La multiplication d'agressions d'une extrême violence qui marquent l'actualité depuis le début de l'été inquiète les forces de l'ordre. L'année dernière, les vols avec armes ont baissé. Pas les coups et blessures volontaires. La société française devient-elle de plus en plus violente? Des policiers se sont confiés à Sputnik. Enquête. "Je crie ma révolte. Ça suffit. Stop! Aujourd'hui, c'est nous. Et demain qui encore? Je ne veux pas faire de politique. Je parle en tant que maman. Une maman à qui on vient d'enlever son enfant. Je veux que ça cesse. J'en appelle à tous les politiques, de tous bords. Faites quelque chose. Notre pays sombre dans la violence. Il faut arrêter ça. Sauvez nos enfants, bon sang! Sauvez nos enfants!" Ce déchirant cri du cœur, c'est la maman d'Adrien Perez qui l'a hurlé à nos confrères du Parisien. Le 29 juillet, le jeune homme de 26 ans sortait d'une boîte de nuit de la région grenobloise. Alors que Thibault, l'un de ses amis, est pris à partie par trois individus qui le frappent à la tête, dans un geste héroïque, Adrien s'interpose. Il se fera poignarder en plein cœur. Un sacrifice qui permettra à son ami de s'en sortir avec les poumons perforés. Il est toujours hospitalisé dans un état grave. Les frères Younes et Yanis El Habib, considérés par la justice comme les principaux agresseurs, ont été placés sous mandat de dépôt et écroués. Le troisième individu a pu ressortir libre sous contrôle judiciaire. Cette affaire, qui a provoqué de vives réactions sur les réseaux sociaux, est devenue en quelque sorte le funeste porte-étendard d'un été qui rime avec violence extrême. Avant Adrien, c'est Dorian Guéméné, 24 ans, qui est tombé sous les coups de ses agresseurs, le 7 juillet dernier. Il décédera le lendemain. Le déchaînement dont il a été victime a entraîné "un traumatisme encéphalique majeur" d'après le parquet de Rennes. Celui qui s'était engagé dans l'armée de terre comme sapeur de combat avant de devenir serveur est tombé dans un guet-apens après une dispute à l'intérieur d'une boîte de nuit rennaise. Il a laissé six frères et sœurs. La société française est-elle en train de sombrer dans la violence? Olivier Hourcau, secrétaire national du syndicat de police Alliance responsable de la province, s'est confié à Sputnik France: "Si l'on prend seulement juillet et début août en référence, il est vrai que l'on assiste à une vague de violence avec des événements extrêmement graves. Mais je pense que cette augmentation de la violence s'inscrit dans un cadre plus large. La France devient de plus en plus violente." Et la litanie des faits-divers semble lui donner raison: le 15 juillet, un jeune homme de 18 ans a été pris à partie par plusieurs agresseurs dans un RER et roué de coups. Il n'a eu d'autre choix que de sauter du train lancé à 80 km/h pour s'extirper de cette terrible situation. "Tu crois que parce qu'il y a du monde on va arrêter de te frapper?", lui avait alors lancé l'un de ses bourreaux. Michel, 87 ans, a été sauvagement battu le 19 juillet sur le palier de son immeuble d'Annemasse en Haute-Savoie. Les coups ont été si violents que l'octogénaire en a eu les vertèbres brisées. Son portefeuille avait disparu. De même que le pauvre homme, après dix jours d'agonie à l'hôpital, veillé par son épouse.
"Aujourd'hui, en France, on peut mourir pour un regard de travers" Les statistiques confirment le sentiment que l'on peut éprouver à la lecture de la presse régionale, qui relaie ces drames: les victimes de coups et blessures volontaires sont en hausse… pour la quatrième année consécutive (+4% en 2017). La hausse "est plus sensible que l'année précédente" et le nombre de victimes approche des 223.000, "un point haut en 10 ans". De son côté, Bruno Noël, secrétaire général pour le syndicat de police Alliance dans le Nord, soulignée à Sputnik France "que la vague d'agressions qui frappe la France est plus marquée que les étés précédents". Une vague plus marquée, car plus violente, avec plus de morts et de blessés graves: dans la nuit du 4 au 5 août à Grenoble, quelques jours après le meurtre d'Adrien, un homme de 27 ans a été grièvement blessé à l'arme blanche dans un parc de la ville. La même nuit, à Rennes, un homme de 28 ans se rendait chez son amie à vélo. D'après des témoins, il a été attaqué par six individus qui ont crevé les pneus de son engin avant de le molester et de le frapper de deux coups de couteaux dans le dos et au mollet. La nuit du 5 août a été particulièrement active sur le front de la violence dans l'Hexagone. À Brest, un agresseur muni de couteaux a semé la terreur à la sortie d'une boîte de nuit de la ville. Avant d'être interpellé, il aurait blessé deux personnes. Même date, différente ville. Nous sommes cette fois au Château-d'Olonne. Les policiers ont pris en charge trois personnes qui leur assurent avoir été victimes de coups de couteau. Les assaillants ont également mis le feu à leur véhicule, selon les plaignants. Deux individus ont été placés en garde à vue. "Un individu qui va croiser malencontreusement le regard de quelqu'un qui va s'estimer défié est susceptible de se retrouver pris dans une bagarre qui peut se terminer par la mort. Aujourd'hui, en France, on peut mourir pour un regard de travers", commente Olivier Hourcau. C'est ce qui est arrivé le 6 août, à Jarny, en Meurthe-et-Moselle, à ce trentenaire qui a trouvé la mort. Il s'était mis en quête d'un homme qui avait agressé l'une de ses amies pour une cigarette. Un coup de couteau dans la jugulaire a finalement eu raison de lui. Dans la nuit du 6 au 7 août, une habitante de Margency, dans le Val d-Oise, est sortie se plaindre du vacarme causé par six jeunes alcoolisés. Elle est frappée avec un tesson de bouteille. Son mari, qui s'est interposé, est roué de coups. Trois jeunes de 17 ans seront arrêtés et le pauvre couple âgé d'une trentaine d'années finira sa nuit à l'hôpital. Pourquoi? Loïc Lecouplier, secrétaire national adjoint à Paris pour le syndicat Alliance, va dans le même sens que son collègue. Il a fait profiter Sputnik France de son expérience en la matière: "La rixe va démarrer sur un motif futile: un regard, une bousculade. Très vite, ça peut déraper. L'un va sortir un couteau, ou aller le chercher dans sa voiture ou saisir un tesson de bouteille. Vous savez, une arme par destination, ça se trouve très facilement. Avant, cela s'arrêtait le plus souvent aux coups de poing. Aujourd'hui les armes sortent très vite, la violence est débridée, brutale." Il poursuit: "On voit des gens sortir des manches de pioche à la suite de banals accidents de la route."
Des vols avec armes en baisse, des coups et blessures en hausse Cette ignoble liste, loin d'être exhaustive, rassemble des affaires qui n'ont rien à voir avec les règlements de compte mafieux. La violence liée au milieu criminel a toujours existée. Mais plus que de sommaires exécutions à la kalachnikov dans les quartiers nord de Marseille, il s'agit, pour la plupart de ces drames, de rixes aux motifs futiles, dont certaines à l'issue fatale. Le syndrome France Orange mécanique? En effet, au-delà des coups et blessures déjà évoquées, les statistiques semblent confirmer cet "ensauvagement", pour reprendre un mot souvent employé par la droite dure. Si l'on en croit le premier bilan publié par le ministère de l'Intérieur le 24 janvier dernier, les homicides sont restés "en nombre relativement élevé" en 2017. Les forces de l'ordre en ont enregistré 825 en métropole. C'est moins qu'en 2016 (892), mais si l'on prend le chiffre hors victimes des attentats, le nombre de meurtres a de nouveau augmenté en 2017 (+2%).
Concernant les violences sexuelles, d'après le rapport d'enquête "cadre de vie et sécurité" 2017, "en moyenne chaque année entre 2012 et 2016, 0,4% des personnes âgées de 18 à 75 ans (soit environ 158.000 personnes) ont déclaré avoir été victimes de violences sexuelles de la part d'une (ou plusieurs) personne(s) ne vivant pas avec elles au moment de l'enquête". Celle-ci note que "sur la période précédente, entre 2007 et 2011, cette proportion n'est pas significativement différente". Le nombre de vols avec armes est lui en baisse (-3%). Une baisse pourtant bien moins spectaculaire que celles des années précédentes: en effet, ils avaient chuté de 12% en 2016 et de 14% en 2015. Agression avec ou sans arme, homicide ou viol, pour Bruno Noël, il n'y a pas d'agresseur-type, même si les plus violents sont en général des délinquants multirécidivistes: "Ce sont des groupes qui tombent sur un individu et qui lui demandent s'il a du feu, de l'argent, une cigarette et, quel que soit le résultat, ils peuvent finir par le rouer de coups. Il n'y a pas forcément de profil-type. C'est un peu comme les casseurs que l'on voit dans les manifs qui, quand vous les prenez seul, sont monsieur tout le monde. Puis une fois en groupe, dans un contexte particulier, ils sont capables de totalement se déchaîner. Cependant, ceux qui en arrivent à des actes hyper violents ont pour la plupart un casier judiciaire déjà bien fourni et des antécédents."
"Un jeune couple devrait avoir peur de sortir la nuit en France" Pour les professionnels interrogés par Sputnik France, l'abus d'alcool et de drogue joue un rôle majeur dans l'augmentation des violences. "L'alcool et les drogues sont un véritable problème. Beaucoup d'agressions sont liées à leur consommation", souligne Olivier Hourcau. "Les gens sont de plus en plus alcoolisés avec des mélanges détonants, drogues incluses. C'est devenu tellement banal que l'on en parle presque plus. C'est rentré dans les mœurs de sortir le week-end avec son coffre chargé de bouteilles. Évidemment, avec le manque de contrôle et de maîtrise que ça induit, on arrive à des drames quand les esprits s'échauffent. Certaines bandes de jeunes, après avoir bu à outrance, se mettent en quête de bagarre. Il suffit qu'ils croisent un homme, une femme, un couple et on peut vite arriver à des drames. Cela peut concerner tout le monde", analyse tristement Bruno Noël. Effectivement, le profil-type des victimes est extrêmement difficile à établir. Tout le monde semble être potentiellement une cible. Le 20 juillet, à Châtelet, en plein cœur de Paris, une bande a fait régner la terreur durant plusieurs heures. Une femme a été violée après avoir été contrainte de retirer de l'argent à un distributeur. Son tortionnaire l'a obligée à lui pratiquer une fellation. Dans le même temps, un homme a perdu connaissance et a été dépouillé après avoir reçu un coup sur la tête. Un couple a violemment été pris à partir par plusieurs individus. L'homme s'est fait subtiliser sa carte bleue et son téléphone alors que sa compagne a été légèrement blessée. Un policier sera même attaqué par l'un des protagonistes de cette razzia en plein centre de la capitale.
En 2018, en France, est-il risqué de se balader la nuit? "Fort heureusement, ce qui s'est passé à Châtelet récemment n'arrive pas tous les jours. Mais ça peut arriver. C'est un fait. Il suffit que vous tombiez sur une bande de voyous qui ont décidé de faire une razzia. Vous avez aussi beaucoup de tourisme ce qui attire la délinquance. On est également soumis à une forte pression migratoire qui fait que l'on constate aujourd'hui des faits que l'on voyait moins avant: beaucoup de vols, de vols avec violences, d'effractions. Tout cela s'accumule. Maintenant, dire que Paris est un coupe-gorge, je trouve cela un peu excessif", analyse Loïc Lecouplier.
Reste qu'il incite à la prudence, tout comme son collègue Olivier Hourcau: "En province, on constate le même phénomène de bande de délinquants qui prennent notamment pour cible les vacanciers. Sur les stations balnéaires du Sud-Ouest par exemple, vous avez de véritables systèmes qui s'organisent pour agresser ou dépouiller les touristes et les locaux. Ce n'est pas propre à la province ou à Paris, c'est propre à la France en général." Bruno Noël va même plus loin. À la question de savoir si un jeune couple devrait avoir peur de sortir la nuit en France, il répond clairement "oui". "Je demande à mes enfants de ne pas le faire, c'est triste, mais on en est là", avoue-t-il. Un problème lui tient particulièrement à cœur: celui des témoins qui ne réagissent pas. "Tout ça, c'est aussi la faute à l'indifférence des gens. Chacun défend sa peau et les témoins d'agressions font souvent preuve d'une apathie assez choquante. Quand des passants, en nombre largement supérieur par rapport aux assaillants, sont témoins d'une agression et ne bougent pas, ils sont coupables de non-assistance à personne en danger", souligne-t-il. Les cas d'agressions, notamment dans les transports, sans qu'aucun témoin ne réagisse, ont été nombreux ces dernières années. En 2014, la tentative de viol sur une jeune femme de 29 ans par un ressortissant marocain âgé de 19 ans, qui a débuté dans le métro de Lille, a duré une trentaine de minutes sans que les nombreux témoins ne bougent un cil. "Les gens sont partis dans l'autre rame tout au fond. Ils m'ont laissée toute seule et ils me regardaient me faire agresser!", expliquait-elle à nos confrères du Figaro. Patricia Perez, la mère d'Adrien, est du même avis que Bruno Noël. Alors qu'elle s'exprimait auprès de nos confrères du Parisien, elle a déclaré très émue: "On ne peut pas rester brinquebalant devant l'agresseur de quelqu'un. Que ce soit son meilleur ami ou un passant. Ce n'est pas possible. Ce serait inhumain de ne pas porter secours. Et mon petit n'était pas comme ça. Oui, il est mort en héros." Comment éviter d'être victime d'une telle tragédie? Quels sont les gestes à adopter? "Il faut sortir avec des amis, éviter de sortir seul ou en trop petit groupe, choisir des endroits réputés comme sûrs. Et le plus important, dans le cas où vous seriez menacé et qu'aucun policier ne se trouverait autour, la chose la plus intelligente à faire, c'est d'éviter le conflit. Si on vous demande votre téléphone et que vous sentez que vous êtes en danger, vous donnez votre téléphone", conseille Loïc Lecouplier. Bruno Noël se montre fataliste: "Le souci c'est que ça peut arriver partout. Regardez ce qu'il s'est passé à Châtelet. Si on ne peut même plus se balader en plein de cœur de Paris sans craindre d'être agressé… C'est tout de même inquiétant." Tous les policiers interrogés par Sputnik sont d'accord. En dehors des habituelles demandes supplémentaires d'effectifs, la première priorité pour améliorer la situation, c'est une réponse pénale plus sévère de la part de la justice. "Il faut clairement une réponse pénale plus ferme, qu'elle soit pour les agressions sur des civils ou sur des policiers. Les prisons sont certes engorgées, mais le fait est que la réponse n'est pas là. Il faut que les délinquants aient peur de la sanction. S'ils se disent, pour peu qu'ils soient mineurs ou défavorablement connus des services de police, "de toute façon je ne risque pas grand-chose", cela ira de pire en pire", déclare Bruno Noël. Olivier Hourcau abonde dans ce sens, et souhaite également que la police se recentre sur son cœur de métier: "Aujourd'hui, les policiers sont employés à des missions autres que celle de la lutte contre la délinquance. Est-ce qu'il est normal qu'un policier garde un bâtiment? Est-ce qu'il est normal qu'il passe sa journée devant un écran de vidéosurveillance? Mais le plus important c'est la réponse pénale qui doit être ferme." D'après le rapport d'enquête "cadre de vie et sécurité" 2017, "11% des personnes de 14 ans ou plus ont déclaré se sentir en insécurité "souvent" ou "parfois" dans leur quartier ou leur village". Si l'on prend la période 2007-2017, l'insécurité locale ressentie est restée stable. Elle a oscillé entre 19 et 21%. Reste à savoir s'il faut se féliciter que le chiffre n'ait pas substantiellement augmenté ou s'inquiéter qu'il soit si haut. Bruno Noël voit le tableau sécuritaire plutôt noir: "On a cru à un moment que les choses allaient mieux et puis cet été, nous avons cette recrudescence de violence gratuite et extrême qui peut toucher n'importe qui à n'importe quel moment. C'est très inquiétant."