Le maire réfléchit. Après avoir examiné à nouveau la petite pièce aux cloisons de bois brut, il marcha vers le fauteuil en lançant des ordres péremptoires aux policiers. L'un monta la garde à la porte de la rue, l'autre à l'entrée du cabinet et le troisième, près de la fenêtre. Quand il s'installa dans le fauteuil et boutonna son imperméable mouillé, il se sentit entouré de métaux froids. Il aspira profondément l'air raréfié par la créosote et renversa la nuque contre l'appui-tête, en essayant de régulariser son rythme respiratoire. Le dentiste ramassa quelques instruments et les mit à bouillir dans une casserole. «Ordonnez à cet assassin de poireauter là où il ne gênera pas». Sur un signe du maire, le policier s'écarta de la fenêtre pour laisser libre le passage vers le fauteuil. Il poussa une chaise contre le mur et s'assit jambes écartées, le fusil à l'horizontale sur les cuisses, sans relâcher sa surveillance. Le dentiste alluma la lampe. Ebloui par la clarté soudaine, le maire ferma les yeux et ouvrit la bouche. La douleur avait cessé. Le dentiste localisa la dent malade, écartant de son index la joue enflammée et orientant la lampe avec l'autre main, complètement insensible à la respiration du patient. Puis il retroussa sa manche jusqu'au coude et se prépara à arracher la dent. Le maire l'agrippa par le poignet. «Anesthésiez !» Leurs regards se rencontrèrent pour la première fois. «Vous, vous tuez sans anesthésier», dit d'une voix douce le dentiste. La maire constata que la main qui serrait le davier ne faisait aucun effort pour se libérer. «Allez chercher vos ampoules», dit-il. Le policier posté dans le coin du cabinet tourna vers eux son fusil et tous deux perçurent du fauteuil le bruit du cran de sûreté qu'on libérait. «Supposez que je n'en aie pas», dit le dentiste. Le maire lâcha le poignet. «Il le faut», rétorqua-t-il, en examinant avec intérêt et désolation les objets éparpillés à terre. Le dentiste l'observa avec une attentive commisération. Puis il le poussa contre l'appui-tête et, montrant pour la première fois des signes d'impatience : «Muselez votre frousse, lieutenant, lui dit-il. Avec un pareil abcès, anesthésier ne sert à rien.» Passé ce moment le plus terrible de sa vie, le maire relâcha la tension de ses muscles et resta épuisé sur le fauteuil, tandis que les signes obscurs peints par l'humidité sur le carton du plafond se fixaient à tout jamais dans sa mémoire. Il entendit le dentiste s'affairer près de la cuvette. Il l'entendit remettre en place les tiroirs et ramasser en silence quelques uns des instruments répandus sur le sol. «Rovira ! appela le maire. Dis à Gonzalez de venir et replacez-moi tout ça à l'endroit où vous l'avez trouvé.» Les policiers s'exécutèrent. Le dentiste prit le coton avec une pince, l'imbiba d'un liquide couleur de fer et l'introduisit dans le trou de la gencive. Le maire sentit comme une brûlure légère. Après que le dentiste lui eut fermé la bouche, il garda les yeux fixés sur le plafonds, à l'écoute des bruits des policiers qui tentaient de reconstruire de mémoire l'ordre minutieux du cabinet. Deux heures sonnèrent à l'église. Avec une minute de retard, un butor répéta l'heure dans le murmure de la pluie. Peu après, comprenant que leur mission avait pris fin, le maire fit signe à ses hommes de retourner à la caserne. Le maire réfléchit. Après avoir examiné à nouveau la petite pièce aux cloisons de bois brut, il marcha vers le fauteuil en lançant des ordres péremptoires aux policiers. L'un monta la garde à la porte de la rue, l'autre à l'entrée du cabinet et le troisième, près de la fenêtre. Quand il s'installa dans le fauteuil et boutonna son imperméable mouillé, il se sentit entouré de métaux froids. Il aspira profondément l'air raréfié par la créosote et renversa la nuque contre l'appui-tête, en essayant de régulariser son rythme respiratoire. Le dentiste ramassa quelques instruments et les mit à bouillir dans une casserole. «Ordonnez à cet assassin de poireauter là où il ne gênera pas». Sur un signe du maire, le policier s'écarta de la fenêtre pour laisser libre le passage vers le fauteuil. Il poussa une chaise contre le mur et s'assit jambes écartées, le fusil à l'horizontale sur les cuisses, sans relâcher sa surveillance. Le dentiste alluma la lampe. Ebloui par la clarté soudaine, le maire ferma les yeux et ouvrit la bouche. La douleur avait cessé. Le dentiste localisa la dent malade, écartant de son index la joue enflammée et orientant la lampe avec l'autre main, complètement insensible à la respiration du patient. Puis il retroussa sa manche jusqu'au coude et se prépara à arracher la dent. Le maire l'agrippa par le poignet. «Anesthésiez !» Leurs regards se rencontrèrent pour la première fois. «Vous, vous tuez sans anesthésier», dit d'une voix douce le dentiste. La maire constata que la main qui serrait le davier ne faisait aucun effort pour se libérer. «Allez chercher vos ampoules», dit-il. Le policier posté dans le coin du cabinet tourna vers eux son fusil et tous deux perçurent du fauteuil le bruit du cran de sûreté qu'on libérait. «Supposez que je n'en aie pas», dit le dentiste. Le maire lâcha le poignet. «Il le faut», rétorqua-t-il, en examinant avec intérêt et désolation les objets éparpillés à terre. Le dentiste l'observa avec une attentive commisération. Puis il le poussa contre l'appui-tête et, montrant pour la première fois des signes d'impatience : «Muselez votre frousse, lieutenant, lui dit-il. Avec un pareil abcès, anesthésier ne sert à rien.» Passé ce moment le plus terrible de sa vie, le maire relâcha la tension de ses muscles et resta épuisé sur le fauteuil, tandis que les signes obscurs peints par l'humidité sur le carton du plafond se fixaient à tout jamais dans sa mémoire. Il entendit le dentiste s'affairer près de la cuvette. Il l'entendit remettre en place les tiroirs et ramasser en silence quelques uns des instruments répandus sur le sol. «Rovira ! appela le maire. Dis à Gonzalez de venir et replacez-moi tout ça à l'endroit où vous l'avez trouvé.» Les policiers s'exécutèrent. Le dentiste prit le coton avec une pince, l'imbiba d'un liquide couleur de fer et l'introduisit dans le trou de la gencive. Le maire sentit comme une brûlure légère. Après que le dentiste lui eut fermé la bouche, il garda les yeux fixés sur le plafonds, à l'écoute des bruits des policiers qui tentaient de reconstruire de mémoire l'ordre minutieux du cabinet. Deux heures sonnèrent à l'église. Avec une minute de retard, un butor répéta l'heure dans le murmure de la pluie. Peu après, comprenant que leur mission avait pris fin, le maire fit signe à ses hommes de retourner à la caserne.