InfoSoir : Comment définir le suicide du point de vue psychiatrique ? l Dr Boudarène : Il n'y a pas de définition psychiatrique du suicide. La définition est dans le sens étymologique du mot. Suicide signifie tout simplement le «meurtre de soi». Il n'y a pas d'autre signification du mot. Encore que quelquefois, par pudeur je dirais, les psychiatres utilisent le terme d'autolyse pour parler du suicide ou de la tentative de suicide. Un vocable retrouvé surtout dans les dossiers hospitaliers des malades qui ont tenté de mettre fin à leurs jours. Ce mot, autolyse, est soigneusement choisi pour éviter d'évoquer le suicide, pour éviter d'en parler parce que ce passage à l'acte est interdit, notamment pour des raisons sociologiques bien connues. Toutes les religions interdisent le suicide. Le suicidé «va en enfer» et jette la honte et l'opprobre sur sa famille. C'est pourquoi le passage à l'acte suicidaire se produit moins souvent, du moins a priori, dans les sociétés où la religion a un poids important. Toutes les religions taisent le suicide, mais ne l'empêchent pas. Dans tous les cas, le suicide est socialement moins visible car quand il se produit, il est tu par les familles qui en sont frappées. C'est pourquoi il n'est pas toujours aisé pour les pouvoirs publics de prendre connaissance des cas de suicide et de les comptabiliser. Peut-on décrire l'état mental d'une personne prête au suicide ? l C'est une question difficile. L'état mental du sujet inscrit dans une logique suicidaire n'est pas toujours clairement perceptible. Dans la majorité des cas, une analyse psychologique très fine est nécessaire pour «détecter» les signes qui alertent. Cela ne peut être que le fait d'un professionnel, d'un psychiatre. Certaines maladies – comme celles que je viens de vous citer, la mélancolie ou la schizophrénie – sont de grandes pourvoyeuses de suicide, donc leur diagnostic permet déjà d'envisager ce risque. Dans les autres cas, il faut rechercher le risque au cours de l'examen psychiatrique et c'est ce que nous faisons en posant les questions appropriées et notamment en allant chercher clairement les symptômes qui peuvent précipiter le passage à l'acte, comme une angoisse importante, des idées de culpabilité ou encore des idées délirantes qui peuvent être à l'origine d'un raptus anxieux… D'autres fois, il faut aller chercher le désir de mourir chez le sujet. Ce dernier peut manifester spontanément le dégoût de la vie et exprime alors, sans équivoque, son désir d'y mettre fin. Dans ces cas, les membres de la famille, les amis, les proches sont alertés et viennent voir le médecin. Peut-on récupérer médicalement quelqu'un qui a tenté de se suicider ? l Bien sûr. Il y a toujours possibilité de prendre en charge le sujet qui vient de tenter de mettre fin à ses jours. Le principe de base est de comprendre pourquoi un individu a décidé d'en finir avec la vie. Il y a toujours des raisons invoquées. Elles peuvent être franchement pathologiques et trouver alors une réponse axée essentiellement sur un programme thérapeutique adapté à la maladie. Je ne vais pas entrer volontairement dans les détails, mais ce programme doit nécessairement associer un accompagnement psychologique. Si les raisons qui ont amené le sujet à cet acte ne s'inscrivent pas dans un contexte pathologique, la prise en charge peut s'avérer plus ardue parce que le manque de bonheur et la souffrance psychologique due à des causes sociales objectives ne trouvent pas toujours de solution dans un cabinet de psychiatre. La médecine ne soigne pas le malheur, quelles qu'en soient les causes, et n'a pas de solution à la détresse sociale. Que faut-il faire après une tentative ? l Cette question rejoint la précédente. Le but est d'amener la personne à ne pas recommencer. Ce qui veut dire qu'il faut décoder le message envoyé par la tentative de suicide, le faire savoir à la personne qui a fait ce geste d'une part et le faire comprendre à la famille et aux proches, d'autre part. Parce que ce geste a toujours une signification et qu'il est un moyen de communiquer quand les réseaux «habituels» de communication sont inopérants. Le rôle du médecin est de servir de médiateur entre le suicidant et son environnement social pour restaurer ce lien de communication et de compréhension. La tentative de suicide sera privée de son objet et ne sera plus indispensable. Mais est-il toujours possible de restaurer ces «canaux traditionnels» de communication entre ces sujets à risque et leur environnement familial, social, etc. ? Question à méditer. *Psychiatre