La pièce de Christophe Botti raconte la guerre d'Algérie en détricotant les secrets d'une famille de pieds-noirs. Une fois révélée, la vérité provoque une réaction en chaîne : tolérance, respect et réconciliation. Djalil, interprété par Issame Chayle, a retrouvé le journal de son père Maurice. Début des années 1980. Dans une maison de campagne française, le portrait de Maurice Molina trône –sombre, écrasant, inquiétant. L'enseignant n'est plus de ce monde : il s'est suicidé après un retour forcé d'Algérie, où la guerre d'indépendance contre la France menaçait sa femme Marcelle, ses jumeaux Jasmine et François et son fils Djalil. Pourquoi a-t-il décidé d'en finir ? Il ne s'est jamais pardonné la trahison de son «frère» Abdalah. Une trahison née d'un amour profond pour l'Algérie. Maurice (Manuel Blanc) voulait qu'elle reste française. Il s'est battu, il a torturé pour ça. «Nous devions les faire parler... Pour éviter des crimes... Des attentats... Il faut comprendre, Abdalah.» Son compagnon, lui, s'est souvent montré partagé. «Abdalah : Les Français sont des colons. Nous n'avons pas les mêmes droits que vous. Maurice : Les Français ont apporté tout ce qui fait ce pays aujourd'hui. Abdalah : Je sais... Je sais... Maurice : Tu hésites. Abdalah : La balance peut pencher des deux côtés.» Au final, la balance a penché des deux côtés. Ceux que tout rassemblait se sont déchirés. Impossible désormais de percevoir les mêmes valeurs derrière les mots de la devise française : «Liberté, égalité, fraternité». Leur amitié n'y a pas survécu… C'est l'un des nombreux secrets consignés dans le journal intime de Maurice, que Djalil (Issame Chayle) a retrouvé, lu et dont il partage quelques passages avec sa famille –où il ne s'est jamais vraiment senti à sa place. Car si sa relation s'est révélée fusionnelle avec sa sœur Jasmine (Déborah Grall), il s'est souvent senti rejeté par sa mère Marcelle (Gabrielle Lazure) et son frère François (Robin Causse), qui est allé jusqu'à remettre en cause son lien génétique aux Molina. Quoi qu'il en soit, les trois enfants incarnent au moins une fois Abdalah. Symbolique. «C'est vraiment l'idée d'aller s'emparer de son histoire, son héritage, souligne Christophe Botti, auteur de la pièce. Tu rentres dans l'histoire, tu rentres dans la peau du personnage et tu vis de l'intérieur ce qui s'est passé. C'est peut-être ça la voie de la guérison quand on a la blessure du passé : c'est de le revivre.» Des contrastes à la réconciliation Ambiancée par la musique de Karim Medjebeur, la pièce Frères du Bled, joue sur les contrastes. Le passé, le présent. La vérité, le mensonge. La haine, l'amour. Liens du sang, liens du cœur. La guerre, la paix. La peur, le courage. La mort, la vie. L'apparence, la réalité. L'ombre, la lumière… Une lumière qui habite d'ailleurs la scène au fur et à mesure que les secrets sont révélés. Résultat, même le portrait de Maurice ne semble plus aussi dur. Un peu comme si la terre devenait plus légère pour le disparu. La pièce mise en scène par Thierry Harcourt vise-t-elle à la réconciliation ? «Ça ne dépend pas de moi, mais je pense qu'elle est bienfaitrice. J'ai essayé de souligner que tout le monde est responsable et que personne n'est responsable. Je n'avais pas un parti pris pour les Algériens pro ou anti-français, pas un parti pris pour les harkis, pas un parti pris pour les pieds-noirs non plus», précise Christophe Botti, dont la fiction a remporté le concours Théâtre du XXIe siècle organisé par la Scène Watteau de Nogent-sur-Marne, près de Paris, et l'association Beaumarchais. Une neutralité de rigueur sur un sujet si sensible. Il en sait quelque chose. Son oncle refuse de parler de la guerre d'Algérie même après avoir vu le spectacle de 1h30. Chez Luca, un spectateur descendant de pieds-noirs ayant fui l'Algérie, c'était aussi jusqu'à récemment la loi du silence. «"C'est des vieux souvenirs qui font mal, qui servent à rien", dixit mes grands parents.» Un discours qui rappelle celui de Marcelle, qui lance sur les planches, amère : «Ça fait mal de remuer toute cette fange.» «Je me suis mis à pleurer à des moments où je ne m'y attendais pas du tout, confie le jeune comédien Luca. Rien que d'en parler, j'en ai encore des frissons. Toute la force et toute la légitimité de chaque personnage… Et même de Robin Causse sur le personnage raciste de François. Ok, il est détestable. Certes. Mais il a ses raisons, par rapport à où et à comment il a grandi… En fait, tout ça rappelle qu'on est juste des êtres humains.» Un sujet qui reste sensible Issame Chayle, qui campe Djalil, témoigne pour sa part : «J'ai emmené ma famille voir la pièce, et ils ont adoré. Ça a permis de débloquer des conversations que je n'avais pas pu débloquer avant», indique le souriant comédien d'origine algéro-marocaine, avant de saluer «la tolérance, le respect» véhiculés. D'où ses regrets qu'il n'y ait pas plus de productions théâtrales ou cinématographiques sur ce que d'aucuns appellent les «événements». Un regret que partage Abel Jafri, qui a joué dans le téléfilm Harkis (2006) : «Il y a vraiment une frilosité à traiter d'un tel sujet alors qu'il faut y aller à fond, évacuer ce qu'il y a à évacuer. Parce que des deux côtés, des gens ont souffert. Les harkis, c'est un problème qui n'est toujours pas réglé en France, qui reste très délicat et qui est affreux pour ceux qu'on a parqués dans des camps jusqu'à il n'y a pas si longtemps. Il y a aussi le problème des pieds-noirs, qui ont vécu là-bas, c'était chez eux, ils sont partis dans la douleur. Et puis le problème de l'Algérie et de la France.» Car Alger exige de Paris qu'elle demande pardon pour la guerre. Dans ce contexte tendu, Christophe Botti gage qu'il sera difficile de jouer Frères du Bled dans les lycées. D'autant qu'approche le cinquantenaire des Accords d'Evian de 1962, qui mirent fin au conflit et débouchèrent sur l'indépendance de l'Algérie. Sans parler de la polémique autour du film Hors-la-Loi (2010), du réalisateur Rachid Bouchareb. La preuve qu'on ne peut pas ouvrir le débat sans ouvrir la boîte de Pandore ? La pièce de Christophe Botti raconte la guerre d'Algérie en détricotant les secrets d'une famille de pieds-noirs. Une fois révélée, la vérité provoque une réaction en chaîne : tolérance, respect et réconciliation. Djalil, interprété par Issame Chayle, a retrouvé le journal de son père Maurice. Début des années 1980. Dans une maison de campagne française, le portrait de Maurice Molina trône –sombre, écrasant, inquiétant. L'enseignant n'est plus de ce monde : il s'est suicidé après un retour forcé d'Algérie, où la guerre d'indépendance contre la France menaçait sa femme Marcelle, ses jumeaux Jasmine et François et son fils Djalil. Pourquoi a-t-il décidé d'en finir ? Il ne s'est jamais pardonné la trahison de son «frère» Abdalah. Une trahison née d'un amour profond pour l'Algérie. Maurice (Manuel Blanc) voulait qu'elle reste française. Il s'est battu, il a torturé pour ça. «Nous devions les faire parler... Pour éviter des crimes... Des attentats... Il faut comprendre, Abdalah.» Son compagnon, lui, s'est souvent montré partagé. «Abdalah : Les Français sont des colons. Nous n'avons pas les mêmes droits que vous. Maurice : Les Français ont apporté tout ce qui fait ce pays aujourd'hui. Abdalah : Je sais... Je sais... Maurice : Tu hésites. Abdalah : La balance peut pencher des deux côtés.» Au final, la balance a penché des deux côtés. Ceux que tout rassemblait se sont déchirés. Impossible désormais de percevoir les mêmes valeurs derrière les mots de la devise française : «Liberté, égalité, fraternité». Leur amitié n'y a pas survécu… C'est l'un des nombreux secrets consignés dans le journal intime de Maurice, que Djalil (Issame Chayle) a retrouvé, lu et dont il partage quelques passages avec sa famille –où il ne s'est jamais vraiment senti à sa place. Car si sa relation s'est révélée fusionnelle avec sa sœur Jasmine (Déborah Grall), il s'est souvent senti rejeté par sa mère Marcelle (Gabrielle Lazure) et son frère François (Robin Causse), qui est allé jusqu'à remettre en cause son lien génétique aux Molina. Quoi qu'il en soit, les trois enfants incarnent au moins une fois Abdalah. Symbolique. «C'est vraiment l'idée d'aller s'emparer de son histoire, son héritage, souligne Christophe Botti, auteur de la pièce. Tu rentres dans l'histoire, tu rentres dans la peau du personnage et tu vis de l'intérieur ce qui s'est passé. C'est peut-être ça la voie de la guérison quand on a la blessure du passé : c'est de le revivre.» Des contrastes à la réconciliation Ambiancée par la musique de Karim Medjebeur, la pièce Frères du Bled, joue sur les contrastes. Le passé, le présent. La vérité, le mensonge. La haine, l'amour. Liens du sang, liens du cœur. La guerre, la paix. La peur, le courage. La mort, la vie. L'apparence, la réalité. L'ombre, la lumière… Une lumière qui habite d'ailleurs la scène au fur et à mesure que les secrets sont révélés. Résultat, même le portrait de Maurice ne semble plus aussi dur. Un peu comme si la terre devenait plus légère pour le disparu. La pièce mise en scène par Thierry Harcourt vise-t-elle à la réconciliation ? «Ça ne dépend pas de moi, mais je pense qu'elle est bienfaitrice. J'ai essayé de souligner que tout le monde est responsable et que personne n'est responsable. Je n'avais pas un parti pris pour les Algériens pro ou anti-français, pas un parti pris pour les harkis, pas un parti pris pour les pieds-noirs non plus», précise Christophe Botti, dont la fiction a remporté le concours Théâtre du XXIe siècle organisé par la Scène Watteau de Nogent-sur-Marne, près de Paris, et l'association Beaumarchais. Une neutralité de rigueur sur un sujet si sensible. Il en sait quelque chose. Son oncle refuse de parler de la guerre d'Algérie même après avoir vu le spectacle de 1h30. Chez Luca, un spectateur descendant de pieds-noirs ayant fui l'Algérie, c'était aussi jusqu'à récemment la loi du silence. «"C'est des vieux souvenirs qui font mal, qui servent à rien", dixit mes grands parents.» Un discours qui rappelle celui de Marcelle, qui lance sur les planches, amère : «Ça fait mal de remuer toute cette fange.» «Je me suis mis à pleurer à des moments où je ne m'y attendais pas du tout, confie le jeune comédien Luca. Rien que d'en parler, j'en ai encore des frissons. Toute la force et toute la légitimité de chaque personnage… Et même de Robin Causse sur le personnage raciste de François. Ok, il est détestable. Certes. Mais il a ses raisons, par rapport à où et à comment il a grandi… En fait, tout ça rappelle qu'on est juste des êtres humains.» Un sujet qui reste sensible Issame Chayle, qui campe Djalil, témoigne pour sa part : «J'ai emmené ma famille voir la pièce, et ils ont adoré. Ça a permis de débloquer des conversations que je n'avais pas pu débloquer avant», indique le souriant comédien d'origine algéro-marocaine, avant de saluer «la tolérance, le respect» véhiculés. D'où ses regrets qu'il n'y ait pas plus de productions théâtrales ou cinématographiques sur ce que d'aucuns appellent les «événements». Un regret que partage Abel Jafri, qui a joué dans le téléfilm Harkis (2006) : «Il y a vraiment une frilosité à traiter d'un tel sujet alors qu'il faut y aller à fond, évacuer ce qu'il y a à évacuer. Parce que des deux côtés, des gens ont souffert. Les harkis, c'est un problème qui n'est toujours pas réglé en France, qui reste très délicat et qui est affreux pour ceux qu'on a parqués dans des camps jusqu'à il n'y a pas si longtemps. Il y a aussi le problème des pieds-noirs, qui ont vécu là-bas, c'était chez eux, ils sont partis dans la douleur. Et puis le problème de l'Algérie et de la France.» Car Alger exige de Paris qu'elle demande pardon pour la guerre. Dans ce contexte tendu, Christophe Botti gage qu'il sera difficile de jouer Frères du Bled dans les lycées. D'autant qu'approche le cinquantenaire des Accords d'Evian de 1962, qui mirent fin au conflit et débouchèrent sur l'indépendance de l'Algérie. Sans parler de la polémique autour du film Hors-la-Loi (2010), du réalisateur Rachid Bouchareb. La preuve qu'on ne peut pas ouvrir le débat sans ouvrir la boîte de Pandore ?