Adapté du roman Pierre Sang Papier ou Cendre de Maïssa Bey, Madame La France est une pièce de 50 minutes qui revient sur la colonisation française en Algérie par le mécanisme de la mémoire. De la culpabilité, une belle prose poétique qui a gommé le jeu de scène, ainsi qu'un intéressant retour dans la mémoire… Le Centre culturel français d'Alger a abrité, dimanche et lundi, deux représentations consécutives de la pièce Madame La France de Jean-Marie Lejude, d'après un texte de l'écrivaine Maïssa Bey. En fait, Madame La France est l'adaptation théâtrale du roman Pierre Sang Papier ou Cendre, de Maïssa Bey, sorti l'année dernière, dans une coédition algéro-française (Aube-Barzakh), et qui a reçu lors du dernier Sila, le prix du meilleur roman francophone. Le roman, que l'auteure elle-même nomme volontiers “objet littéraire”, est une fresque symbolique, écrite en prose poétique, et qui met en scène un enfant traversant les 132 ans de la colonisation, à travers 23 chapitres… tableaux. Pour le théâtre, Pierre Sang Papier ou Cendre s'est transformé en Madame La France. En effet, dans cette adaptation, deux comédiens partagent la scène à savoir, Fatima Aïbout et Lahcen Razzougui, ainsi qu'une accordéoniste très talentueuse : Marine Mane. Les trois protagonistes se disputent une scène vide avec un arrière-plan où des images étaient projetées. En réalité, on ne saurait raconter cette pièce qu'on classerait volontiers dans le registre du théâtre expérimental. Madame La France est difficilement compréhensible pour ceux qui n'ont pas lu le roman, car le seul fil conducteur est Madame La France qui est “chez elle là où elle va”. De la conquête de Sidi Ferruch en 1830, aux innombrables batailles de révolutionnaires algériens comme El-Mokrani en 1871, en passant par l'Exposition coloniale en 1931, la pièce passe en revue tous les évènements qui se sont greffés à la colonisation tout en mettant en exergue que “Madame La France est chez elle là où elle va”.Et puis, il y a le fameux Si Laloi, responsable des malheurs de tous. Qui était-il ? Que faut-il faire pour l'exterminer, pour qu'il ne sévisse plus ? Dans cette succession de tableaux ponctués par des airs d'accordéon, le spectateur est livré à lui-même. En effet, il n'y a aucune indication pour le spectateur puisque chacun des personnages récite, voire déclame son texte sans lui donner pour autant des éléments qui l'aiderait dans la compréhension. Inutile donc de tenter d'élaborer une grille de lecture horizontale à la pièce.Par contre, le propos – et c'est là tout l'intérêt – est extrêmement intéressant puisque le roman et la pièce traitent de la colonisation française et de ses “bienfaits”. Suite à la loi du 23 février 2005 sur les bienfaits de la colonisation, Maïssa Bey a eu l'ingénieuse idée de faire un livre sur la colonisation… et s'est appuyée dans l'élaboration de son roman sur les témoignages et les écrits de ceux qui sont passés ou ont séjourné dans l'Algérie française. Elle ne voulait aucunement se substituer aux historiens, et le propos de son livre tourne autour de la mémoire. Mais à la lecture, et même en assistant à la représentation, on réalise tout de même que le propos est choquant et même très violent. Maïssa Bey, qui appartient à une génération qui n'en pas encore fini avec le duo choc France-Algérie et encore moins avec la culpabilité, ne ménage pas la sensibilité de son lecteur, encore moins de son spectateur, puisqu'elle fait un montage poétique de tous les clichés, stéréotypes et préjugés qu'ont les colonisateurs envers les autochtones dans leur noble mission civilisatrice. C'est donc cela la civilisation ! Le temps d'un spectacle d'une cinquantaine de minutes, les colonisés ont été écrasés, “bounioulisés” à outrance, malmenés et réduits à des “sous-hommes”.Mission donc accomplie pour Maïssa Bey et Jean-Marie Lejude pour ce retour dans temps et dans l'histoire, pardon… dans la mémoire, qui a rappelé à plus d'un, à quel point la France coloniale a civilisé les peuples qu'elle a colonisés. Evitons par ailleurs d'évoquer la crise identitaire ou encore le régionalisme croissant que cette mission civilisatrice a engendrés. Sara Kharfi