Bataille parlementaire en vue: l'Assemblée s'attaquait ce lundi à la réforme du Code du travail par ordonnances, avec l'assurance du soutien d'une large majorité, malgré des critiques de plusieurs bords sur la méthode et un rejet de fond principalement des "Insoumis" et communistes. "Libérer l'énergie des entreprises tout en protégeant les actifs": tel est l'objectif affiché par le gouvernement d'Edouard Philippe. Le texte qui l'habilite à légiférer par ordonnance doit être adopté définitivement dès cette session extraordinaire d'été, alors que la concertation avec les partenaires sociaux va se poursuivre tout l'été. Plusieurs promesses de campagne d'Emmanuel Macron y figurent, dont les très décriés barèmes des dommages et intérêts prud'homaux pour licenciement abusif, fusion des instances représentatives du personnel ou rôle accru de l'accord d'entreprise sur la branche. Très concrètement, le projet de loi, fort de neuf articles, donne le cadre des futures ordonnances, mais sans en préciser toutes les modalités. Car parallèlement à son parcours législatif, les discussions vont continuer avec syndicats et patronat, qui "auront la primeur", fin août, des ordonnances elles-mêmes, a assuré la ministre du Travail. Muriel Pénicaud est fragilisée par l'ouverture vendredi d'une information judiciaire pour "favoritisme" dans le dossier Business France. Les ordonnances doivent être adoptées en Conseil des ministres d'ici le 20 septembre et leur ratification sera ensuite soumise au Parlement, ce qui leur donnera force de loi. Certaines mesures seront appliquées "immédiatement", selon la ministre, qui a notamment cité la barémisation des indemnités, une disposition abandonnée par le gouvernement Valls en mars 2016 dans le cadre de la loi Travail, ce qui n'avait pas empêché la pire crise sociale sous un gouvernement de gauche. Si la nouvelle réforme est attendue d'"urgence" par le patronat (Medef, CPME et U2Pa) afin de "redonner confiance" aux entreprises pour investir et embaucher, les organisations syndicales (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC et CFTC) ont elles mis en avant ses "dangers" pour les salariés.
Un menu 'sans les plats Pour faire adopter le texte, alors que la réforme inquiète 61% des Français, selon un sondage publié fin juin, le nouveau gouvernement peut compter à l'Assemblée sur sa très large majorité République en marche et MoDem. En commission, où le projet a été voté sans modification substantielle, les élus REM se sont montrés très peu loquaces, leur chef de file pour ce texte Aurélien Taché, disant faire "confiance à la démocratie sociale" et assurant que l'habilitation pour des ordonnances n'était "pas un blanc-seing". Mais les débats s'annoncent animés à l'Assemblée, avec quelque 400 amendements déposés. "La bataille ne fait que commencer", ont ainsi prévenu jeudi les élus communistes clairement hostiles comme les "Insoumis" à ce que Jean-Luc Mélenchon a qualifié de "coup de force social". En avant-goût, les députés LFI ont brandi symboliquement mardi un code du travail dans l'hémicycle après la déclaration de politique générale d'Edouard Philippe pour montrer qu'ils défendraient "mètre après mètre" ce "gros livre rouge". Et M. Mélenchon a appelé à des "rassemblements" mercredi, alors que l'examen se poursuivra dans l'hémicycle. Le groupe "Nouvelle gauche" (ex-PS) entend voter contre, pour ne pas "donner un chèque en blanc". Le texte contient selon ses membres des "lignes rouges" sur le contrat de chantier "plus précaire qu'un CDD" ou les indemnités prud'homales. Les Républicains ont eux voté pour en commission, jugeant qu'il va "dans le bon sens" mais en promettant d'être "très vigilants sur le contenu des ordonnances". Tous se rejoignent pour dénoncer la méthode des ordonnances, une façon de "dessaisir le Parlement" aux yeux des élus PCF, qui "ne permet pas une réforme juste" pour "Nouvelle Gauche" et qui porte le risque que le débat se déroule "dans la rue" pour LR. Mais une méthode qui a été à nouveau "légitimée", après les élections, par le large vote de confiance obtenu par le gouvernement, aux yeux du rapporteur Laurent Pietraszewski, député REM du Nord. Le texte prévoit par ailleurs le report d'un an du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu au 1er janvier 2019.
Revendications et lignes rouges du patronat et des syndicats Instances représentatives, licenciement, branches, chèque syndical: voici un point sur les revendications et lignes rouges des partenaires sociaux sur la réforme du Code du travail, dont le projet de loi d'habilitation à légiférer par ordonnances est examiné depuis hier. Parallèlement au parcours législatif, la concertation se poursuit entre les organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC) et patronales (Medef, CPME, U2P) et le ministère du Travail.
Instances représentatives du personnel La fusion du Comité d'entreprise, délégué du personnel et CHSCT semble actée. Le Medef réclame que les délégués syndicaux (DS), chargés de négocier, soient absorbés par cette structure. La CPME souhaite, elle, qu'en l'absence de délégués syndicaux, l'instance fusionnée puisse négocier. Les syndicats s'y opposent. Ouvrir la négociation à cette entité "risque de renvoyer à la décision unilatérale de l'employeur", alerte Véronique Descacq (CFDT). C'est "un danger pour la légitimité des syndicats", abonde Gilles Lecuelles (CFE-CGC). L'instance fusionnée pourrait ester en justice, une prérogative du ressort du CHSCT, selon la CGT. La CFDT et la CFTC souhaitent garder la possibilité de maintenir quatre instances séparées, par accord collectif.
Licenciements C'est l'objet de la troisième phase de concertation qui démarre ce lundi. Le gouvernement promet d'"harmoniser", voire "unifier" le régime juridique des licenciements lorsqu'un salarié refuse de voir son contrat modifié par un accord d'entreprise. Il y a actuellement cinq cas, avec des droits et devoirs différents pour les salariés et l'entreprise. La CFDT et FO réclament une hausse "significative" des indemnités légales de licenciement.
Plafond des dommages et intérêts prud'homaux pour licenciement abusif C'est une demande du patronat, au menu de la concertation de ces deux semaines: quels plafonds et planchers seront retenus? Les syndicats veulent que le juge puisse déroger au référentiel obligatoire.
La branche Sujet très sensible, que la ministre a tenté de déminer fin juin en précisant les domaines où elle pourrait conserver le verrou de "manière impérative" sur l'accord d'entreprise, mais cette décision n'est pas "définitive". FO, la CFTC, la CPME, l'U2P veulent que la branche maintienne le verrou sur le plus de domaines possible pour une question "d'égalité de traitement des salariés et pour éviter le dumping social", explique Michel Beaugas (FO). La CFTC réclame que la branche ait le verrou sur la responsabilité sociétale des entreprise (RSE). A l'inverse, pour Alexandre Saubot (Medef), "il faut qu'un maximum" de thèmes soient ouverts à négociation dans l'entreprise.
Référendum à l'initiative de l'employeur Les PME le voient d'un bon oeil, les syndicats n'en veulent pas et le Medef est réservé. Le projet de loi d'habilitation ouvre la voie à "une consultation des salariés pour valider un accord". La CPME souhaite qu'en l'absence de syndicats et d'instance représentative de personnel, une entreprise puisse adopter un accord par référendum. Le référendum, à l'initiative d'un syndicat, est déjà possible avec la loi travail et "ça doit être une disposition exceptionnelle", dit M. Saubot.
Accord majoritaire Le projet prévoit de "modifier les modalités d'appréciation du caractère majoritaire des accords", ce que la CFDT interprète comme un futur changement "des règles de calcul de la majorité": "Pour nous, c'est véritablement un danger", selon Mme Descacq (CFDT). La loi travail modifie déjà les règles. Pour les questions de temps de travail, un accord est valide quand il a été signé par des syndicats ayant recueilli 50% des suffrages aux élections. Cette règle doit s'étendre à tous les accords à partir du 1er septembre 2019. D'ici là, pour les thèmes autres que le temps de travail, un accord est valide s'il a recueilli la signature de syndicats ayant obtenu 30% aux élections et que ceux ayant eu 50% ne s'y opposent pas.
Chèque syndical Utilisé de leur propre initiative par une poignée d'entreprises, le "chèque syndical" est un titre de paiement émis par l'employeur à destination du salarié. Il ne peut l'utiliser que pour financer un syndicat dans son entreprise, sans obligation d'y adhérer. En dehors de la CFDT, aucune organisation patronale et syndicale n'est demandeuse de cette promesse d'Emmanuel Macron. La CPME réclame son retrait, jugeant que le Fonds pour le financement du dialogue social, mis en place en 2014 et assis sur une contribution patronale de 0,016%, fonctionne bien. Mustapha S.