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Quand se souviennent les rescapés du massacre
«Dhikra tmenia may 1945» de Meriem Hamidat
Publié dans Le Midi Libre le 30 - 10 - 2007

Tour à tour, montagnards, paysans, personnalités politiques et simples citoyens racontent avec très peu de mots et un débit torturé, comme ponctué de larmes figées, ces journées de détresse souvent suivies d'années d'emprisonnement et de famine.
Tour à tour, montagnards, paysans, personnalités politiques et simples citoyens racontent avec très peu de mots et un débit torturé, comme ponctué de larmes figées, ces journées de détresse souvent suivies d'années d'emprisonnement et de famine.
Dimanche à la salle Ibn-Zeydoun de l'OREF, le film-documentaire réalisé par Mariem Hamidat et produit par Boualem Ziani a replongé les spectateurs dans les affres d'une semaine de massacres massifs perpétrés par l'armée française secondée par des civils organisés en milices dans la région de Sétif, Guelma et Kherrata. Restitués par ceux qui y ont survécu, les témoignages révèlent de la IVe République de René Coty un visage fasciste qui a surpris les Algériens. Auréolés de la victoire, contre l'Allemagne nazie, à laquelle ils avaient puissamment contribué, les indigènes pensaient partager la liesse de l'armistice et en recueillir les fruits pour leur propre libération. Or beaucoup de soldats algériens ne sont rentrés du front que pour retrouver les membres de leurs familles, sous une couche de chaux vive, enterrés en vrac au hasard des fosses communes et des charniers. Tour à tour, montagnards, paysans, personnalités politiques et simples citoyens racontent avec très peu de mots et un débit torturé, comme ponctué de larmes figées, ces journées de détresse souvent suivies d'année d'emprisonnement et de famine. Des journées qu'ils sont unanimes à considérer comme le ferment du Premier Novembre 1954. Selon les dires de deux témoins, ce rôle révolutionnaire précurseur des journées de mai, avait été parfaitement saisi par un colon français nommé «Louizou». «En voyant le massacre, il s'est écrié en direction des siens : cela ne sera jamais, au grand jamais oublié ! Les conséquences vont en être terribles !» se souviennent deux paysans sétifiens qui ajoutent que ce colon perspicace a ensuite fait ses bagages et quitté l'Algérie. La caméra se meut à travers les grands paysages limpides de Kherrata, Melbou, Sétif et ses Hauts-Plateaux comme pour nous rappeler la richesse et la somptuosité d'une région qui a traditionnellement été l'objet d'une convoitise millénaire. Le film commence par l'évocation des manifestations pacifiques des scouts dans la ville de Sétif. «Dans l'allégresse, les Louveteaux suivis par les Eclaireurs s'avançaient dans un ordre parfait, le drapeau frappé du croissant et de l'étoile en tête (…) Organisée par Abdelkader Yala, la marche mobilisait au moins 100.000 personnes...» raconte un témoin. Arrivés devant le lycée de garçons, les marcheurs se rendent compte que les fenêtres se ferment à grand fracas. Un jeune homme nommé Saâd Bouzid se saisit du drapeau, il est abattu sur place avec un autre jeune nommé El-Gouffi. «La sûreté, la police, les gendarmes chargent la foule qui se disperse…». Hadj Bela se rappelle les bouquets de fleurs en tête de cortège, puis l'arrestation, les tortures, les quatre jours sans manger, le chahid Zaaboub Saïd, réduit à l'état de loque humaine par les tortures et qui rend l'âme à minuit. Les récits se suivent, narrant l'horreur qui s'accentue les jours suivants. La fuite des montagnards qui, après un début d'insurrection, fuient la répression sanglante en se cachant 6 jours dans les forêts des hauteurs de Amoucha. La ruse des gardes champêtres et des gardes forestiers aidés par les caïds qui les rappellent en leur disant : «La France vous accorde enfin l'indépendance, revenez...» Les villageois crédules sont regroupés sur les places publiques et massacrés jusqu'au dernier par l'armée aidée de civils. Hallucinant est le témoignage d'un citoyen qui, de 1945 à 1962, est resté 17 ans en prison. Il décrit la condition carcérale faite de typhus et de famine. «Au lieu de réciter la chahada, un prisonnier est mort en disant : el-khobz, el-khobz…» Landrew Paulin, un journaliste américain décrit le massacre à Kherrata : "Les villages incendiés, les cadavres entassés dans les gorges..» Egalement interrogé, Bachir Boumaza, qui a été touché de plein fouet par le massacre alors qu'il était âgé de 18 ans, déclare : «Cette cicatrice ne s'efface pas. Mais en dehors de la matérialité des choses, il faut en tirer les enseignements. Ce massacre n'a pas été perpétré par un gouvernement réactionnaire français, mais par celui qui est né de la Résistance. Maurice Thorez en était le vice-président et Charles Tillion, ministre de la Défense... C'est ce gouvernement d'unité nationale qui a fait cela…» Le mot populaire «Fascista» pour décrire cette attitude des autorités françaises et l'expression «Thaoura moderne» pour parler du combat libérateur reviennent à plusieurs reprises dans la bouche des paysans. La chanson sétifienne «L'avion jaune» qui clôture le film à l'heure du générique a cloué sur leurs fauteuils les spectateurs émus. Cette initiative est assurément à généraliser avant que ne s'éteignent tous les témoins de cette tragédie qui a une valeur fondatrice incontournable dans la lutte émancipatrice du peuple algérien. Un film qui illustre ce vers d'un poète sud-américain à propos d'une victime de la dictature au Chili : «Ce n'est pas ton cadavre que l'on enfouissait sous la terre mais une graine précieuse pour l'avenir.»
Dimanche à la salle Ibn-Zeydoun de l'OREF, le film-documentaire réalisé par Mariem Hamidat et produit par Boualem Ziani a replongé les spectateurs dans les affres d'une semaine de massacres massifs perpétrés par l'armée française secondée par des civils organisés en milices dans la région de Sétif, Guelma et Kherrata. Restitués par ceux qui y ont survécu, les témoignages révèlent de la IVe République de René Coty un visage fasciste qui a surpris les Algériens. Auréolés de la victoire, contre l'Allemagne nazie, à laquelle ils avaient puissamment contribué, les indigènes pensaient partager la liesse de l'armistice et en recueillir les fruits pour leur propre libération. Or beaucoup de soldats algériens ne sont rentrés du front que pour retrouver les membres de leurs familles, sous une couche de chaux vive, enterrés en vrac au hasard des fosses communes et des charniers. Tour à tour, montagnards, paysans, personnalités politiques et simples citoyens racontent avec très peu de mots et un débit torturé, comme ponctué de larmes figées, ces journées de détresse souvent suivies d'année d'emprisonnement et de famine. Des journées qu'ils sont unanimes à considérer comme le ferment du Premier Novembre 1954. Selon les dires de deux témoins, ce rôle révolutionnaire précurseur des journées de mai, avait été parfaitement saisi par un colon français nommé «Louizou». «En voyant le massacre, il s'est écrié en direction des siens : cela ne sera jamais, au grand jamais oublié ! Les conséquences vont en être terribles !» se souviennent deux paysans sétifiens qui ajoutent que ce colon perspicace a ensuite fait ses bagages et quitté l'Algérie. La caméra se meut à travers les grands paysages limpides de Kherrata, Melbou, Sétif et ses Hauts-Plateaux comme pour nous rappeler la richesse et la somptuosité d'une région qui a traditionnellement été l'objet d'une convoitise millénaire. Le film commence par l'évocation des manifestations pacifiques des scouts dans la ville de Sétif. «Dans l'allégresse, les Louveteaux suivis par les Eclaireurs s'avançaient dans un ordre parfait, le drapeau frappé du croissant et de l'étoile en tête (…) Organisée par Abdelkader Yala, la marche mobilisait au moins 100.000 personnes...» raconte un témoin. Arrivés devant le lycée de garçons, les marcheurs se rendent compte que les fenêtres se ferment à grand fracas. Un jeune homme nommé Saâd Bouzid se saisit du drapeau, il est abattu sur place avec un autre jeune nommé El-Gouffi. «La sûreté, la police, les gendarmes chargent la foule qui se disperse…». Hadj Bela se rappelle les bouquets de fleurs en tête de cortège, puis l'arrestation, les tortures, les quatre jours sans manger, le chahid Zaaboub Saïd, réduit à l'état de loque humaine par les tortures et qui rend l'âme à minuit. Les récits se suivent, narrant l'horreur qui s'accentue les jours suivants. La fuite des montagnards qui, après un début d'insurrection, fuient la répression sanglante en se cachant 6 jours dans les forêts des hauteurs de Amoucha. La ruse des gardes champêtres et des gardes forestiers aidés par les caïds qui les rappellent en leur disant : «La France vous accorde enfin l'indépendance, revenez...» Les villageois crédules sont regroupés sur les places publiques et massacrés jusqu'au dernier par l'armée aidée de civils. Hallucinant est le témoignage d'un citoyen qui, de 1945 à 1962, est resté 17 ans en prison. Il décrit la condition carcérale faite de typhus et de famine. «Au lieu de réciter la chahada, un prisonnier est mort en disant : el-khobz, el-khobz…» Landrew Paulin, un journaliste américain décrit le massacre à Kherrata : "Les villages incendiés, les cadavres entassés dans les gorges..» Egalement interrogé, Bachir Boumaza, qui a été touché de plein fouet par le massacre alors qu'il était âgé de 18 ans, déclare : «Cette cicatrice ne s'efface pas. Mais en dehors de la matérialité des choses, il faut en tirer les enseignements. Ce massacre n'a pas été perpétré par un gouvernement réactionnaire français, mais par celui qui est né de la Résistance. Maurice Thorez en était le vice-président et Charles Tillion, ministre de la Défense... C'est ce gouvernement d'unité nationale qui a fait cela…» Le mot populaire «Fascista» pour décrire cette attitude des autorités françaises et l'expression «Thaoura moderne» pour parler du combat libérateur reviennent à plusieurs reprises dans la bouche des paysans. La chanson sétifienne «L'avion jaune» qui clôture le film à l'heure du générique a cloué sur leurs fauteuils les spectateurs émus. Cette initiative est assurément à généraliser avant que ne s'éteignent tous les témoins de cette tragédie qui a une valeur fondatrice incontournable dans la lutte émancipatrice du peuple algérien. Un film qui illustre ce vers d'un poète sud-américain à propos d'une victime de la dictature au Chili : «Ce n'est pas ton cadavre que l'on enfouissait sous la terre mais une graine précieuse pour l'avenir.»


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