Dans son second roman, le journaliste Adlène Meddi fait preuve d'une belle maîtrise de l'écriture. Le lecteur touche du doigt la difficulté d'être d'un policier algérois, dans le moins limpide des contextes. Dans ce récit qui se donne des allures de polar, un seul héros : la nuit et son ombre, lieu privilégié de tous les obscurantismes. Dans son second roman, le journaliste Adlène Meddi fait preuve d'une belle maîtrise de l'écriture. Le lecteur touche du doigt la difficulté d'être d'un policier algérois, dans le moins limpide des contextes. Dans ce récit qui se donne des allures de polar, un seul héros : la nuit et son ombre, lieu privilégié de tous les obscurantismes. Adlène Meddi offre au lecteur un voyage au bout de la nuit algéroise. Nuit où se fomentent et s'exécutent les plans les plus crapuleux, les besognes les plus immondes. Tuer ou être tué, c'est de ce non choix qu'est fait le quotidien de Djo, commissaire à la retraite, qui reprend du service, le temps de rembourser sa dette à Zedma, un énigmatique émir islamiste qui l'a épargné un jour. Toute l'histoire se concentre entre un 31 janvier et un vendredi 6 février à minuit. Plongée dans une tonalité des plus sombres, le texte se lit avec ce plaisir spécial que donnent les romans noirs et les films policiers. Sauf que l'intrigue n'est qu'un prétexte au déferlement de l'écrit. Un écrit où tout est «affaire de décor». La célébration d'Alger la Noire semble être le véritable propos du roman. Poubelles éventrées, ombres féroces et débonnaires veillant dans les quartiers, enlèvements, tortures et jeux de pouvoir… C'est un Alger pourri d'argent et saturé d'alcools forts, de drogue et de terreur que l'auteur recrée. Il restitue l'ambiance particulière à la ville blanche, une fois que les honnêtes gens sont rentrés chez eux et que la ville se livre à ce que Jacques Berque nomme «le complot, substitut spasmodique du jeu». «Coups de feu impunis sans flamme, aussi anonymes que les oiseaux en vol et les cimetières vus de loin. Et de loin est-ce Alger ? Là au bout du bras qui porte la baie ? Ou est-ce la mer à l'envers ? Non, c'est juste le ciel noir qui noie Alger. Aucune bouée de sauvetage à portée d'âme. Cette ville est une perpétuelle noyade. Et pour garder la tête hors de l'eau, il faut boire de la bière et faire des guerres.» La guerre est omniprésente dans l'ouvrage de Meddi. Avec son triste cortège de personnages classiques. Officiers des services, tortionnaires de tout acabit, gardes du corps, potentats, informateurs … Tout ce beau monde à la fois victimes et bourreaux, prédateurs ou gibier, en alternance ou en même temps ! «Abandonnée, Alger ? Ravalez votre morve, crient les trottoirs, sinon le cuivre assassin des balles vous mordra. Alger, dans sa verticalité, soumet les âmes et tire à vue sur ceux qui lui tournent le dos avant de leur bouffer les os. Et celui qui n'a pas compris qu'Alger est une colline n'a rien compris.» Vers la fin du roman, l'écriture de Meddi qui semble expérimenter de nombreux registres, atteint une pureté jubilatoire. C'est une prose poétique qui frise l'incandescence. «Qu'est-ce qui atteint le fond de l'aube de cette ville? Qu'est-ce qui atteint le fond de l'aube dans Alger la noire, qui sans voir se transforme chaque soir en bain de sang et de lumières sans gloire ? Alger, en face de Djo agenouillé sur l'étroite bande de sable. Torse droit comme un phare éteint et mains derrière la tête, le canon définitif d'un pistolet pointé sur le crâne.» Le commissaire Djo se vit comme un mort en sursis. Il a vu tous ses camarades finir à la morgue et il sait qu'un jour ce sera son tour. Cette certitude lui pourrit la vie et l'empêche de donner toute son importance à la belle relation sentimentale qu'il a nouée avec Amata qui l'attend à Tamanrasset. Aux avant-postes de la lutte anti-terroriste, le commissaire Djo en prend plein la figure et sa vie n'est qu'une lente agonie. Ce roman commencé en 2004 par l'auteur alors qu'il était en France souligne que le contexte ne s'est pas éclairci et que la «paix» est illusoire. «Le cortège des berlines blindées serpentait dans la nuit et le brouillard. A travers les roseaux muets, suintaient les lumières des phares. Faisceaux jaunes mordant l'obscure vapeur des enfers.» Dans cet enfer, «Il fallait trouver trois éléments : un meurtre facile à dégager, une intrigue et une débauche de pistes à suivre», a affirmé l'auteur lors de la présentation récente de son livre à l'espace Noun. Résultat : un roman assez complexe à lire et qui restitue avec talent une ambiance cruelle qui marquera à jamais l'âme des Algériens. K.T. La prière du Maure de Adlène Meddi Editions Barzakh, 2008 161 pages, 400 dinars Adlène Meddi offre au lecteur un voyage au bout de la nuit algéroise. Nuit où se fomentent et s'exécutent les plans les plus crapuleux, les besognes les plus immondes. Tuer ou être tué, c'est de ce non choix qu'est fait le quotidien de Djo, commissaire à la retraite, qui reprend du service, le temps de rembourser sa dette à Zedma, un énigmatique émir islamiste qui l'a épargné un jour. Toute l'histoire se concentre entre un 31 janvier et un vendredi 6 février à minuit. Plongée dans une tonalité des plus sombres, le texte se lit avec ce plaisir spécial que donnent les romans noirs et les films policiers. Sauf que l'intrigue n'est qu'un prétexte au déferlement de l'écrit. Un écrit où tout est «affaire de décor». La célébration d'Alger la Noire semble être le véritable propos du roman. Poubelles éventrées, ombres féroces et débonnaires veillant dans les quartiers, enlèvements, tortures et jeux de pouvoir… C'est un Alger pourri d'argent et saturé d'alcools forts, de drogue et de terreur que l'auteur recrée. Il restitue l'ambiance particulière à la ville blanche, une fois que les honnêtes gens sont rentrés chez eux et que la ville se livre à ce que Jacques Berque nomme «le complot, substitut spasmodique du jeu». «Coups de feu impunis sans flamme, aussi anonymes que les oiseaux en vol et les cimetières vus de loin. Et de loin est-ce Alger ? Là au bout du bras qui porte la baie ? Ou est-ce la mer à l'envers ? Non, c'est juste le ciel noir qui noie Alger. Aucune bouée de sauvetage à portée d'âme. Cette ville est une perpétuelle noyade. Et pour garder la tête hors de l'eau, il faut boire de la bière et faire des guerres.» La guerre est omniprésente dans l'ouvrage de Meddi. Avec son triste cortège de personnages classiques. Officiers des services, tortionnaires de tout acabit, gardes du corps, potentats, informateurs … Tout ce beau monde à la fois victimes et bourreaux, prédateurs ou gibier, en alternance ou en même temps ! «Abandonnée, Alger ? Ravalez votre morve, crient les trottoirs, sinon le cuivre assassin des balles vous mordra. Alger, dans sa verticalité, soumet les âmes et tire à vue sur ceux qui lui tournent le dos avant de leur bouffer les os. Et celui qui n'a pas compris qu'Alger est une colline n'a rien compris.» Vers la fin du roman, l'écriture de Meddi qui semble expérimenter de nombreux registres, atteint une pureté jubilatoire. C'est une prose poétique qui frise l'incandescence. «Qu'est-ce qui atteint le fond de l'aube de cette ville? Qu'est-ce qui atteint le fond de l'aube dans Alger la noire, qui sans voir se transforme chaque soir en bain de sang et de lumières sans gloire ? Alger, en face de Djo agenouillé sur l'étroite bande de sable. Torse droit comme un phare éteint et mains derrière la tête, le canon définitif d'un pistolet pointé sur le crâne.» Le commissaire Djo se vit comme un mort en sursis. Il a vu tous ses camarades finir à la morgue et il sait qu'un jour ce sera son tour. Cette certitude lui pourrit la vie et l'empêche de donner toute son importance à la belle relation sentimentale qu'il a nouée avec Amata qui l'attend à Tamanrasset. Aux avant-postes de la lutte anti-terroriste, le commissaire Djo en prend plein la figure et sa vie n'est qu'une lente agonie. Ce roman commencé en 2004 par l'auteur alors qu'il était en France souligne que le contexte ne s'est pas éclairci et que la «paix» est illusoire. «Le cortège des berlines blindées serpentait dans la nuit et le brouillard. A travers les roseaux muets, suintaient les lumières des phares. Faisceaux jaunes mordant l'obscure vapeur des enfers.» Dans cet enfer, «Il fallait trouver trois éléments : un meurtre facile à dégager, une intrigue et une débauche de pistes à suivre», a affirmé l'auteur lors de la présentation récente de son livre à l'espace Noun. Résultat : un roman assez complexe à lire et qui restitue avec talent une ambiance cruelle qui marquera à jamais l'âme des Algériens. K.T. La prière du Maure de Adlène Meddi Editions Barzakh, 2008 161 pages, 400 dinars