Deux nouvelles attaques ont fait près de 40 morts le 17 juin 2019 dans le centre du Mali, où les massacres se multiplient, notamment parmi les Dogons et les Peuls. Comment mettre fin à cet engrenage? "Dissoudre et désarmer toutes les milices", suggère Alioune Tine, expert de l'Onu sur les droits de l'Homme dans ce pays, joint par Sputnik. À peine le deuil national de trois jours en hommage aux victimes du massacre de Sobame-Da, village dogon dans la région de Mopti (centre du Mali), s'est-il achevé que le gouvernement malien a annoncé de nouveaux massacres, perpétrés dans deux autres localités dogons de la même province. "Des attaques terroristes ont visé [...] lundi 17 juin 2019, dans la soirée, les localités de Gangafani et Yoro, dans le cercle de Koro, non loin de la frontière avec le Burkina Faso. Le bilan provisoire officiel est de 38 morts et de nombreux blessés", a annoncé Bamako dans ce communiqué daté du 18 juin. Selon le texte, "un contingent des forces de défense et de sécurité a été dépêché sur les lieux pour sécuriser les populations et leurs biens et traquer les auteurs de ces attaques". Autre nouvelle annoncée par le même communiqué: "une embuscade" contre une patrouille des forces maliennes dans la région de Tombouctou (nord). Ce piège a été tendu "par des terroristes à Banguimalam, au sud-ouest de Gossi. Des renforts ont été dépêchés pour secourir les éléments victimes d'attaques terroristes et sécuriser la zone", a indiqué le gouvernement, sans toutefois préciser de bilan. Le site Internet des Forces armées maliennes (FAMa), tenu par la Direction de l'Information et des Relations Publiques des Armées (DIRPA, ministère de la Défense) a aussi mentionné cette embuscade, survenue le 18 juin, ainsi que les attaques dans la zone de Koro. "Au cours de cet accrochage, les FAMa ont enregistré des pertes humaines et matérielles. Les évaluations suivront. Des renforts y ont été dépêchés", y est-il écrit. La même source affirme par ailleurs que les militaires maliens sont intervenus dans les deux villages dans la zone de Koro "attaqués par des terroristes", qui ont "fait plusieurs morts" et emporté du bétail. Sollicitée par Sputnik pour des précisions, une source au ministère de la Défense a décliné tout commentaire. Quelques jours avant ces attaques, le village de Sobame-Da, dans la commune de Sangha avait connu l'horreur: le 9 juin, selon plusieurs témoignages, des hommes armés sont arrivés, ont encerclé les lieux, incendié le village, abattu des habitants sans distinction d'âge et de sexe. Les autorités y ont dénombré 35 morts, selon un dernier bilan officiel provisoire, revoyant à la baisse le premier décompte annoncé le 11 juin, qui était "de 95 morts et 19 portés disparus". Le gouvernement avait décrété un deuil national de trois jours, du 13 au 15 juin. Dans le cadre d'une enquête ouverte à la suite de cette tuerie, le procureur antiterroriste s'est rendu à Sobame-Da avec une équipe de 36 personnes, selon des éléments de sa rencontre avec la presse mis en ligne le 19 juin par le cabinet du Premier ministre malien, évoquant notamment une dizaine d'interpellations. D'après ces notes, les assaillants étaient "plusieurs motocyclistes" ayant agi en groupes coordonnés, et certains des habitants ont reconnu parmi eux des voisins. La même source évoque un "bilan de l'attaque susceptible d'évoluer au fur et à mesure" de la progression de l'enquête, incluant 35 morts, neuf blessés dont sept par brûlures, 108 déplacés -uniquement des femmes et des enfants- dans le village de Koundou, et un nombre indéterminé dispersé dans d'autres localités. En outre, précise-t-elle, "29 personnes ont déjà été entendues par les enquêteurs et une dizaine de personnes ont été interpellées en lien avec les faits". Parmi les morts de Sobame-Da figurent 24 enfants. "Le village comptait 429 personnes avant l'attaque. Plus de 330 personnes parmi les rescapés se sont déplacées vers le cercle de Koro", a de son côté indiqué le Bureau de la coordination des Affaires humanitaires de l'Onu (OCHA) au Mali, dans un point sur les violences publié le 14 juin. "Une autre attaque s'est produite dans le village de Djoumbo-Peul, dans le cercle de Bandiagara, le 10 juin. Cette attaque a entraîné le déplacement d'environ 500 personnes, dont 310 enfants vers Sévaré", révèle OCHA-Mali. "Bien que la violence de l'attaque du village de [Sobame-Da] soit singulière, cette dernière est malheureusement un exemple parmi une multitude d'autres de la détérioration de la situation dans le Centre", constate-t-il. Ces tueries s'inscrivent en effet dans une sanglante série de massacres dans cette région, comme le 23 mars dans le village peul d'Ogossagou (157 morts selon le bilan officiel) et le 1er janvier dans le village peul de Koulogon (36 tués selon le bilan officiel). La région de Mopti est en proie ces dernières années à des violences entre communautés, particulièrement entre Peuls et Dogons. Les attaques impliquent divers protagonistes, allant des milices organisées et groupes d'autodéfense de circonstance aux bandes de voleurs de bétail ou trafiquants, en passant par des mouvements djihadistes. Ces derniers, alliés à des rebelles touareg, ont contrôlé pendant environ dix mois la moitié nord du Mali, entre 2012 et début 2013, avant d'être dispersés par une intervention militaire internationale déclenchée par la France, et qui se poursuit actuellement avec la Mission des Nations unies au Mali (MINUSMA), déployée depuis 2013. Le Sénégalais Alioune Tine, figure de la société civile africaine réputé dans son pays et à l'étranger, a été nommé, en 2018, par l'Onu expert indépendant et bénévole sur la situation des droits de l'Homme au Mali. Dans un communiqué publié le 14 juin, il a invité les autorités maliennes à faire cesser le cycle de violences, susceptibles de constituer des crimes contre l'humanité. "L'impunité pour ces crimes donne aux auteurs un sentiment d'immunité- et ces violations des droits de l'Homme, documentées presque toutes les semaines depuis plus d'un an, pourraient être qualifiées de crimes contre l'humanité", a déclaré dans son communiqué Alioune Tine. Dans une déclaration faite à Sputnik le défenseur des droits de l'Homme a évoqué plusieurs pistes pouvant aider le Mali à sortir de cet engrenage de violences, à commencer par "une réflexion collective" de tous les acteurs engagés dans le conflit et toutes les composantes de la société. "Ce sera une action civilo-militaire bien coordonnée", a-t-il insisté. Il faudrait aussi "dissoudre et désarmer toutes les milices" actuellement sur le terrain, mais également "renforcer les moyens humains matériels, financiers et humains de la Justice pour combattre l'impunité avec efficacité et dans la durée. Envisager sérieusement aussi la coopération judiciaire et le partage d'expériences. Renforcer le soutien de la communauté africaine et de la communauté internationale" au Mali, a encore affirmé Alioune Tine à Sputnik. D'après lui, il faudrait aussi "tenir un sommet de la CEDEAO [Communauté Économique des États de l'Afrique de l'Ouest, 15 pays, ndlr] et de l'UA [Union africaine, ndlr] sur ce qu'on appelle hâtivement les conflits intercommunautaires" au Mali. Aly Dia est président du Comité régional de la Croix-Rouge malienne de Mopti. Joint au téléphone par Sputnik, il s'est dit désemparé par la situation actuelle, même s'il n'était pas en mesure de fournir de statistiques globales ou de se prononcer sur les besoins dans l'immédiat, alors que plusieurs milliers de personnes ont afflué ces dernières semaines vers des villes considérées plus sûres, comme celles de Mopti -le chef-lieu de région- et de Sévaré, distantes d'une dizaine de kilomètres. "On est en train de faire des évaluations. Des centaines et des centaines de gens viennent" de zones où il y a eu des massacres ou des menaces de massacre, a dit Aly Dia. "Pour accueillir les déplacés, il faut des abris, il leur faut à manger, à boire, et aujourd'hui, on n'a rien sous la main. Voir les gens en détresse et ne rien pouvoir faire, en tant qu'humanitaire, ça fait mal au cœur", a-t-il déploré. OCHA-Mali a aussi alerté sur les répercussions de ces attaques récurrentes dans la région de Mopti pour les civils. Le bureau onusien que "plus de 312.000 personnes sont en situation de crise ou d'urgence alimentaire à Mopti (256.000) et Ségou (56.000), soit 56% de la population touchée dans le pays".