La Russie n'a pas l'intention de renforcer sa présence militaire dans le détroit d'Ormuz après la récente attaque contre des cargos pétroliers, a déclaré au quotidien Izvestia Vladimir Chamanov, chef de la commission de la défense de la Douma russe. D'après le chef de la commission de la défense de la Douma (chambre basse du parlement russe), "rien ne menace les navires russes" et il n'est donc "pas nécessaire de renforcer les mesures de sécurité" actuelles. Entre temps, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Arabie saoudite ont déjà envoyé des forces supplémentaires dans le détroit d'Ormuz, pour protéger leurs navires contre la "menace iranienne". Cependant, les autres pays européens n'ont pas réagi à cette provocation contre l'Iran, et cet incident ne détériorera pas leurs relations avec la République islamique, affirment les experts interrogés par le quotidien Izvestia.
Qui a attaqué Dans la soirée du 13 juin, immédiatement après l'attaque contre deux cargos - le premier sous le pavillon du Panama et le second sous celui des îles Marshall - le secrétaire d'État américain Mike Pompeo en a accusé l'Iran pendant la réunion extraordinaire du Conseil de sécurité des Nations unies. A titre de preuve, il a présenté un enregistrement vidéo où l'on voit des combattants portant l'uniforme iranien du Corps des gardiens de la révolution islamique retirer une mine non explosée de l'un des cargos. Selon le politicien, les Iraniens auraient ainsi voulu détruire les preuves de leur implication dans l'attaque. Le chef de la diplomatie américaine a rappelé que le 22 avril, alors que les sanctions avaient été durcies contre le secteur pétrolier iranien, Téhéran avait promis de bloquer le détroit d'Ormuz. "Ces attaques ne sont rien d'autre qu'une promesse tenue", a conclu Mike Pompeo. Le Président américain s'est joint à ces accusations, mais avec un certain retard - ce qui a suffi pour engendrer des rumeurs selon lesquelles Donald Trump n'était pas encore personnellement convaincu de l'implication de Téhéran dans les explosions. Les journalistes de CNN ont également exprimé des doutes, tout comme le quotidien israélien Haaretz, qui se demande pourquoi l'Iran aurait eu besoin d'organiser une telle attaque à ce moment précis. La position américaine a été soutenue par les ministères des Affaires étrangères de l'Arabie saoudite et du Royaume-Uni. Ces deux pays alliés de Washington ont annoncé l'envoi de forces supplémentaires dans la région. Moscou n'a pas l'intention de suivre l'exemple des États-Unis et de leurs alliés en renforçant la protection des navires dans la région, a déclaré à Izvestia Vladimir Chamanov. "Je ne vois aucune raison d'envoyer des forces supplémentaires pour la protection de nos navires traversant le détroit d'Ormuz", souligne le politicien. Ce détroit revêt une importance stratégique pour tout le marché pétrolier mondial car il voit transiter 40% des exportations mondiales d'hydrocarbures. Cependant, si l'on analyse plus en détail ses canaux d'exportations, on constate qu'Ormuz est de bien moindre importance pour la Russie. C'est pourquoi la présence de navires militaires russes pour la protection de la navigation maritime dans le détroit n'est pas aussi étendue, explique Vladimir Chamanov.
C'est dans le malheur qu'on reconnaît ses vrais amis La Russie et la Chine s'abstiennent pour l'instant de prendre des décisions hâtives, comme le fait Washington. Le Président iranien Rohani était également présent au sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui s'est déroulé les 13 et 14 juin à Bichkek: en cette période importante pour son pays, il cherchait manifestement un soutien de Moscou et de Pékin. Et il l'a obtenu. Pendant un entretien bilatéral avec le dirigeant iranien, le Président chinois Xi a déclaré qu'indépendamment des changements dans la situation régionale et internationale, la Chine "[avait] l'intention de maintenir ses relations de partenariat avec l'Iran". Lors de son entretien avec le chef de l'État iranien, Vladimir Poutine n'a pas évoqué l'incident dans le golfe d'Oman, mais s'est focalisé sur le processus de paix syrien et l'accord nucléaire, appelant tous les signataires du Plan d'action à respecter les termes de cet accord. Le Président iranien a souligné à son tour la nécessité d'une interaction plus active entre Moscou et Téhéran compte tenu de la situation actuelle dans la région. Le dirigeant iranien n'a jamais prononcé les termes "cargo" ou "Ormuz", mais même sans cela l'objet de ses propos était clair. Les membres européens de l'accord nucléaire, l'Allemagne et la France, ont également décidé d'attendre avant d'accuser l'Iran. Ainsi, le ministre allemand des Affaires étrangères Heiko Maas a publiquement exprimé sa méfiance envers les preuves apportées par les États-Unis concernant l'implication de Téhéran dans l'explosion des deux cargos. Selon Vladimir Fitine, directeur de l'Institut du Proche- et du Moyen-Orient, une telle distanciation de Berlin montre une fois de plus que l'Europe occidentale n'est pas prête à renoncer aussi simplement au partenariat avec l'Iran. "Les déclarations américaines concernant l'implication de Téhéran dans les attaques sont une fake news du même acabit que leurs déclarations sur l'utilisation de l'arme chimique par le gouvernement de Bachar el-Assad. Les Européens occidentaux ne sont pas si aveugles pour mordre à tous les hameçons de Washington. Ils savent parfaitement que c'est une accusation infondée, c'est pourquoi, comme dans le cas avec l'accord nucléaire, ils ne s'empresseront pas de rompre avec l'Iran", déclare l'expert. D'après lui, il ne faut pas s'attendre pour le moment à une pression de sanctions de l'UE contre Téhéran, du moins pas jusqu'à la fin de l'enquête internationales sur les traces de l'attaque contre les cargos. Vladimir Fitine doute également que les Israéliens aient pu se trouver derrière cette attaque. Même si le Mossad a déjà commis de telles opérations et qu'en principe l'affaiblissement de l'Iran serait bénéfique pour Israël, l'utilisation de mines magnétiques est trop grossière d'un point de vue technique. "Je pense que les Israéliens ont des opérations plus sérieuses et réfléchies. Il ne faut pas exclure que derrière l'attaque ne se trouvait pas un État mais un groupuscule ou une compagnie", poursuit l'orientaliste. Cet incident doit également être analysé à travers le prisme de la configuration régionale, à savoir comment se comporteront les acteurs tels que le Qatar et Oman, qui ont des liens solides avec l'Iran. Comme l'a expliqué Elena Souponina, conseillère du directeur de l'Institut russe d'études stratégiques, Oman est toujours très prudent dans ce genre de situations et n'ira certainement pas jusqu'à rompre ses relations avec Téhéran ou Riyad. "Au contraire, l'équidistance d'Oman, la lucidité avec laquelle ses autorités évaluent les événements, sera extrêmement sollicitée pour la médiation entre l'Iran et les pays du Golfe ou les États-Unis, qui est tellement nécessaire aujourd'hui", souligne l'experte. Quant au Qatar, ce n'est pas aussi simple: après la crise de 2017, quand pratiquement tous les pays du Golfe et l'Égypte avaient annoncé la rupture de leurs relations diplomatiques avec Doha, l'émirat avait commencé à renforcer ses relations avec l'Iran et la Turquie. Aujourd'hui, les monarchies arabes éperonnées par Washington tentent de faire repasser le Qatar de leur côté dans la lutte commune contre Téhéran. Fin mai, les Saoudiens ont invité l'émir qatari au sommet d'urgence du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à La Mecque, mais la détente attendue dans les relations entre les deux voisins n'a pas eu lieu. "La méfiance reste trop grande entre ces pays, ainsi que l'aversion personnelle entre les princes, qu'il est difficile de surmonter", indique Elena Souponina. Vladimir Poutine pense que l'attaque contre les cargos pétroliers dans le Golfe n'est certainement pas la dernière. Selon lui, "les États-Unis continueront de mener leur propre jeu contre l'Iran en organisant de telles provocations".