Si la passion amoureuse a l'heureuse faculté de niveler les différences de goût et de caractère chez un couple installé dans la durée, l'usure de cette passion remet sur le tapis les moins criantes de ces différences. Ainsi, avec le temps, le moindre incident entre les deux époux pouvait prendre des proportions alarmantes et provoquer des échanges verbaux d'une acidité inouïe. C'était à cela que pensait Messaoud en considérant son épouse qui était en train de décortiquer dans le détail la visite de Sarkozy. Elle qui ne s'intéressait guère à la politique, fuyait les articles de fond, s'adressait directement à Messaoud quand elle avait besoin d'être éclairée sur un mot savant ou un nom propre : Messaoud faisait office de dictionnaire ambulant et disponible. C'était là le drame : Messaoud avait beaucoup lu et Aicha pas du tout. Lui, il avait cessé de lire car sa femme se moquait toujours de lui. Quand il était plongé dans une lecture passionnante ou édifiante, elle ne manquait pas de le perturber en lui disant : «Je ne sais pas ce que peuvent te rapporter tous ces livres qui traînent un peu partout et qui ramassent de la poussière. Pendant que tu gaspilles ton temps à lire, tes collègues font des affaires !» Ces sarcasmes revenaient régulièrement chaque fois que le ménage avait des besoins financiers. Mais ce n'était pas là la seule différence entre les deux vieux époux : le programme télé était toujours la pomme de discorde. Elle, elle aimait par dessus tout les émissions «people» du genre «Ça se discute» où les gens venaient étaler devant le public friand les détails intimes de leur vie privée ou bien « Koul chi moumkine» qui avait le pouvoir de lui tirer des larmes. C'était touchant ! Lui, par contre, s'émerveillait, tel un enfant, devant les beautés de la nature sauvage quand il s'abîmait dans les paysages exotiques d'un documentaire animalier. Il perçait les mystères de la connaissance avec les chercheurs dans les émissions scientifiques ou revivait avec les délices et la passion de la rétrospection les moments les plus chauds de l'histoire contemporaine, quand la caméra explore le temps. Il aimait aussi les films classiques par nostalgie des vieilles vedettes disparues. Elle, par contre, en dehors des défilés de mode et des élections de «Miss…» qu'elle goûtait avec l'œil connaisseur d'une couturière qui était très au fait des subtilités de la profession de tailleur, savourait les mélodrames surtout quand ceux-ci avaient pour cadre de riches demeures luxueuses. Les dimensions de l'habitation la faisaient rêver. Elle s'extasiait avec envie devant les grandes fenêtres encadrées de lourdes tentures et voilées de rideaux arachnéns. Elle se pâmait devant l'agencement des décors du salon, de la profondeur des divans, de la richesse et de la diversité des bibelots. Quand une scène se passe dans une de ces cuisines américaines, aussi spacieuses qu'un cinq pièces, elle ne peut s'empêcher de commenter : «Regarde cette cuisine ! Elle est immense ! Et ce frigo, il est plus spacieux et plus fourni que la supérette de Madani…» Si la passion amoureuse a l'heureuse faculté de niveler les différences de goût et de caractère chez un couple installé dans la durée, l'usure de cette passion remet sur le tapis les moins criantes de ces différences. Ainsi, avec le temps, le moindre incident entre les deux époux pouvait prendre des proportions alarmantes et provoquer des échanges verbaux d'une acidité inouïe. C'était à cela que pensait Messaoud en considérant son épouse qui était en train de décortiquer dans le détail la visite de Sarkozy. Elle qui ne s'intéressait guère à la politique, fuyait les articles de fond, s'adressait directement à Messaoud quand elle avait besoin d'être éclairée sur un mot savant ou un nom propre : Messaoud faisait office de dictionnaire ambulant et disponible. C'était là le drame : Messaoud avait beaucoup lu et Aicha pas du tout. Lui, il avait cessé de lire car sa femme se moquait toujours de lui. Quand il était plongé dans une lecture passionnante ou édifiante, elle ne manquait pas de le perturber en lui disant : «Je ne sais pas ce que peuvent te rapporter tous ces livres qui traînent un peu partout et qui ramassent de la poussière. Pendant que tu gaspilles ton temps à lire, tes collègues font des affaires !» Ces sarcasmes revenaient régulièrement chaque fois que le ménage avait des besoins financiers. Mais ce n'était pas là la seule différence entre les deux vieux époux : le programme télé était toujours la pomme de discorde. Elle, elle aimait par dessus tout les émissions «people» du genre «Ça se discute» où les gens venaient étaler devant le public friand les détails intimes de leur vie privée ou bien « Koul chi moumkine» qui avait le pouvoir de lui tirer des larmes. C'était touchant ! Lui, par contre, s'émerveillait, tel un enfant, devant les beautés de la nature sauvage quand il s'abîmait dans les paysages exotiques d'un documentaire animalier. Il perçait les mystères de la connaissance avec les chercheurs dans les émissions scientifiques ou revivait avec les délices et la passion de la rétrospection les moments les plus chauds de l'histoire contemporaine, quand la caméra explore le temps. Il aimait aussi les films classiques par nostalgie des vieilles vedettes disparues. Elle, par contre, en dehors des défilés de mode et des élections de «Miss…» qu'elle goûtait avec l'œil connaisseur d'une couturière qui était très au fait des subtilités de la profession de tailleur, savourait les mélodrames surtout quand ceux-ci avaient pour cadre de riches demeures luxueuses. Les dimensions de l'habitation la faisaient rêver. Elle s'extasiait avec envie devant les grandes fenêtres encadrées de lourdes tentures et voilées de rideaux arachnéns. Elle se pâmait devant l'agencement des décors du salon, de la profondeur des divans, de la richesse et de la diversité des bibelots. Quand une scène se passe dans une de ces cuisines américaines, aussi spacieuses qu'un cinq pièces, elle ne peut s'empêcher de commenter : «Regarde cette cuisine ! Elle est immense ! Et ce frigo, il est plus spacieux et plus fourni que la supérette de Madani…»