Pierre Sang Papier ou Cendre 1830-1962, le dernier ouvrage de Maïssa Bey coédité récemment chez l'aube et Barzakh sera incessamment adapté au théâtre sous le titre de “ Madame Lafrance .”Adapté déjà par Jean-Marie Le Jude qui a auparavant porté à la scène son roman, Entendez-vous dans les montagnes paru en 2005, la pièce sera créée les 6 et 7 mai au Théâtre d'Epernay. L'écrivaine qui est une mordue de son aîné Assia Djebbar revient à travers ce roman sur ces préoccupations historiques tout comme elle l'a déjà fait dans Entendez vous dans les montagnes où elle narre l'épisode colonial à travers l'engagement de son propre père. Comme elle l'a toujours soutenu, Maïssa Bey ouvre plein l'écran sur l'Histoire pour appréhender le présent et l'avenir. Les missions civilisatrices des anciennes métropoles qui ont spolié les peuples d'Afrique et d'Outre mer de leur terre et de leurs richesses, elle les tourne en dérision donnant à voir lire une idée plus juste de ce que fut la colonisation. “ Pendant 132 ans, madame Lafrance s'est installée sur “ ses ” terres pour y dispenser ses lumières et y répandre la civilisation, au nom du droit et du devoir des “ races supérieures ”. Face à elle, l'enfant, sentinelle de la mémoire, va traverser le siècle, témoin à la fois innocent et lucide des exactions, des spoliations et des entreprises délibérées de déculturation, jusqu'à la comédie de la fraternisation. ” écrit Maïssa Bey. Dans ce livre l'auteur a encore une fois entrepris de prendre la parole et de la redonner à un vaste chœur de sans voix. Au sortir de “ l'immédiat d'une violence et d'une horreur quotidiennes ” de la décennie 90 où “ écrire était un acte de survie ”, confiait récemment Maïssa Bey au Monde des Livres (3 avril), j'ai ressenti le besoin de comprendre le présent à la lumière du passé, de l'approfondir pour me réapproprier mon histoire ”. Dans les première pages de son récit la romancière note : “Elle avance. Droite, fière, toute de morgue et d'insolence, vêtue de probité candide et de lin blanc, elle avance. C'est elle, c'est bien elle, reconnaissable en ses atours. Tout autour d'elle, on s'écarte. On s'incline. On fait la révérence. Elle avance, madame Lafrance. Sur des chemins pavés de mensonges et de serments violés, elle avance. C'est elle, c'est bien elle, dans l'habileté de ses détours, dans l'arrogance de ses discours. Claquez pavillons ! Aux armes, citoyens ! Formez les bataillons, en rangs serrés ! Tous derrière elle ! Et vous, peuplades barbares, écartez-vous, prosternez-vous ! Déposez à ses pieds tributs et actes d'allégeance ! Que nul maraud n'ait l'audace de se dresser sur son chemin : elle avance ! (…) Caché dans une anfractuosité de la roche, à l'abri derrière un nid de broussailles, l'enfant s'efforce de ne pas bouger. Il est à présent cerné par la nuit. Au cœur des ténèbres, la plainte des chacals ne cesse que pour mieux reprendre. Ils sont là, tout près, à l'affût. Ils sont des centaines, peut-être des milliers, dont le jappement aigu transperce la nuit, de part en part. De leurs yeux jaunes et luisants, ils scrutent les ténèbres pour y repérer quelque proie ou encore une charogne. Quittant leurs gîtes, ils sont arrivés très vite, avant même que la nuit ait pris ses quartiers sur ces quelques arpents de terre, abusés sans doute par les fumées noires et denses qui oblitéraient le jour.” écrit-elle. Entendez-vous dans les montagnes -Aube, 2002- raconte l'arrestation et l'exécution de son père par l'armée française durant la guerre de libération. Cet ouvrage sera suivi de “Beau Bleu, blanc, vert ” -Aube, 2004- qui narre l'histoire d'un immeuble d'Alger, une métaphore de la maison Algérie depuis quarante ans. “ Pierre Sang Papier ou Cendre ” met en scène la traversée du siècle par un enfant auquel rien ne va échapper.