Le mois de mai 2019 a été marqué par un nouvel élan de tension dans les relations USA-Iran, qui s'aggravent depuis que Donald Trump a accédé à la présidence américaine après une légère détente pendant le second mandat de Barack Obama. Le retrait partiel de Téhéran du Plan d'action global commun sur le programme nucléaire a été suivi par un renforcement de la pression de Washington contre l'Iran, combinant une démonstration de la puissance militaire américaine au large de la République islamique et une rhétorique très dure des représentants officiels américains, écrit le quotidien Izvestia. Même la déclaration officielle faite le 29 mai par le guide spirituel de l'Iran, l'ayatollah Khamenei, selon laquelle l'élaboration de l'arme nucléaire était impossible dans le pays pour des raisons religieuses, n'a pas fait baisser la tension.
Des manœuvres d'envergure Le 8 mai, exactement un an après le retrait unilatéral des États-Unis du Plan d'action, le ministère des Affaires étrangères de l'Iran a notifié les autres pays signataires (la Russie, la Chine, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne) qu'il suspendait partiellement ses engagements concernant la limitation des stocks d'uranium enrichi et l'utilisation d'eau lourde. Cette décision est entrée officiellement en vigueur ce 15 mai. De plus, l'Iran a exigé des participants au Plan d'action qu'ils mettent au point dans un délai de 60 jours une solution pour compenser les pertes financières et économiques engendrées par les sanctions américaines adoptées à l'initiative de l'administration Trump. Dans le cas contraire, Téhéran considérerait qu'il est exempt de respecter ses engagements, inscrits dans le Plan d'action, de suspendre la production d'uranium enrichi. La goutte qui a fait déborder le vase de la patience iranienne a été la décision de la Maison-Blanche d'inscrire le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) sur la liste des organisations terroristes, ainsi que l'interdiction totale faite aux autres pays d'importer du pétrole iranien. Le fait est que ni l'Europe ni la Chine ni la Russie ne sont capables de rembourser aux Iraniens le préjudice économique causé par les USA. Le "talon d'Achille" de l'accord signé en été 2015 à Vienne entre l'Iran et les Six (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et l'Allemagne) est sa dépendance pratiquement totale de la position de Washington. Ce sont les sanctions américaines unilatérales contre la possibilité d'investir dans les projets pétroliers, gaziers et autres secteurs importants de l'économie iranienne qui constituent l'obstacle principal à sa modernisation technologique et à la croissance du PIB national. Dès que la politique de la Maison-Blanche a brusquement changé et que Donald Trump a annoncé la rupture de l'accord nucléaire, l'entente a vu surgir le risque d'un démantèlement total. Pendant un an, les Iraniens n'avaient adopté aucune contremesure en réponse aux agissements américains, supposant à juste titre que dans ce cas la critique des Américains, mais aussi des Européens, se focaliserait sur eux et non sur les actes de Washington. Ce 15 mai, à l'issue de son entretien avec le Président autrichien Alexander Van der Bellen, cette nuance importante a été soulignée par Vladimir Poutine, qui a noté que dès que l'Iran "annoncera lui-même qu'il se retire, le lendemain tout le monde oubliera que l'initiateur de la destruction était les États-Unis, et toute la culpabilité sera rejetée sur l'Iran. L'opinion publique mondiale se déplacera sciemment dans ce sens." La décision de l'Iran de suspendre ses engagements dans le cadre du Plan d'action a été suivie par un incident dans le golfe Persique: l'attaque commise le 12 mai par des forces inconnues contre quatre cargos pétroliers au large des Émirats arabes unis (deux sous pavillon saoudien, un sous pavillon émirati et un sous pavillon norvégien), que personne n'a revendiquée. De plus, tous les États du Golfe, Iran y compris, ont condamné cet incident. En outre, le 14 mai, les forces des Houthis chiites ont lancé depuis le territoire yéménite une attaque de drone contre deux stations de pompage de pétrole sur l'oléoduc East West Pipeline en Arabie saoudite. Les Américains soupçonnent l'Iran, qui aurait ainsi fait allusion à ses capacités de saboter les fournitures pétrolières du Moyen-Orient sur le marché mondial en cas de renforcement de la pression par les sanctions. Après quoi Washington a envoyé dans le golfe Persique un groupe aéronaval autour du porte-avions Abraham Lincoln, en projetant quatre bombardiers B-52 à la base aérienne américaine au Qatar. Par ailleurs, le 24 mai, les USA ont annoncé l'envoi au Moyen-Orient d'un contingent de 1.500 hommes afin de "contenir le potentiel militaire de l'Iran". Les actions des autorités américaines s'accompagnent d'une rhétorique dure des principaux représentants de sa politique étrangère. Ainsi, le conseiller du Président américain à la sécurité nationale John Bolton a évoqué l'utilisation d'une "force impitoyable" en réponse à toute agression des Iraniens. Le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a accusé Téhéran de n'avoir rempli aucune des conditions avancées par Washington pour signer un nouvel accord nucléaire. Dans sa manière excentrique, Donald Trump a promis la "fin" de l'Iran s'il menaçait les États-Unis. Sa dernière déclaration était liée au tir de missiles à proximité de l'ambassade américaine en Irak, dont des chiites pro-iraniens ont été accusés.
Étouffer et intimider L'escalade actuelle dans les relations entre Washington et Téhéran a une profonde base fondamentale et ne se limite pas au problème du programme nucléaire iranien. A la base de la confrontation entre les deux pays reposent des facteurs idéologiques et géopolitiques. Les Américains considèrent le régime théocratique mis en place en 1979 en Iran comme une menace pour leurs intérêts et la sécurité de leurs alliés au Moyen-Orient. C'est pourquoi l'objectif principal de la stratégie américaine en politique étrangère vis-à-vis de l'Iran consiste à créer des précurseurs extérieurs et intérieurs pour changer la politique des autorités du pays et, au final, démanteler le système politique actuel. Sachant que les démarches tactiques peuvent être différentes. Par exemple, la logique de l'administration Obama lors de la signature du Plan d'action sous-entendait que cet accord forcerait Téhéran non seulement à respecter des restrictions sévères concernant son programme nucléaire, mais rendrait également la société et l'économie iraniennes plus ouvertes au monde extérieur grâce à la levée des sanctions financières, commerciales et économiques. Que de grandes compagnies occidentales reviendraient dans le pays avec l'apparition d'investissements étrangers et d'emplois, que progressivement se formerait une classe moyenne iranienne qui dépendrait de l'Occident non seulement sur le plan économique, mais également culturel et moral. Cette nouvelle couche de la société aurait exercé à terme une pression de plus en plus grande sur le régime islamique pour sa libéralisation et n'aurait pas permis aux tendances conservatrices de triompher dans la vie sociopolitique et quotidienne du pays. Sachant que la Maison-Blanche était consciente du caractère inévitable d'une activité iranienne défavorable pour elle au Moyen-Orient en politique étrangère (notamment en Syrie, en Irak, au Liban, en Palestine et au Yémen), mais estimait lucidement son rôle comme relativement limité et comptait sur des changements à terme. A titre d'exemple, citons un extrait du discours de Barack Obama pendant la 70e session de l'Assemblée générale des Nations unies le 28 septembre 2015: "Le peuple iranien est en droit d'être fier de son histoire, qui témoigne de son potentiel éminent. Mais scander "mort à l'Amérique!" ne créera pas de nouveaux emplois et ne rendra pas le pays plus sûr. Si l'Iran choisissait une autre voie, ce serait un bienfait pour la sécurité de la région, pour les Iraniens eux-mêmes et pour le reste du monde." Mais la position de Donald Trump sur le dossier iranien diffère radicalement de celle de ses prédécesseurs. L'administration américaine actuelle pense seulement que l'Iran profite du Plan d'action pour reprendre sa respiration dans le contexte des sanctions américaines et cherche à endormir la vigilance de la communauté internationale en voilant ses intentions réelles. Selon cette vision, les actifs financiers iraniens débloqués grâce à l'accord nucléaire et les revenus des investissements étrangers dans l'économie du pays ne serviraient pas tant à améliorer la vie de la population qu'à soutenir les groupes pro-iraniens au Proche- et Moyen-Orient. Par conséquent, Washington estime qu'il faut revoir cet accord en imposant à l'Iran plusieurs exigences sortant du cadre du programme nucléaire, notamment celle de renoncer au soutien des alliés de Téhéran dans la région, de stopper le programme balistique nucléaire et de prendre des mesures pour libéraliser la situation politique nationale. Afin de forcer les Iraniens à s'y plier, la Maison-Blanche poursuit sa ligne visant à étouffer Téhéran économiquement. La dernière décision d'envergure en ce sens a été l'annulation du délai accordé à certains pays pour l'achat de pétrole iranien, qui était censé réduire au minimum les revenus pétroliers du pays. Les responsables américains disent constamment que cette pression vise le gouvernement iranien, et non les citoyens. Selon l'idée des Américains, la pénurie de ressources financières devrait pousser les autorités iraniennes à renoncer à leur politique étrangère active, entraîner une chute critique du niveau de vie de la population et créer les conditions sociopolitiques nécessaires pour changer le régime de l'intérieur. Les manœuvres militaires américaines dans le Golfe visent avant tout à exercer une pression psychologique sur Téhéran, mais la solution militaire au "problème iranien", à en juger par les déclarations de Donald Trump et de John Bolton, est considérée comme très indésirable car elle s'accompagnerait d'importants préjudices en termes de sécurité régionale et énergétique, ainsi que de pertes militaires éventuelles. La politique des États-Unis vis-à-vis de l'Iran est une copie quasi-intégrale de la stratégie américaine par rapport à la Fédération de Russie depuis 2014: faute de conflit armé entre les deux puissances nucléaires, on a fait appel à une brutale pression par les sanctions afin de stimuler des processus politiques intérieurs destructifs.
Téhéran tiendra-t-il le coup? Les conséquences de la ligne radicale actuelle de la Maison-Blanche à l'encontre de l'Iran ne peuvent pas être prédites avec une précision mathématique parce qu'elles dépendent de plusieurs facteurs aléatoires ou indirectement liés à ce problème. Seulement deux points clés peuvent être soulignés, dont dépend la durée de cette situation de crise. Premièrement: la durée du mandat présidentiel de Donald Trump. Le rapport d'avril du procureur spécial Robert Mueller, qui a dissipé les rumeurs sur l'implication de la Russie dans la victoire de Donald Trump à l'élection de 2016, a renforcé ses chances de se faire réélire en 2020. Mais si la victoire était remportée par un démocrate, une détente serait envisageable dans les relations bilatérales - comme à l'époque de Barack Obama. Le second facteur dont dépend la culmination de la tension actuelle est la résistance du système politique de Téhéran et les perspectives d'une passation de pouvoir en cas de décès du guide spirituel Khamenei. Ce dernier n'est pas seulement le chef juridique de l'État doté de très larges pouvoirs, mais également l'arbitre entre les principaux clans politiques du pays garantissant la stabilité de l'ensemble du régime. L'homme qui le remplacera ne possédera certainement pas une autorité morale comparable. De plus, il se pourrait que le poste de guide spirituel soit dissous au profit d'un triumvirat de leaders religieux, ce qui implique à terme l'apparition de nouvelles contradictions et différends au plus haut niveau politique. A l'heure actuelle, les sentiments anti-iraniens et les démarches de l'équipe de Donald Trump sont un excellent outil pour mobiliser la population iranienne autour de son gouvernement et pour la revanche politique des forces conservatrices aux prochaines législatives iraniennes en 2020 et à la présidentielle de 2021. Mais l'objectif principal des autorités iraniennes consiste à faire en sorte que les conséquences socioéconomiques négatives des sanctions américaines à l'intérieur du pays n'engendrent pas de larges sentiments protestataires au sein de la société visant à changer les fondements islamiques de l'ordre constitutionnel. Si ce problème était réglé dans les cinq prochaines années, il est fort probable que Téhéran parvienne à surmonter une nouvelle vague de pression de Washington.