Dans l'art, il y a des paradoxes qui nous laissent pantois et enchanteur à la fois. Néanmoins, il faut dire aussi que le paradoxe est le propre de la littérature. En effet, manier les contradictions, jouer avec les nuances et travestir les différences est l'essence même de l'écriture. Ahmadou Kourouma est probablement l'auteur africain le plus paradoxal. En réalité, s'il est toujours considéré comme l'un des plus grands écrivains africains de langue française, Ahmadou Kourouma a peu écrit. Mais quels livres ! Quatre ouvrages en plume majeure auront marqué toute une génération d'écrivains et de lecteurs. Et sont aujourd'hui enseignés dans les universités d'Afrique, d'Amérique et d'Europe. Il sort donc sa première œuvre, Les Soleils des indépendances en 1970, il a alors 44 ans. Un livre-rupture qui détonne et rompt avec le style très classique des auteurs africains de l'époque et leurs thèmes de prédilection (l'esclavage, le colonialisme...). Kourouma, lui, choisit de porter un regard très critique sur les gouvernements issus des indépendances. Il traduit le malinké, sa langue natale, en français et casse la langue française afin de restituer le rythme africain. Depuis, il fallait attendre jusqu'en 1990 pour lire comment dans Monnè, outrages et défis, Ahmadou Kourouma récapitule un siècle d'histoire coloniale. 8 ans, plus tard, il livre une satire féroce de trois décennies de régimes totalitaires, largement inspirée du parcours du chef de l'Etat togolais Gnassingbé Eyadéma, En attendant le vote des bêtes sauvages. Enfin, en 2000, dans ‘'Allah n'est pas obligé'' (prix Renaudot), il s'attaque aux conditions de vie des enfants-soldats. Ahmadou Kourouma a laissé aussi une pièce de théâtre, Le diseur de vérité et une demi-douzaine de romans pour enfants. Allah n'est pas obligé est avant tout une fable guerrière aux pays des guerres tribales. Errance d'un Oliver Twist africain à travers les républiques bananières devenues folles. La kalachnikov et la drogue en plus. Le personnage central est un enfant qui s'appelle Birahima. Il est né en Guinée, un «foutu pays» comme toutes ces nations «foutues» et «corrompues» , comme «la Côte d'Ivoire, la Gambie, la Sierra Leone et le Sénégal, etc.». Comme des centaines de gosses éperonnés par la misère, il a rejoint les rangs d'enfant soldat au Liberia et en Sierra Leone en proie aux déchirements des guerres tribales. Muni du dictionnaire Larousse, du Petit Robert (pour être compris «des nègres noirs africains indigènes»), de l'Inventaire des particularités lexicales «du français d'Afrique» (à l'attention des «toubabs», blancs «colons colonialistes»), du Harrap's (pour les pidgin -anglophones), Birahima nous raconte l'enfer de son errance, parmi les différentes factions auxquelles il a appartenu. En empruntant le regard du small-soldier, pour ce livre «Allah n'est pas obligé», l'écrivain ivoirien, Ahmadou Kourouma, a livré un regard lucide sur les mécanismes qui ont amené l'Afrique à jeter ses enfants dans le maelstrom sanglant des guerres civiles. Ce qui est encore plus touchant dans ce récit, c'est qu'on ne rencontre, au fur et à mesure de la lecture, ni pleurnicheries, ni bons sentiments, car la drôlerie arrive à tutoyer l'atrocité comme une bonne vieille copine. Cependant, Birahima est loin d'être un ange. Bien au contraire, le gosse a «tué beaucoup de gens avec kalachnikov». Birahima est «insolent, incorrect comme barbe d'un bouc et parle comme un salopard». Ainsi, dans une verve détonante comme une rafale de mitraillette, il ponctue ses phrases de jurons malinkés. D'autre part, Birahima a vieilli trop vite. Il est devenu lucide au contact des différents chefs de guerre. Que ce soit le Colonel Papa le bon, lieutenant de Charles Taylor, Omika la loyaliste de l'ULIMO ou Prince Johnson, pas un de ces seigneurs de la guerre libériens qui n'échappe au prisme impitoyable de ce regard d'enfant. Tous plus pourris qu'un chef de cartel. Tous plus dérangés qu'un gourou sous LSD. Tous plus sanguinaires qu'une bande de lycaons. Lucides encore, ces «small soldiers» qui les abandonnent sans vergogne dès que le vent tourne. Tous savent qu'ils ne sont que les pions d'un jeu cruel où les rivalités régionales cachent les intérêts bien compris des grandes puissances. Et c'est cette misère morale que pointe l'écrivain ivoirien au-delà de la litanie usée du fracas des armes et des chairs broyées. Cette misère innommable nous interroge sur l'avenir d'un continent aux mains d'une génération sacrifiée, nourrie à l'écuelle du désespoir, de la folie et de la force brute. Finalement, tout cela est injuste. Mais que voulez-vous? Allah n'est pas obligé de l'être aussi dans ce bas monde. Dans l'art, il y a des paradoxes qui nous laissent pantois et enchanteur à la fois. Néanmoins, il faut dire aussi que le paradoxe est le propre de la littérature. En effet, manier les contradictions, jouer avec les nuances et travestir les différences est l'essence même de l'écriture. Ahmadou Kourouma est probablement l'auteur africain le plus paradoxal. En réalité, s'il est toujours considéré comme l'un des plus grands écrivains africains de langue française, Ahmadou Kourouma a peu écrit. Mais quels livres ! Quatre ouvrages en plume majeure auront marqué toute une génération d'écrivains et de lecteurs. Et sont aujourd'hui enseignés dans les universités d'Afrique, d'Amérique et d'Europe. Il sort donc sa première œuvre, Les Soleils des indépendances en 1970, il a alors 44 ans. Un livre-rupture qui détonne et rompt avec le style très classique des auteurs africains de l'époque et leurs thèmes de prédilection (l'esclavage, le colonialisme...). Kourouma, lui, choisit de porter un regard très critique sur les gouvernements issus des indépendances. Il traduit le malinké, sa langue natale, en français et casse la langue française afin de restituer le rythme africain. Depuis, il fallait attendre jusqu'en 1990 pour lire comment dans Monnè, outrages et défis, Ahmadou Kourouma récapitule un siècle d'histoire coloniale. 8 ans, plus tard, il livre une satire féroce de trois décennies de régimes totalitaires, largement inspirée du parcours du chef de l'Etat togolais Gnassingbé Eyadéma, En attendant le vote des bêtes sauvages. Enfin, en 2000, dans ‘'Allah n'est pas obligé'' (prix Renaudot), il s'attaque aux conditions de vie des enfants-soldats. Ahmadou Kourouma a laissé aussi une pièce de théâtre, Le diseur de vérité et une demi-douzaine de romans pour enfants. Allah n'est pas obligé est avant tout une fable guerrière aux pays des guerres tribales. Errance d'un Oliver Twist africain à travers les républiques bananières devenues folles. La kalachnikov et la drogue en plus. Le personnage central est un enfant qui s'appelle Birahima. Il est né en Guinée, un «foutu pays» comme toutes ces nations «foutues» et «corrompues» , comme «la Côte d'Ivoire, la Gambie, la Sierra Leone et le Sénégal, etc.». Comme des centaines de gosses éperonnés par la misère, il a rejoint les rangs d'enfant soldat au Liberia et en Sierra Leone en proie aux déchirements des guerres tribales. Muni du dictionnaire Larousse, du Petit Robert (pour être compris «des nègres noirs africains indigènes»), de l'Inventaire des particularités lexicales «du français d'Afrique» (à l'attention des «toubabs», blancs «colons colonialistes»), du Harrap's (pour les pidgin -anglophones), Birahima nous raconte l'enfer de son errance, parmi les différentes factions auxquelles il a appartenu. En empruntant le regard du small-soldier, pour ce livre «Allah n'est pas obligé», l'écrivain ivoirien, Ahmadou Kourouma, a livré un regard lucide sur les mécanismes qui ont amené l'Afrique à jeter ses enfants dans le maelstrom sanglant des guerres civiles. Ce qui est encore plus touchant dans ce récit, c'est qu'on ne rencontre, au fur et à mesure de la lecture, ni pleurnicheries, ni bons sentiments, car la drôlerie arrive à tutoyer l'atrocité comme une bonne vieille copine. Cependant, Birahima est loin d'être un ange. Bien au contraire, le gosse a «tué beaucoup de gens avec kalachnikov». Birahima est «insolent, incorrect comme barbe d'un bouc et parle comme un salopard». Ainsi, dans une verve détonante comme une rafale de mitraillette, il ponctue ses phrases de jurons malinkés. D'autre part, Birahima a vieilli trop vite. Il est devenu lucide au contact des différents chefs de guerre. Que ce soit le Colonel Papa le bon, lieutenant de Charles Taylor, Omika la loyaliste de l'ULIMO ou Prince Johnson, pas un de ces seigneurs de la guerre libériens qui n'échappe au prisme impitoyable de ce regard d'enfant. Tous plus pourris qu'un chef de cartel. Tous plus dérangés qu'un gourou sous LSD. Tous plus sanguinaires qu'une bande de lycaons. Lucides encore, ces «small soldiers» qui les abandonnent sans vergogne dès que le vent tourne. Tous savent qu'ils ne sont que les pions d'un jeu cruel où les rivalités régionales cachent les intérêts bien compris des grandes puissances. Et c'est cette misère morale que pointe l'écrivain ivoirien au-delà de la litanie usée du fracas des armes et des chairs broyées. Cette misère innommable nous interroge sur l'avenir d'un continent aux mains d'une génération sacrifiée, nourrie à l'écuelle du désespoir, de la folie et de la force brute. Finalement, tout cela est injuste. Mais que voulez-vous? Allah n'est pas obligé de l'être aussi dans ce bas monde.