPME, a elle, agité le risque d'une "usine à gaz" quand le Syndicat des indépendants (SDI) a qualifié le projet de "big flop". La CFDT craint que ces changements "ne conduisent à un chamboule-tout destructeur", la vingtaine d'Opca représentant environ 5000 salariés. Son secrétaire général, Laurent Berger, s'est dit "à la fois satisfait qu'il y ait des droits des travailleurs plus pertinents, plus conséquents", et "préoccupé" par le changement de gouvernance du système, demandant à "rencontrer très vite" Mme Pénicaud. FO estime aussi que des "points nécessitent des éclaircissements compte-tenu de leur danger potentiel", citant entre autre monétisation du CPF et recouvrement par l'Urssaf. Pour la CGT, le gouvernement "fragilise encore le monde du travail en érigeant une individualisation totale des travailleurs, désormais seuls responsables de leur employabilité". Les régions ont regretté que le gouvernement ne soit pas allé "suffisamment loin" dans la simplification de la gouvernance, quand l'U2P, à l'inverse, s'est félicitée du fait que les mesures répondent à la nécessité de "simplifier et de rationaliser" le système. Autre annonce faite lundi: une agence nationale, "France compétences", sera créée et gérée par l'Etat, les organisations patronales et syndicales, et les régions. Parmi ses missions, la régulation des prix des formations, afin que les coûts "ne dérivent pas". La ministre du Travail, qui avait promis un "big bang" du système, a souligné que cette réforme se ferait à "enveloppe constante" pour les cotisations des entreprises, (1,68% pour celles de plus de 11 salariés et 1,23% pour celles de moins de 11 salariés), tout en profitant à "plus d'un million de personnes chaque année", soit "cinq fois plus" qu'actuellement, a-t-elle souligné lundi soir sur BFM TV. La formation professionnelle coûte chaque année environ 25 milliards d'euros. Les entreprises, dont les dépenses directes ne sont pas prises en compte dans ce total, en sont, malgré tout, les premiers financeurs.