Photo : Zoheïr Par Abderrahmane Semmar Notre jeunesse est livrée à l'ennui, au désœuvrement et au vide social. C'est là une réalité amère que nous observons quotidiennement. En manque de loisirs, de sorties ou d'évasions, nos jeunes se «prélassent» au pied de leurs immeubles en s'adossant aux murs, se regroupant en cliques et s'adonnant aux jeux de hasard. Ce n'est là nullement un cliché réducteur, mais bel et bien une réalité patente. Et le malaise est tel qu'il a fini par dépasser tous les clivages sociaux. Ainsi, riches ou pauvres, salariés ou chômeurs, l'ennui gagne tous les cœurs et encourage même des phénomènes dangereux. Si incroyable que cela puisse paraître, dans notre pays, il n'y a pas que la misère sociale qui pousse des jeunes à braver la mort en traversant la Méditerranée sur des embarcations de fortune. Eh oui, le spleen mène aussi à la harga. Des harraga qui ont raté leur traversée et d'autres qui y sont candidats n'hésitent pas à citer le «dégoûtage», pour reprendre leur terminologie, comme l'une des principales raisons de leur désir de harga. «Moi, mon père est riche. Je n'ai pas donc de souci d'argent. Même si je ne travaille pas, ma famille m'entretient. Cela dit, dans ce pays, je me sens vraiment mal dans ma peau. Ma vie n'a aucun sens. Je ne fais que tourner en rond à longueur de journée. C'est pour cela que je pense à la harga. Le visa, je l'ai demandé. Mais à chaque fois, on me le refuse. Alors je suis prêt à mettre 9 ou 10 millions pour embarquer d'Oran et rejoindre l'Espagne. Je ne veux plus moisir ici», raconte Fodil, 25 ans, un jeune originaire de Médéa qui parle à cœur ouvert de ce spleen dévastateur. «J'ai des amis qui sont issus également de familles très riches. Eux aussi, ils ont tenté la harga et ils ont réussi à s'installer en Espagne. Ils vivent bien maintenant et se débrouillent pas mal. Croyez-moi, même si mon père me laisse toutes ses boutiques, je préférerais tenter ma chance parmi les harraga car ici je m'ennuie à mourir», explique encore Fodil dont le désir de partir ailleurs brûle au plus profond de ses tripes. Amine, 26 ans, fils d'une richissime famille de Blida, a lui aussi ras-le-bol de sa vie routinière. «Moi, je suis résolu à partir coûte que coûte de ce pays désespérant. Ça ne m'intéresser plus de dépenser mon argent ici et de tourner en rond sans évoluer. Les jours se suivent et se ressemblent. On va dans les mêmes restaurants, dans les mêmes clubs pour faire les mêmes choses. J'en ai marre de ce rythme de vie. Je vais essayer d'acheter un visa pour m'installer en Europe. Si ça ne marche pas, j'irai en harag. Je ne veux pas gâcher ma jeunesse dans ce pays», confie-t-il. Mais, lui, le gosse de riche, la harga ne lui fait-elle pas peur ? «Non pas du tout. En été, la mer est calme. Des amis m'ont certifié que, d'Annaba à la Sardaigne, la traversée est sans danger. Je suis prêt à m'aventurer pourvu que je quitte ce pays où je risque de déprimer durant tout le reste de mes jours», rétorque-t-il. Selon Fodil et Amine, des jeunes comme eux ne sont guère une exception. «L'argent, ce n'est pas le bonheur et la jeunesse vaut de l'or. On cherche à être heureux sous des cieux plus cléments», assurent-ils. Dans quelques semaines, dans quelques mois, nos deux interlocuteurs prendront le large pour fuir… la sinistrose et le spleen ambiant de notre société. Sur les vidéos qui circulent sur le Net, on distingue aisément des harraga chiquement habillés en veste de cuir, chaussés de Nike et d'Adidas dernier cri. Ceux-là fuient-ils le chômage ou la misère de leur pays ? Certainement pas…