Ashraf Ghani, le chef de l'Etat afghan réélu et son rival Abdullah Abdullah qui conteste sa victoire, ont tout deux prêté serment lundi à Kaboul comme présidents de l'Afghanistan, plongeant le pays, déjà dans l'insécurité, dans une nouvelle crise institutionnelle alors qu'un dialogue inter-afghan devait se tenir le lendemain. Après un long dépouillement et de nombreux recours, la commission électorale afghane avait annoncé le 18 février la victoire d'Ashraf Ghani avec 50,64% des voix sur son principal adversaire Abdullah Abdullah à l'élection présidentielle du 28 septembre. Des discussions de dernière minute visant à trouver un compromis ont duré jusqu'à tard dans la nuit de dimanche à lundi, mais n'ont pas abouti. Le lendemain, la capitale afghane Kaboul avait été le théâtre de deux prestations de serment pour la même fonction dans deux ailes différentes du Palais présidentiel, au même moment où deux explosions ont retenti à l'extérieur, qui ont fait un blessé parmi les policiers, selon le ministère de l'Intérieur. Cet incident souligne le niveau d'insécurité qui reste très élevé malgré le processus de paix qui a pour l'instant abouti à la signature, le 29 février à Doha (Qatar), d'un accord historique entre les Etats-Unis et les talibans afghans après 18 années de guerre. Le président Ghani, a juré lors de son discours d'investiture de "respecter et de superviser l'application de la Constitution", tandis que Abdullah, candidat malheureux du scrutin de septembre et qui a lui aussi prêté serment, a déclaré : "le peuple afghan m'a confié une énorme responsabilité". Le scénario rappelle les pires moments du scrutin de 2014, que les deux mêmes protagonistes affirmaient avoir remporté. La crise avait alors duré trois mois et n'avait été résolue qu'après une médiation américaine.
Un dialogue inter-afghan affaibli Cette querelle entre le président Ghani et son rival intervient alors que le gouvernement s'apprêtait mardi à négocier l'avenir du pays avec les talibans. En effet, un dialogue inter-afghan devait réunir les talibans, les autorités, l'opposition et la société civile, pour tenter de trouver un terrain d'entente. Ces négociations, actées dans l'accord signé le 29 février dernier, devraient être retardées à une date ultérieure en raison d'une clause à laquelle Ashraf Ghani s'est opposé dans cet accord, non ratifié par son gouvernement: la libération de jusqu'à 5.000 prisonniers talibans en échange de la libération de jusqu'à 1.000 membres des forces afghanes. Ce texte prévoit également le retrait total des forces américaines et étrangères d'Afghanistan sous 14 mois, en échange de "garanties" des talibans en matière de lutte antiterroriste et du lancement de négociations "directes" sans précédent entre le gouvernement afghan et les talibans. Mais si l'armée américaine a bien annoncé, lundi, avoir entamé le retrait graduel de ses troupes d'Afghanistan, pour porter ses effectifs d'environ 13.000 militaires actuellement à 8.600 dans les 135 jours, la double cérémonie d'investiture se dresse comme un nouvel obstacle aux négociations de paix. Dans sa réaction à la crise institutionnelle actuelle en Afghanistan, Washington a appelé à la "formation d'un gouvernement inclusif", se disant opposé à un "gouvernement parallèle". "Nous nous opposons fermement à tout acte visant à former un gouvernement parallèle", a ainsi déclaré le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, assurant "travailler à la conclusion d'un accord" Ghani-Abdullah. Il a salué, en outre, certaines déclarations "apaisantes" du chef de l'Etat afghan, à savoir que les négociations continueraient "au cours des deux prochaines semaines pour parvenir à un accord sur un gouvernement inclusif" et qu'un décret statuerait mardi sur la libération de prisonniers talibans et la formation d'une équipe nationale pour les négociations inter-afghanes. Il a également "accueilli avec satisfaction" des déclarations d'Abdullah Abdullah en faveur "de la paix". En outre, les Etats-Unis ont présenté un projet de texte au Conseil de sécurité de l'ONU, "exhortant le gouvernement afghan à faire avancer le processus de paix via notamment une participation à des négociations inter-afghanes, avec une équipe de négociateurs diverse et inclusive composée de dirigeants politiques et de la société civile, incluant des femmes". Les combats ont repris de plus belle depuis que les talibans ont mis fin le 2 mars à une trêve partielle de neuf jours et repris leurs attaques contre les forces de sécurité afghanes, tuant des dizaines de personnes en une semaine.