Un polar ! Et quel polar. Pour un coup d'essai, l'écrivain réussit un coup de maître. Le casse-tête turc est l'histoire d'un détective appelé Youcef Chergui, surnommé El Agrab (le scorpion), un ex- «poulet» blasé qui veut en finir avec ses sales affaires d'inspecteur: «Marre, dit-il, plus jamais wallah, je fourrerai le pif du agrâb que je suis dans ces sales affaires de chkoupi»...L'histoire se passe à Alger, «Alger ville fondamentalement bordélique» où règne une ambiance mortifère, glauque, où rodent les terroristes. Cela sent le sang, le calme terrifiant des cimetières, «à côté arrivent les bruits et la torpeur de la rue Didouche Mourad». Fatima, la femme de Moncef travaille à l'hôpital Mustapha Bacha. Elle l'informe de l'assassinat d'une prostituée, Nawel qui, comble de l'ironie ou du drame, avait survécu au massacre de ses frères et soeurs à Chlef. Nawel mais aussi d'autres vont allonger la liste des cadavres. Encore une affaire à régler pour El Agrab. La piste du crime, à côté des cadavres, «un cadenas flambant neuf et une fiole remplie de larmes». La fille d'El Agreb, Sarah a une amie, Amina, une fille très bien informée, qui sert, en quelque sorte d'indic à l'inspecteur. Les autres adjuvants nécessaires à la construction du récit, Majda, notamment une ex-journaliste, reconvertie en chauffeur de taxi, Athmane le «frérot» «ses yeux exagérément écarquillés sont bien encadrés par sa chevelure et sa barbe qui vont dans tous les sens antigravitationnels». L'esprit du mal est partout, lugubre, nocturne, à l'ombre des pierres tombales, dans les armes à feu, le racolage et la prostitution, le dessin funèbre de ce déjanté psychotique qui cache un passé lourd, tragique, enfin l'image du détective filant la moindre piste «Je me tourne sans arrêt pour voir les deux directions, en amont, en aval. Je me trouve au point extrême d'un virage. C'est là que les conducteurs sont obligés de ralentir et de racoler, accessoirement. Il a dû l'accoster en client, avant de la poignarder. Mais pourquoi l'a-t-il fait par derrière, alors?» Tous les ingrédients du polar sont là réunis. «Ce qui m'intéresse dans le polar est le fait que c'est très direct. Ça permet de nouer l'histoire autour d'une idée simple et d'avancer rapidement. L'idée, c'est l'enquête, le mystère. Il y a une seule question qui est posée au début du roman. Il doit répondre à une seule question à la fin du roman. Ça incite le personnage à se poser un tas de questions par rapport à la situation que vit l'Algérie. Le polar épouse bien ce genre de situation. Il y règne toujours cet esprit d'investigation. C'est pour ça que le polar est très intéressant», confie Adlène Meddi. Le Casse-tête turc fait partie d'une série. «Le principe est simple, c'est de prendre un seul et même personnage, le distribuer entre des auteurs différents et voir comment chacun peut librement inventer une enquête autour de ce personnage. L'éditeur nous a proposé l'idée et on s'est pris au jeu. C'est inspiré d'une série française, Le Poulpe, qui a été créé il y a 40 ans par un groupe de gauchistes français. Cela a eu un grand succès en France. Qui se cache derrière? C'est d'essayer d'instaurer un esprit de collection dans l'édition en Algérie parce qu'il n'y existe pas encore», explique Adlène. Alerte, fluide, souple et caustique, l'écriture de Adlène Meddi épouse parfaitement les contours de sa personnalité. Un jeune garçon au tempérament fougueux et dynamique, un vrai boute-en-train, à l'esprit vif, déterminé, exigeant avec lui-même comme son inspecteur de police bien décidé à aller jusqu'au bout de l'affaire, râleur, provocateur mais qui sait être un tendre et gentil père de famille... «Un rien cynique, il a tout perdu et n'a plus rien. Dans l'Algérie du chaos, la justice est son obsession. La mafia, les sérial-killers et la corruption, il les combat en justicier un peu fou, prêt à tout», lit-on en deuxième page de couverture. «Ce qui m'a amené au polar? C'est beaucoup plus des types comme Yasmina Khadra qui m'ont ouvert les yeux sur ce style de littérature», explique l'auteur. Lecteur invétéré bien avant d'être écrivain ou les deux en même temps, ce sont des gens comme Kateb Yacine, Faulkner, en passant par Malek Haddad qui ont nourri et façonné l'imaginaire et le style de Adlène Meddi. A l'image de son aîné, ami et «frère d'écriture», Mustapaha Benfodil, Adlène Meddi ose dans le lexique et se permet des «digressions» langagières. Rien d'étonnant, en fait, c'est juste une interférence logique liée à un phénomène de société. Ce qui peut s'apparenter à des «écarts» de langage, l'âme «sensible» ne devrait trouver là que le reflet d'une génération qui parle ainsi sans travestir ses mots. Comme on dit «normal» presque banal, le père de San Antonio, Frédéric Dard ne l'a-t-il pas fait avant lui et d'autres encore. Pourquoi pas nous? Aussi, c'est encore bon de se retrouver dans Ya kho, Allah ghalab, chkoupi, Dine errab! et autres termes salaces mais qui font bien partie de la vie algérienne. Qu'on se le dise enfin, Le casse-tête turc est le prélude littéraire d'un jeune homme de 27 ans passionnant et passionné dont la carrière d'ores et déjà s'annonce prometteuse. Ecrire pour lui, c'est comme respirer, une vocation. Dernière chose, le Agrab, contrairement à la légende ne se donne pas la mort mais contribue à sauver des vies humaines. Une fin bien utile. Ceci ne dévoile en rien l'issue du roman. Journaliste, Adlène Meddi vient d'ajouter une nouvelle corde à son arc, en signant ce premier roman. C'est loin, la rupture.