Chat échaudé craint l'eau froide: les syndicats, qui ont finalisé jeudi avec le patronat un accord sur l'assurance chômage, ont demandé au gouvernement de s'engager à respecter l'intégralité de leur texte, avant d'y apposer eux-mêmes leur signature. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a "jeté un froid" sur les négociations, selon Eric Courpotin, le négociateur CFTC. Alors que les partenaires sociaux venaient de boucler dans la nuit de mercredi à jeudi un premier accord sur la formation professionnelle, la ministre annonçait déjà qu'il ne serait pas repris dans sa totalité. Très irrités, les négociateurs ont pris leurs précautions au moment de finaliser le deuxième accord de la journée, celui sur l'assurance chômage. "On ne pourra être signataire du texte que si l'Etat s'engage à respecter tous ses termes", a prévenu Véronique Descacq (CFDT) à l'issue de la réunion. Le gouvernement "ne peut pas mépriser la démocratie sociale comme il le fait actuellement", s'est-elle emportée. La CFTC non plus "ne peut pas signer sans avoir certaines assurances, certaines garanties du gouvernement", a abondé Eric Courpotin. Quant à Michel Beaugas (FO), il a réclamé un changement de pied du gouvernement sur la formation avant de se prononcer sur l'assurance chômage. "Si l'accord +formation professionnelle+ est étendu sur l'ensemble des nouveaux droits, ça me donnera confiance sur la bonne retranscription de l'accord +assurance chômage+", a-t-il indiqué. Pour le Medef, qui a tenu la plume, la question de sa signature ne se pose pas. Mais son chef de file Alexandre Saubot a insisté, lui aussi, sur l'importance de respecter "l'équilibre" global de l'accord. Les deux accords doivent servir de base au projet de loi que le gouvernement doit présenter mi-avril et qui portera aussi sur l'apprentissage. Complétant les ordonnances sur le Code du travail, censées apporter plus de souplesse aux entreprises, les réformes en construction doivent apporter plus de sécurité aux travailleurs, selon le gouvernement. Acord 'a minima' Sur le fond, l'accord trouvé jeudi est "équilibré", mais "a minima", a estimé Michel Beaugas, résumant une opinion partagée par l'ensemble des syndicats à l'exception de la CGT, qui a fait part, par la voix de Denis Gravouil, de son "appréciation assez négative" du texte. Sur l'épineuse question de la lutte contre les contrats courts, il prévoit que toutes les branches négocient sur la précarité. Il mentionne, par ailleurs, la menace du gouvernement d'instaurer un bonus-malus s'il juge insuffisantes les mesures prises par les branches. Cette épée de Damoclès fait partie intégrante de "l'équilibre" de l'accord, précise le texte. C'est notamment sur ce sujet que les syndicats veulent des engagements du gouvernement. Le nombre d'embauches en CDD de moins d'un mois a presque triplé depuis le début des années 2000, une recrudescence qui coûte cher à l'Unédic. Concernant l'indemnisation des démissionnaires, les partenaires sociaux l'ont limitée aux salariés ayant travaillé de manière ininterrompue au cours des sept années précédentes, alors que la promesse de campagne d'Emmanuel Macron mentionnait un droit mobilisable "tous les cinq ans". Ce critère ouvrirait le nouveau droit à "entre 14 000 et 23 000 salariés", en plus des 70 000 démissionnaires déjà indemnisés aujourd'hui, pour un surcoût "compris entre 180 et 330 millions d'euros" en année pleine. Le texte précise toutefois que le coût réel de la mesure "devrait être plus proche de la borne basse". L'accord "crée un nouveau droit, c'est toujours ça de pris", a commenté M. Beaugas. Les syndicats ont veillé à l'articulation entre cette mesure et une disposition contenue dans l'accord sur la formation professionnelle: la suppression du congé individuel de formation (CIF), notamment dédié aux reconversion professionnelle, et la création au sein du compte personnel de formation (CPF) d'un droit similaire, mais moins financé. Pour la CGT, le compte n'y est pas. Selon la centrale, les salariés risquent, si les deux accords sont mis en application, de devoir démissionner pour pouvoir se reconvertir.
Les principaux points de l'accord mis à la signature Indemnisation des démissionnaires, lutte contre la précarité, gouvernance... Voici les principaux points de l'accord sur l'assurance chômage finalisé jeudi par les partenaires sociaux et mis à la signature.
Indemnisation des démissionnaires Les salariés qui démissionnent avec un "projet de reconversion professionnelle" pourraient bénéficier d'une indemnisation chômage, dont le montant et la durée seraient équivalents aux allocations chômage de droit commun. Pour être éligible, il faudrait justifier, au minimum, d'une ancienneté "ininterrompue" de sept ans dans l'emploi et avoir un projet de reconversion nécessitant une formation qualifiante ou une formation complémentaire après une validation des acquis de l'expérience. Le projet devrait répondre "aux besoins du marché du travail". Le caractère "réel et sérieux" du projet devrait être validé, en amont de la démission, par une "attestation" délivrée par une "commission paritaire régionale". En cas de refus, le salarié pourrait compléter son dossier dans un délai d'un mois et disposerait d'un "droit de recours amiable". Le salarié devrait démissionner dans les six mois après avoir obtenu l'attestation et pourrait déposer une demande d'indemnisation à Pôle emploi. Pôle emploi devrait ensuite contrôler la mise en œuvre effective du projet, notamment au cours d'un "entretien de suivi approfondi" organisé au dernier mois de mise en œuvre du projet. En cas de manquement, le versement des allocations serait interrompu. Dans ce cas, le demandeur d'emploi pourrait de nouveau demander une indemnisation quatre mois plus tard, en prouvant qu'il cherche activement un emploi. Les partenaires sociaux se réuniraient au moins tous les 12 mois pour vérifier l'équilibre financier de la mesure, afin qu'elle ne dépasse pas de manière excessive 180 millions d'euros par an.
Indemnisation des indépendants Le texte plaide pour un régime distinct de l'Unédic, "public" et "financé par l'impôt", "ouvert à tous les indépendants", qui bénéficieraient d'une prestation en cas de "liquidation judiciaire". Des "régimes privés" pourraient proposer, en sus, des "prestations complémentaires". Il prévoit que les partenaires sociaux gardent la main concernant la protection sociale des "+nouveaux+ travailleurs", comme les travailleurs des plateformes (Uber, Deliveroo...), en créant un groupe de travail réunissant organisations syndicales et patronales, chargé de proposer, avant fin 2018, des évolutions réglementaires.
Lutte contre les contrats précaires Toutes les branches professionnelles devraient ouvrir des négociations pour prendre des "mesures permettant de modérer le recours aux contrats courts et d'allonger les durées d'emploi" et des "mesures relatives à l'organisation du travail et à la gestion de l'emploi". Les partenaires sociaux de branches devraient, "lorsque cela est possible", se fixer des "objectifs quantitatifs et qualitatifs", qui seraient contrôlés par un "groupe de suivi paritaire". Les négociations devraient aboutir avant la fin 2018. Le texte mentionne la menace du gouvernement d'instaurer un bonus-malus s'il juge insuffisantes les mesures prises par les branches. Cette épée de Damoclès fait partie intégrante de "l'équilibre" de l'accord, est-il précisé. L'accord prévoit aussi la création d'un "outil de suivi statistique" pour mieux "caractériser" et "comprendre" les causes des fins de contrats courts.
Gouvernance L'accord prévoit que la négociation paritaire continue de "définir en toute autonomie les règles d'indemnisation et le niveau de ressources nécessaires" du régime, avec l'objectif, à terme, de se passer de "la garantie financière accordée par l'Etat". Il demande une "clarification" des rôles de la solidarité nationale ou de l'assurance chômage et suggère l'instauration d'une "conférence pour l'emploi" réunissant Etat et partenaires sociaux, qui fixerait des "objectifs communs au régime de solidarité", c'est-à-dire les minima sociaux, "et au régime assurantiel", c'est-à-dire l'assurance chômage.