Les Brésiliens élisent dimanche leur président à l'issue d'un duel que le candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro semble devoir remporter facilement face à son adversaire de gauche Fernando Haddad, au terme d'une campagne à l'odeur de soufre. Si le capitaine de réserve est élu pour succéder pour quatre ans au conservateur Michel Temer, le plus grand pays d'Amérique latine choisira pour la première fois un président d'extrême droite, chantre de la dictature (1964-85) et de ses tortionnaires. Un dernier sondage a prédit jeudi soir une franche victoire à Bolsonaro, 63 ans, du Parti social libéral (PSL) avec 56% des suffrages contre 44% à Haddad, 55 ans, du Parti des travailleurs (PT), le substitut de l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva, emprisonné pour corruption et inéligible. Quelque 147 millions de Brésiliens vont aux urnes à l'issue d'une campagne très polarisée et entachée de violences après le 1er tour, dans un pays aux dimensions continentales confronté à plus de 60.000 homicides par an, à une corruption endémique et un marasme économique. Pour de nombreux analystes, Bolsonaro est le symptôme des crises qui plombent le Brésil depuis la fin calamiteuse de 13 années de règne du PT avec la destitution de l'ex-présidente Dilma Rousseff, en 2016. Ce populiste, qui dit vouloir ramener l'ordre, a surfé sur la puissante vague d'exaspération du peuple brésilien. "Il a su profiter du très fort courant contre le PT et contre les politiciens corrompus", dit David Fleischer, politologue de l'Université de Brasilia. "Il a su se vendre comme un homme politique antisystème" alors qu'il est député depuis 27 ans. Haddad, ex-maire de Sao Paulo, n'a pas réussi à former un "front démocratique" avec le centre gauche et le centre pour barrer le chemin du Palais de Planalto à l'extrême droite. Pourtant, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées contre les risques que ferait courir Bolsonaro à la jeune démocratie brésilienne. "Cela semble curieux qu'un candidat qui défend la mort, la torture, la barbarie et la discrimination, au mépris de vingt ans d'avancées (démocratiques) puisse être choisi", a déclaré Carol Proner, professeure de droit à l'Université fédérale de Rio de Janeiro, à la Fondation Jean-Jaurès.
"Pourrir en prison" Mais David Fleischer, lui, "ne voit aucune menace à la démocratie" au Brésil où "les institutions sont très solides". Ouvertement raciste, misogyne et homophobe, Jair Bolsonaro, galvanisé par la proximité de la victoire, est monté de plusieurs crans ces derniers jours dans le registre outrancier qui l'a fait connaître. Cet avocat d'une libéralisation du port d'armes a promis une grande purge au Brésil "des rouges", la prison ou l'exil à ses opposants et souhaité à Haddad comme à Lula "de pourrir en prison". Celui qui veut gouverner "pour la majorité, et non la minorité", s'est aussi attaqué à la liberté de la presse, menaçant la Folha de S. Paulo de "gagner cette guerre" après que le grand quotidien a révélé que des entreprises auraient financé l'envoi de millions de messages sur WhatsApp pour son compte. "C'est de la rhétorique de campagne", dit M. Fleischer. Il y a beaucoup de choses que Bolsonaro ne pourra probablement pas mettre en pratique, car il lui faudra l'accord du Congrès, et aussi des tribunaux". Le capitaine de réserve a fait des réseaux sociaux sa machine de guerre, avec ses 15,4 millions d'abonnés sur Facebook, Instagram et Twitter. Invoquant des "raisons médicales" après le coup de couteau d'un déséquilibré qui a failli lui coûter la vie le 6 septembre, il a refusé les six débats prévus, au grand dam de Haddad qui souhaitait une confrontation de leurs programmes. Les réseaux sociaux ont été le champ de bataille d'une guerre de désinformation massive, de manipulations en tous genres et de diffamations, en dépit des garde-fous installés par les autorités comme les médias.
Un mandat clair Haddad, qui a promis de rendre "le Brésil heureux de nouveau" comme dans les années de croissance sous Lula, a réduit son retard en fin de campagne. Mais il a dû se démarquer de son encombrant mentor, dont il a finalement retiré les images sur ses spots de campagne. Mais les marchés ont déjà "élu" Bolsonaro en dépit du flou de ses réformes ultra-libérales. "Ils sont peut-être allés un peu vite", estiment les consultants de Capital Economics, car "il sera difficile avec un congrès fragmenté de s'attaquer au gros déficit budgétaire", une urgence pour le Brésil. Si le camp de Bolsonaro espère un score de plus de 60% dimanche pour un mandat clair, celui de Haddad veut éviter "une défaite cuisante" pour pouvoir "sortir la tête haute" du scrutin, a estimé la Folha de S.Paulo.
L'OEA "préoccupée" par la désinformation La propagation en masse de fausses informations en amont de la présidentielle au Brésil est "une préoccupation constante" et constitue un "phénomène sans précédent" a affirmé jeudi Laura Chinchilla, présidente de la mission de l'Organisation des Etats américains (OEA) chargée d'observer le scrutin. Le scrutin qui oppose au second tour dimanche le favori Jair Bolsonaro (extrême droite) et Fernando Haddad (gauche) a été marqué par d'intenses campagnes de désinformation, notamment à travers la messagerie instantanée Whatsapp. "C'est un phénomène sans précédent (...) c'est la première fois dans une démocratie que nous observons l'usage de Whatsapp pour propager massivement de fausses informations comme au Brésil", a affirmé à Sao Paulo Mme Chinchilla, qui a été présidente du Costa Rica de 2010 à 2014. Mme Chinchilla a affirmé par ailleurs avoir également reçu des dénonciations de fausses informations de la part du camp Bolsonaro.