Synthèse de Saïd B. Infatigables, les citoyens ne se découragent nullement depuis plus de deux mois qu'ils envahissent les places publiques aussi bien dans la Capitale que dans toutes les villes du pays en masses imposantes insistant sur leur revendication principale exigeant le départ de tout le système à l'origine de la débâcle nationale. Ce vendredi 26 avril a été le dixième qu'ils ont saisi pour organiser inlassablement des marches pacifiques organisées simultanément à Alger et dans les différentes wilayas du pays, réclamant le départ des symboles du système et le jugement des personnes impliquées dans des affaires de corruption et de dilapidation de deniers publics. Les manifestant arborent les mêmes slogans " actualisés " réclamant, d'une même voix, le départ des figures du système en place et la poursuite judiciaire contre tous les responsables malfaiteurs, voleurs et corrompus avec comme credo mobilisation solidaire et pacifiste. A Alger, des groupes de manifestants, dont la plupart drapés des couleurs nationales, ont commencé, dès le matin, à converger vers Alger-Centre pour se rassembler, comme à l'accoutumée, au niveau de l'esplanade de la Grande -Poste et de la Place Maurice Audin, où une minute de silence a été observée à la mémoire des victimes de l'effondrement lundi dernier d'un immeuble à la Casbah. En plus des slogans habituels, les manifestants ont insisté notamment sur la préservation de l'unité nationale à travers des pancartes sur lesquelles on peut lire "L'Armée, tous les corps de sécurité et la justice sont issus du peuple". Ces nouvelles manifestations interviennent au moment où des hommes d'affaires et des responsables politiques sont traduits devant la justice pour des affaires liées à la corruption et à la dilapidation de deniers publics. Chose remarquable, pour le second vendredi consécutif, le Tunnel de la Faculté au niveau de la Place Maurice Audin a été fermé par un dispositif sécuritaire important pour éviter tout éventuel dérapage. D'ailleurs, des barrages des forces anti-émeutes de la Gendarmerie filtrent tous les accès vers la capitale. Ce qui n'a pas empêché les citoyens de converger dès le matin dans les artères, rues et ruelles de la capitale. Venus seuls, en groupes ou en familles, les manifestants, dont certains drapés de l'emblème national, ont scandé des slogans revendiquant le changement radical du système et exprimant leur rejet à toute initiative s'inscrivant contre la volonté du peuple. Vers les coups de 14h, juste après la prière du vendredi, des groupes de citoyens se sont ébranlés vers le centre de la capitale, constituant une véritable marée humaine, tout en scandant les slogans habituels à l'instar de "Silmya Silmya" (pacifique, pacifique...) et "partez tous". "S'opposer à la volonté du peuple est une trahison", "Nous voulons une transition réelle et démocratique et une justice indépendante" sont autant de slogans entonnés par les manifestants venus des différents quartiers de la capitale.
Scènes d'expression et débats politiques improvisés En plus de ces slogans, les manifestants ont insisté sur la préservation de l'unité nationale à travers des pancartes sur lesquelles on peut lire "L'armée, tous les corps de sécurité et la justice sont issus du peuple", tout en entonnant "Djeich-chaâb khaoua khaoua" (Armée et peuple sont frères). Des scènes d'expression ont été improvisées par des citoyens, au niveau de l'esplanade de la Grande-Poste, qui ont tenu à démontrer leur attachement à l'organisation d'élections libres et transparentes. D'autres ont initié des débats sur la situation politique que traverse le pays, offrant la possibilité aux participants de faire des propositions de sortie de crise. Les manifestants, qui brandissaient fièrement l'emblème national et reprenant en chœur des chants patriotiques, ont également insisté sur le "départ de toutes les figures qui représentent le système et le refus de son recyclage", citant notamment le Premier ministre, Noureddine Bedoui ou encore le chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah.
Dans les autres wilayas du pays C'est dans la même ambiance que se déroule le Hirak à travers les autres wilayas du pays en dehors de la capitale. Des milliers de citoyens ont encore une fois investi les rues dans les wilayas de l'Est pour appeler au départ de "tout le système et à la liberté de la justice". A Constantine, Guelma, Annaba, Mila, Oum El Bouaghi et Batna, des jeunes et des moins jeunes, ainsi que les femmes ont, en force, arpenté les centres-villes de ces cités, déployant l'emblème national et brandissant des banderoles sur lesquelles est écrit : "Yatnhaw ga3" (Tout le système doit partir) et "Justice absolue et non sélective". D'El Tarf, de Souk Ahras, de Tébessa et de Khenchela, Sétif et Biskra, les milliers de citoyens qui ont sillonné les villes, ont réitéré leur appel pour le départ des "3B", le chef de l'Etat par intérim, le Premier ministre et le président de l'APN, entonnant également Djeich-chaâb khaoua khaoua" (Armée et peuple sont frères). Même atmosphère, même itinéraire, mêmes slogans scandés à cors et à cris en ce dixième vendredi contre les manœuvres " politiciennes " et " dilatoires " du pouvoir et qui rejettent un " gouvernement de bricolage ", tout comme à Annaba, à Tizi Ouzou ou Oran, la mobilisation populaire n'a pas manqué à critiquer le chef d'Etat intérimaire et le chef d'état-major appelé à accélérer la transition et revoir sa copie d'une " justice de spectacle ". Dans les wilayas de Tizi-Ouzou, Bouira, Bejaia et Boumerdes, les manifestants qui ont sillonné les artères principales de ces villes, dans une ambiance festive, ont demandé à travers les pancartes et banderoles déployées et les slogans scandés, le départ de "tous les représentants du régime actuel", l'instauration d'une "véritable démocratie", une "justice indépendante" et un Etat de droit. A Tizi-Ouzou, des marcheurs ont mis en scène l'arrestation d'un des symboles du régime. A Blida, Tipasa, Ain Defla, Chlef et Medéa, les citoyens ont rejoint, juste après la prière, les lieux de départ des marches pour poursuivre leur mouvement de protestation jusqu'à la satisfaction de leurs revendications dénonçant les tentatives de mettre en avant des "personnalités à la solde du régime". La marche de la wilaya de Chelf a été marquée par l'apparition de jeunes portants des gilets oranges qui avaient pour mission d'encadrer la manifestation, de préserver son caractère pacifique et de prévenir toute forme de violence. Les marcheurs qui ont réitéré leur soutien à l'institution militaire en scandant "Djeich chaab Khawa Khawa" (peuple et armée sont des frères), ont aussi lancé un appel pour mettre fin à la "Issaba" (bande) qui a ruiné le pays, des années durant. Dans l'ouest du pays, des milliers de citoyens ont organisé des marches pacifiques imposantes réclamant notamment un changement "radical" du système et la lutte contre la corruption. A Oran, les manifestants ont réitéré les revendications de changement radical du système et exprimant leur attachement à l'Armée nationale populaire. A Mostaganem, des milliers de citoyens dans la rue ont réclamé le départ ce qui reste des symboles du système et la poursuite de ceux impliquées dans des affaires de corruption et de dilapidation des deniers public. A Tlemcen, la participation a été plus importante que les marches précédentes, s'ébranlant depuis la place de la Grande-Mosquée au centre-ville et empruntant les principales artères jusqu'à haï "Imama". Les manifestants ont scandé les mêmes slogans avant de ses disperser dans un calme total. A Sidi Bel-Abbes, la nouveauté est l'apparition de groupes de jeunes habillés de gilets oranges qui oeuvrent pour la préservation du caractère pacifique du mouvement. A Relizane, Saïda, Aïn Témouchent, Tissemsilt, El Bayadh et à Naâma, ce sont des centaines de citoyens qui ont participé à des marches pacifiques appelant à un changement radical. Dans le sud du pays, les citoyens sont redescendus dans la rue afin de renouveler leur appel à un changement politique "profond". Les manifestants sont sortis après la prière d'El-Asr et ont marché pacifiquement à travers les principales artères des grandes villes, telles que Ouargla, Touggourt, El-Oued, Adrar et Tindouf, pour appeler à un changement "radical" et au départ de l'ensemble des figures du système, dont Bensalah et Bedoui. Encadrées par un dispositif de sécurité, déployé dans les points névralgiques des villes pour éviter tout dérapage, les manifestations se sont déroulées dans le calme. Au final, les manifestants se sont dispersés avant 18h00, un peu plus tôt que d'habitude, dans le calme cédant la place aux groupes des bénévoles engagés pour nettoyer les lieux de leurs villes respectives, faisant ainsi montre d'un sens élevé de citoyenneté et de civisme.
Désigner des interlocuteurs pour s'engager dans la transition La rue a une vie politique limitée et, en Algérie, elle ne peut continuer à manifester sans désigner des interlocuteurs pour s'engager en son nom dans la transition démocratique, a estimé le politologue Hasni Abidi, spécialiste du monde arabe et de l'Afrique du Nord. "La rue a une vie politique limitée et elle ne peut continuer à manifester sans désigner des interlocuteurs pour s'engager en son nom dans la transition démocratique. Il faut commencer le dialogue avec l'institution militaire", a expliqué ce chercheur qui est directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) à Genève, lors d'un débat organisé jeudi soir à l'IMA, soulignant que l'institution militaire ne veut pas et ne peut pas gérer la transition. Pour lui, il faut établir maintenant des passerelles entre les animateurs de la mobilisation, qu'il a qualifiée d'"inédite", et les tenants du pouvoir, soutenant que "l'armée est là et ne va pas partir, car on a besoin de cette institution". Il a estimé que les manifestants doivent maintenir la pression pour obtenir d'autres concessions de la part du régime, cependant, a-t-il fait observer, ils sont obligés de dégager des représentants sans exclusion aucune pour la pérennité de leur mouvement. Il a averti que des "dangers guettent cette révolution" et "les forces contre-révolutionnaires ne la veulent pas", sans donner de précision, d'où, a-t-il expliqué, la transition, une période de dialogue et de compromis, "a besoin d'un locomotive". "La transition démocratique n'est pas un moment de promenade. C'est un moment d'inquiétude et d'incertitudes", a-t-il dit, d'autant, a-t-il poursuivi, que le slogan "Non au 5e mandat" est une revendication politique, sociale et économique qui demande "le changement dans la redistribution de la rente pétrolière". Dans ce contexte, il a attiré l'attention sur le fait que "si la transition prend encore du temps, il y a un grand risque et l'Algérie pourrait s'épuiser sur le plan économique", estimant qu'aller à l'élection présidentielle le 4 juillet prochain est un "non-sens", d'autant, a-t-il expliqué, que "le corps électoral algérien, qui est dans la rue chaque vendredi, s'exprime et dit non à cette élection". Hasni Abidi a fait remarquer que "le centre de décision, avec cette mobilisation sans précédent, s'est déplacé et le peuple est devenu un acteur avec qui il faudra composer". L'autre intervenante au débat, organisé à l'Institut du monde arabe et qui a connu une assistance nombreuse, Razika Adnani, écrivaine, philosophe et islamologue, a adopté beaucoup plus un discours militant que de livrer à l'analyse dans ce rendez-vous de l'actualité. Cette chercheuse algérienne a d'abord indiqué que la mobilisation des Algériens depuis le 22 février "a totalement changé le visage de l'Algérie". Les Algériens, aux yeux du monde, "ne sont plus violents ou fanatiques". C'est un peuple, a-t-elle poursuivi, "qui a montré qu'il est pacifique, citoyen et pourvu d'une très grande maturité". Pour l'intervenante, les revendications "ne sont plus religieuses ou ethniques", elles sont "plutôt laïques". Elle considère le mouvement de véritable "révolution" au vrai sens du terme, soutenant que même si elle ne donne pas de résultats sur le plan politique, "elle a changé le peuple et sa mentalité". Cependant, elle n'a pas manqué d'exprimer son inquiétude quant à l'avenir de cette mobilisation populaire, soulignant que "s'il n'y a pas de changement politique et par la suite social et économique, l'image de l'Algérie va s'effondrer et probablement on risque de choisir la violence". Par ailleurs, elle a averti que toute transition n'est pas forcément démocratique, appelant le Hirak à "rester très vigilent". Signalons que l'ancien ministre du Commerce, Smaïl Goumeziane, prévu dans la soirée n'a pas joint les débats qui étaient animés par la journaliste de Médiapart Rachida El-Azouzi.