Dès que Mouloud, 36 ans, eut ouvert la porte métallique de son poulailler, il plaqua ses deux mains contre sa bouche. Ce qu'il voyait confirmait ses soupçons de la veille, à savoir qu'il s'agissait bien d'une épidémie qui venait de s'abattre sur son élevage. Dès que Mouloud, 36 ans, eut ouvert la porte métallique de son poulailler, il plaqua ses deux mains contre sa bouche. Ce qu'il voyait confirmait ses soupçons de la veille, à savoir qu'il s'agissait bien d'une épidémie qui venait de s'abattre sur son élevage. Du premier coup d'œil, il avait vu au moins dix poulets allongés sans vie et les autres, tous les autres, ne tarderaient certainement pas à connaître le même sort. C'était un peu de sa faute... Il fallait modifier l'alimentation qu'il leur donnait et surtout faire venir un vétérinaire. Mais avec quel argent ? Tous ses calculs et toutes ses prévisions avaient été faussés par la chute des prix du poulet sur le marché. A cause de cette chute, il s'était retrouvé, au bout de deux ans d'activité, non pas en train de comptabiliser ses bénéfices mais en train d'évaluer ses pertes et sa faillite. La mort dans l'âme, lui et son jeune associé décidèrent d'en finir avec une activité avec laquelle ils n'avaient connu que des déboires. Et pendant que lui et Farid, son associé, creusaient la fosse où ils enterraient les quelques trois cents poulets qui agonisaient, Mouloud ressassait : - Je suis un raté, je suis un raté, je suis un raté ; je rate tout ce que j'entreprends, je rate tout ce que j'entreprends... - Oh ! Mouloud, si tu continues à te lamenter, tu vas te rendre malade... et c'est pour toi qu'on creusera une fosse. - Je te jure que je ne mérite pas de vivre... - Mais ce n'est pas de ta faute... C'est la faute du marché... Je t'avais dit qu'avant de se lancer dans l'élevage de poulets il fallait d'abord bien étudier le marché et essayer d'anticiper son évolution... C'est ce que font les gens dans les pays développés...Tu t'en souviens ? - Oui, mais chez nous rien ne fonctionne comme dans les pays avancés... Dans les pays avancés, il est interdit de vendre du poisson dans un marché couvert au-delà d'un certain temps d'exposition sur un étal. - Oui, je sais Mouloud... Le poisson chez nous est exposé sous un soleil de plomb du matin au crépuscule sans que son prix ne baisse. Au contraire, parfois il est plus cher que dans la matinée parce que le poissonnier qui le vend se dit que tous ses concurrents ont vendu le leur et qu'il est désormais seul à en avoir et par conséquent il peut pratiquer les prix qu'il veut. - Tout est tordu, hein, Farid ? - Bien sûr, Mouloud. Si ce poissonnier qui expose sa marchandise du lever au coucher du soleil, respectait les conditions d'hygiène, il ferait faillite lui aussi. - Hum... moi, je n'ai pas respecté les règles d'hygiène et je suis sur la paille, Farid. - Ce n'est pas la même chose, Mouloud... Toi, ton problème ne résidait pas uniquement dans l'hygiène et la santé de ton poulailler... Tu es trop honnête... Quand on est trop honnête, on ne réussit pas toujours dans la vie. A peine Farid eut-il fini de prononcer ces mots que Mouloud hurla : - Allahou Akbar ! Farid sursauta : - Qu'y a-t-il ? Qu'y a-t-il ? Qu'y a-t-il ? - Regarde ce que j'ai trouvé en creusant. Farid s'approcha de l'objet que Mouloud tenait d'une main et frottait de l'autre pour lui ôter la couche de terre qui le recouvrait. - Mais c'est un pistolet, Mouloud. C'est un jouet ou un vrai ? - Un jouet ? C'est un vrai ! C'est un Beretta... Il ne doit plus être en état de fonctionner mais il peut être utile, vraiment utile...oui, oui... Farid esquissa un mouvement de recul. - Ah ! Mouloud, je ne t'ai jamais entendu parler ainsi... - Oui, oui, avec un bon nettoyage... un petit coup de peinture noir à ce niveau là, et un autre là et ça devrait marcher... - Hé ! A quoi es-tu en train de penser, Mouloud ? Tu es tout drôle subitement, tu sais. Mouloud se tourna vers son jeune ami et lui dit avec dans le regard une flamme qui avait quelque chose de diabolique : - Avec ce pistolet, je vais me lancer dans une autre activité... Une activité qui n'aura besoin ni d'investissement, ni de registre de commerce. - Mais tu es fou, Mouloud ! - Non, je ne fais qu'accéder à la volonté du destin. Te rends-tu compte, Farid ? Dès que tu as dit : « Quand on est trop honnête, on ne réussit pas toujours dans la vie » j'ai vu ce pistolet dans le sol. Comme si c'étaient tes mots qui lui avaient donné naissance. - Tu dis n'importe quoi, là, Mouloud... - Tu as du mal à comprendre ce que je te dis parce que là, il s'agit d'une idée trop géniale. Il n'est pas donné à tout le monde comprendre les idées géniales... surtout si elles sont nées à la suite d'une trouvaille géniale. Bon, finissons le travail que nous avons à faire. Ensuite, je te payerai ce que je te dois et si tu es toujours disposé à faire équipe avec moi, je t'exposerai mon idée. - D'accord... mais je te signale qu'en me payant ce que tu me dois, alors que tu viens de faire faillite, tu te comportes encore de manière honnête. - Oui... je sais mais je suis honnête avec toi parce que tu es un ami... mais avec les autres désormais je serai malhonnête. Crois-moi. - Et ce pistolet comptera beaucoup dans ta nouvelle vie ? - Tu commences à comprendre... Et comme ce pistolet ne fonctionne pas, il n'y a aucun risque que je tue quelqu'un. - Et dans quelle activité as-tu l'intention de te lancer, Mouloud ? - Le vol de voitures ! - Le vol de voitures ? - Oui... C'est une activité très lucrative de nos jours. Rien que dans mon quartier six voisins se sont fait voler leurs voitures. Et ils ne les ont jamais retrouvées. Moi, en tout cas, j'ai pris ma décision. Tu veux être mon associé m'rahba, sinon, c'est là que nos routes se séparent... en attendant finissons notre besogne et enterrons les restes de cette activité qui ne nous a pas porté chance. Quelques jours plus tard, c'était en octobre 2009, Farid et Mouloud se trouvaient à Bordj el-Bahri. Ils jetèrent leur dévolu sur la belle voiture d'un chauffeur clandestin à qui ils demandèrent de les emmener à Birtouta. Ils le firent passer par une ruelle sous prétexte d'y récupérer un paquet et dès que la voiture se fut arrêtée, Mouloud sortit son arme à feu et lui dit : - Mon ami, tu dois savoir que la voiture peut se remplacer mais la vie si on la perd il n'y a aucun moyen de la remplacer. Alors, sois compréhensif, descends doucement et laisse-moi prendre ta place. L'autre était terrorisé. - Oui, oui, je descends, je descends, prends la voiture, mon frère mais ne tire pas, j'ai des gosses... L'homme qui devait avoir la quarantaine était si terrifié qu'il descendit sans crier. Mouloud prit le volant et éclata de rire. Farid l'imita aussitôt. C'était la première voiture qu'ils volaient. Pour la vendre, Mouloud se rendit à Bordj Bou Arreridj où il avait de la famille et beaucoup de connaissances. Grisé par le succès de cette première opération, Mouloud en entreprit d'autres. En trois ans il vola plus de 30 voitures et se retrouva à la tête d'un réseau de vols de voitures. Et puis vint le jour, où il trouva un téléphone portable dans une des voitures qu'il avait volées. Au lieu de s'en débarrasser, il l'offrit à sa femme. Et c'est par le biais de ce téléphone que la police remonta jusqu'à lui et l'arrêta au cours de l'année 2011. Il y a quelques jours, la cour d'Alger l'a condamné à 16 ans de prison ferme. La trouvaille, tout compte fait, n'était pas si géniale que ça ! Du premier coup d'œil, il avait vu au moins dix poulets allongés sans vie et les autres, tous les autres, ne tarderaient certainement pas à connaître le même sort. C'était un peu de sa faute... Il fallait modifier l'alimentation qu'il leur donnait et surtout faire venir un vétérinaire. Mais avec quel argent ? Tous ses calculs et toutes ses prévisions avaient été faussés par la chute des prix du poulet sur le marché. A cause de cette chute, il s'était retrouvé, au bout de deux ans d'activité, non pas en train de comptabiliser ses bénéfices mais en train d'évaluer ses pertes et sa faillite. La mort dans l'âme, lui et son jeune associé décidèrent d'en finir avec une activité avec laquelle ils n'avaient connu que des déboires. Et pendant que lui et Farid, son associé, creusaient la fosse où ils enterraient les quelques trois cents poulets qui agonisaient, Mouloud ressassait : - Je suis un raté, je suis un raté, je suis un raté ; je rate tout ce que j'entreprends, je rate tout ce que j'entreprends... - Oh ! Mouloud, si tu continues à te lamenter, tu vas te rendre malade... et c'est pour toi qu'on creusera une fosse. - Je te jure que je ne mérite pas de vivre... - Mais ce n'est pas de ta faute... C'est la faute du marché... Je t'avais dit qu'avant de se lancer dans l'élevage de poulets il fallait d'abord bien étudier le marché et essayer d'anticiper son évolution... C'est ce que font les gens dans les pays développés...Tu t'en souviens ? - Oui, mais chez nous rien ne fonctionne comme dans les pays avancés... Dans les pays avancés, il est interdit de vendre du poisson dans un marché couvert au-delà d'un certain temps d'exposition sur un étal. - Oui, je sais Mouloud... Le poisson chez nous est exposé sous un soleil de plomb du matin au crépuscule sans que son prix ne baisse. Au contraire, parfois il est plus cher que dans la matinée parce que le poissonnier qui le vend se dit que tous ses concurrents ont vendu le leur et qu'il est désormais seul à en avoir et par conséquent il peut pratiquer les prix qu'il veut. - Tout est tordu, hein, Farid ? - Bien sûr, Mouloud. Si ce poissonnier qui expose sa marchandise du lever au coucher du soleil, respectait les conditions d'hygiène, il ferait faillite lui aussi. - Hum... moi, je n'ai pas respecté les règles d'hygiène et je suis sur la paille, Farid. - Ce n'est pas la même chose, Mouloud... Toi, ton problème ne résidait pas uniquement dans l'hygiène et la santé de ton poulailler... Tu es trop honnête... Quand on est trop honnête, on ne réussit pas toujours dans la vie. A peine Farid eut-il fini de prononcer ces mots que Mouloud hurla : - Allahou Akbar ! Farid sursauta : - Qu'y a-t-il ? Qu'y a-t-il ? Qu'y a-t-il ? - Regarde ce que j'ai trouvé en creusant. Farid s'approcha de l'objet que Mouloud tenait d'une main et frottait de l'autre pour lui ôter la couche de terre qui le recouvrait. - Mais c'est un pistolet, Mouloud. C'est un jouet ou un vrai ? - Un jouet ? C'est un vrai ! C'est un Beretta... Il ne doit plus être en état de fonctionner mais il peut être utile, vraiment utile...oui, oui... Farid esquissa un mouvement de recul. - Ah ! Mouloud, je ne t'ai jamais entendu parler ainsi... - Oui, oui, avec un bon nettoyage... un petit coup de peinture noir à ce niveau là, et un autre là et ça devrait marcher... - Hé ! A quoi es-tu en train de penser, Mouloud ? Tu es tout drôle subitement, tu sais. Mouloud se tourna vers son jeune ami et lui dit avec dans le regard une flamme qui avait quelque chose de diabolique : - Avec ce pistolet, je vais me lancer dans une autre activité... Une activité qui n'aura besoin ni d'investissement, ni de registre de commerce. - Mais tu es fou, Mouloud ! - Non, je ne fais qu'accéder à la volonté du destin. Te rends-tu compte, Farid ? Dès que tu as dit : « Quand on est trop honnête, on ne réussit pas toujours dans la vie » j'ai vu ce pistolet dans le sol. Comme si c'étaient tes mots qui lui avaient donné naissance. - Tu dis n'importe quoi, là, Mouloud... - Tu as du mal à comprendre ce que je te dis parce que là, il s'agit d'une idée trop géniale. Il n'est pas donné à tout le monde comprendre les idées géniales... surtout si elles sont nées à la suite d'une trouvaille géniale. Bon, finissons le travail que nous avons à faire. Ensuite, je te payerai ce que je te dois et si tu es toujours disposé à faire équipe avec moi, je t'exposerai mon idée. - D'accord... mais je te signale qu'en me payant ce que tu me dois, alors que tu viens de faire faillite, tu te comportes encore de manière honnête. - Oui... je sais mais je suis honnête avec toi parce que tu es un ami... mais avec les autres désormais je serai malhonnête. Crois-moi. - Et ce pistolet comptera beaucoup dans ta nouvelle vie ? - Tu commences à comprendre... Et comme ce pistolet ne fonctionne pas, il n'y a aucun risque que je tue quelqu'un. - Et dans quelle activité as-tu l'intention de te lancer, Mouloud ? - Le vol de voitures ! - Le vol de voitures ? - Oui... C'est une activité très lucrative de nos jours. Rien que dans mon quartier six voisins se sont fait voler leurs voitures. Et ils ne les ont jamais retrouvées. Moi, en tout cas, j'ai pris ma décision. Tu veux être mon associé m'rahba, sinon, c'est là que nos routes se séparent... en attendant finissons notre besogne et enterrons les restes de cette activité qui ne nous a pas porté chance. Quelques jours plus tard, c'était en octobre 2009, Farid et Mouloud se trouvaient à Bordj el-Bahri. Ils jetèrent leur dévolu sur la belle voiture d'un chauffeur clandestin à qui ils demandèrent de les emmener à Birtouta. Ils le firent passer par une ruelle sous prétexte d'y récupérer un paquet et dès que la voiture se fut arrêtée, Mouloud sortit son arme à feu et lui dit : - Mon ami, tu dois savoir que la voiture peut se remplacer mais la vie si on la perd il n'y a aucun moyen de la remplacer. Alors, sois compréhensif, descends doucement et laisse-moi prendre ta place. L'autre était terrorisé. - Oui, oui, je descends, je descends, prends la voiture, mon frère mais ne tire pas, j'ai des gosses... L'homme qui devait avoir la quarantaine était si terrifié qu'il descendit sans crier. Mouloud prit le volant et éclata de rire. Farid l'imita aussitôt. C'était la première voiture qu'ils volaient. Pour la vendre, Mouloud se rendit à Bordj Bou Arreridj où il avait de la famille et beaucoup de connaissances. Grisé par le succès de cette première opération, Mouloud en entreprit d'autres. En trois ans il vola plus de 30 voitures et se retrouva à la tête d'un réseau de vols de voitures. Et puis vint le jour, où il trouva un téléphone portable dans une des voitures qu'il avait volées. Au lieu de s'en débarrasser, il l'offrit à sa femme. Et c'est par le biais de ce téléphone que la police remonta jusqu'à lui et l'arrêta au cours de l'année 2011. Il y a quelques jours, la cour d'Alger l'a condamné à 16 ans de prison ferme. La trouvaille, tout compte fait, n'était pas si géniale que ça !