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«Tous les départs sont des arrachements»
Entretien avec Ali Mouzaoui, écrivain et cinéaste
Publié dans Le Midi Libre le 24 - 09 - 2008

L'auteur du film «Mimezrane» nous propose un roman, qu'on lit d'une traite. Un livre impressionnant, dans lequel l'auteur s'est investi corps et âme, ne faisant aucune concession, ni sur la forme, si sur le contenu. L'œuvre est une immersion dans un univers impitoyable, où les personnages se battent à la fois contre une nature hostile et contre la dictature de règles qu'ils ont eux-mêmes édictées. «Thirga au bout du monde» est un roman qui gagne à être lu.
L'auteur du film «Mimezrane» nous propose un roman, qu'on lit d'une traite. Un livre impressionnant, dans lequel l'auteur s'est investi corps et âme, ne faisant aucune concession, ni sur la forme, si sur le contenu. L'œuvre est une immersion dans un univers impitoyable, où les personnages se battent à la fois contre une nature hostile et contre la dictature de règles qu'ils ont eux-mêmes édictées. «Thirga au bout du monde» est un roman qui gagne à être lu.
Trois générations se succèdent dans votre roman (Moussa, Hadj Boussad ou Moussa, Dahbia). La disparition de Dahbia dans la rivière clôt la saga de cette famille, dont le destin défie le néant.
Il est évident que ‘‘Thirga au bout du monde'' refaçonne en pointillés, au moins, le parcours de trois générations. Le temps n'est, dans ce cas précis, que le signal d'un événement. Evénement - consistance dans la genèse de notre Histoire.
Si l'on considère que Moussa a vécu à l'époque ottomane, cela nous fait un survol historique de plus de 130 ans. On a ainsi la période turque, la colonisation, et la guerre de libération.
Dans cette vision, le temps ne signifie point succession d'années mais émotion suscitée par l'empreinte d'un événement sur notre mémoire – unique parchemin. N'oublions pas tout ce que pourrait signifier, en sens profond, le souvenir dans une société à traditions orales. Nous ne pourrons pas tout retenir. Nous opérons, avec une rigueur stricte, la sélection du fait. Une telle attitude nous pousse à reformuler notre sens de la douleur, du plaisir, du bonheur…
Parallèlement, il y a les Boutabani, qui se déclinent aussi en trois générations : ils excellent dans l'art de la manipulation, d'où ils tirent leur pouvoir, et savent tirer profit de la zaouïa et de l'administration.
Parfois, il me semble que notre histoire a fait une embardée involontaire du fait que nous vivons dans un e société où l'évolution n'obéit pas au cours d'un ordre naturel. Les civilisations auxquelles nous nous sommes frottés ont provoqué en nous des sauts auxquels nous n'étions pas préparés. Après cinquante ans d'Indépendance, nous revoilà, le bec dans l'eau, prêts à reprendre notre petit bonhomme de chemin là où l'histoire nous a surpris. Je suis certain (avec tout le rejet que j'ai des certitudes et des assurances) que mon pays n'a pas pu s'arracher aux pesanteurs esclavagistes antécoloniales. Nous nous embourbons bien plus que nous pourrions l'imaginer dans le féodalisme tortueux des zaouia. L'Algérie a fonctionné en tant qu'Etat moderne tant que subsistait le vernis d'une administration française.
Sans vouloir faire dans l'apologie du colonialisme, chaque jour qui passe nous éloigne de la rigueur d'une gestion moderne, donc du progrès. C'est une évidence. Pour s'en convaincre, il suffit de se pencher sur les mécanismes de la moindre de nos élections. Tout est basé sur une cooptation douteuse. Bien des députés, voire des sénateurs sont désignés sous des tentes, selon le poids de tel ou tel marabout. La baraka est notre seul sondage.
C'est le poids des Boutabani dans ‘‘Thirga au bout du monde'' Les chats retombent toujours sur leurs pattes et le peuple, rompu aux servitudes, est corvéable à merci. Les rapports sociaux n'ont pas connu de chamboulement depuis l'indépendance. Bien au contraire les positions ‘‘Maître esclaves'' s'affirment de plus en plus. L'Algérie n'a pas encore fait sa révolution. Malheureusement, bien des drames sont à venir. C'est dans ce sens que j'ai poussé jusqu'au ridicule le personnage de Boutabani. Hadj Boussad Oumoussa, son ami et contemporain ne pouvait que l'embrocher avec sa fourche sans parvenir à un mode de gestion plus humain.
Thirga au bout du monde : un pays de nulle part, accroché à un rocher. Vous décrivez un monde dur, auquel une nature hostile a imposé ses lois.
Evidemment, l'univers de ‘‘Thirga au bout du monde'' n'a rien de la douceur méditerranéenne de la Mitidja. Seulement, l'âpreté de la nature est supportable. Au fond, il n'y a jamais eu un combat opposant l'homme à la nature. Il y a eu, parfois, des problèmes d'adaptation de l'homme à son milieu. Les grands drames, les pires malheurs que les hommes ont connus ont toujours découlé de leur mode de gestion. Les injustices sont des failles dans un système profitant à une minorité qui le maintient le plus longtemps possible.
Sur cette rocaille, «où les hommes finissent par ressembler à la terre qui les nourrit», la société est fermée sur elle-même. Le droit coutumier n'admet aucun écart.
Encore une fois, la rocaille – élément d'un paysage physique – n'est rien. Il ne pèse pas dans le poids de nos malheurs. Mais la loi, le droit coutumier, ce pourrait être réformé au nom du progrès humain. A ce jour ce n'est pas fait et j'attends toujours. Nous sommes bêtement patients.
L'une des coutumes les plus sévères est celle du bannissement. Quel a été l'impact de cette coutume sur la vie des montagnards ?
Le bannissement est l'ultime recours dans l'application d'une peine. A ‘‘Thirga au bout du monde'' on ne bannit pas à tour de bras. A dire vrai, Dehbia est partie consentante. Cela ressemble à l'auto flagellation. Ce n'est pas le départ de Dehbia qui est un drame en soi. C'est la culpabilité dans un acte d'amour qui, naturellement aboutit à l'enfantement. C'est le résultat d'une seule nuit d'amour volée, arrachée à la barbe de la tribu gardienne des archaïsmes étouffants. Hadj Boussad Oumoussa est banni volontairement pour se soustraire à une prétendue vengeance que n'entreprendrait jamais le pleutre de Ouali dont le bras ne pourrait tenir une arme sans trembler. Je m'exprime avec exagération jusqu'à la caricature. C'est la seule façon de souligner des contradictions qui nous occasionnent bien des souffrances et dont on s'enorgueillit souvent. N'oublions pas que notre société est malade de son identité, de son école, de sa justice. Prétendre le contraire c'est précipiter notre perte.
Hadj Boussad ou Moussa ne découvre le sens de la tendresse que sur son lit de mort. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
Bien tard. C'est la conception de notre démarche amoureuse où tout est inversé. A ‘‘Thirga au bout du monde'' on se marie d'abord, on tente de trouver l'amour ensuite. Voilà pourquoi le cœur de Hadj Boussad Oumoussa ne bat qu'au crépuscule. A ‘‘Thirga au bout du monde'' les aurores sont froides et la faim creuse les ventres. Quelle chance de vivre la fin de Hadj Boussad Oumoussa. Il aime sans retenue celle qu'il a tant engrossée au gré du hasard. Sans hésiter, il se ruine à lui offrir la langue de veau dont il connaît la succulence. Il est parti en glissant tendrement vers les béances de la mort.
De même le tamen, homme généreux et pondéré, va ruminer sa vengeance durant toute une vie. Quelqu'un un jour, lui avait volé sa vie, en le touchant dans sa dignité.
Le tamène a voyagé avec son quota de haine et de soif de vengeance. Il ne subit pas de transformation en terre étrangère. Il demeure brut et brutal. Avant de tuer, la femme qui l'a dupé a pu remuer son tréfonds même si les sentiments amoureux de la pauvre vieille aveugle étaient adressés à l'amant intrépide. Le tamène tue parce qu'il n'est plus qu'une mécanique réglée pour l'explosion. Or, du fond de son être, remontent le remords, la bonté. Après l'acte odieux, il se donne la mort en réponse à son acte sans fondement.
N'y a-t-il pas quelque chose de donquichottesque dans le pèlerinage de Hadj Boussad Oumoussa ?
Il ressemble au soldat en papier d'Okoudjava qui appelle à la guerre, sans savoir, qu'en cas de guerre, il sera le premier à brûler. Hadj Boussad Oumoussa est parti à la Mecque sans conviction religieuse, il est revenu à Thirga avec des convictions d'aimer viscéralement thamourth – pays natal. Ceci est propre aux Kabyles qui, paradoxalement à thamourth peu nourricière, ont une générosité enracinée et confondue dans Thirga. Thirga, pour Hadj Boussad Oumoussa prend un sens plus noble que la Terre entière. Il dit bien : « Je reviens vers Thirga là où le soleil se couche. A quoi me servirait d'aller là où le soleil se lève». Amour pour Thirga, au-delà d'un sentiment de Foi.
L'émigration et l‘exil sont l'autre facette de la kabylie. La France, à la recherche de bras, va happer cette jeunesse taraudée par la misère. Et pourtant c'est là qu'ils vont se frotter au mouvement national.
Dans ‘‘Thirga au bout du monde'', tous les départ sont des arrachement douloureux, insupportables. Ils sont souvent teintés de sang, qu'il soit sang de noce ou sang de vengeance. Il arrive que l'on tue avant de partir, par prévoyance de préserver l'honneur. C'est le cas d'Amar-penche-tête qui, avant de partir, tue Secoura pour que les gendarmes ne voient jamais la petite verrue nichée au coin de l'aine de sa dulcinée. Les départs sont violents à Thirga. C'est de vives amputations. Maintenant, il se peut que ces déchirements s'accompagnent de quelques enseignements positifs. Cela va de la qualification professionnelle à la conscience politique. Ceci dit, ceux de Thirga ont fait bloc- ensemble compact à l'épreuve des érosions diverses.
Vous avez reçu une formation de réalisateur. Qu'est-ce qui vous a amené à l'écriture ?
Au-delà de l'inspiration, il y a une nécessité. Parfois, on se sent interpellé par le devoir de rapporter des faits, de dire des vérités qui sont pour nous évidentes mais occultées pour la société. Pourtant à vous dire le fond de ma pensée, l'acte d'écrire est un acte de liberté et de douloureuse solitude, contrairement au cinéma où la création est un travail d'équipe. Chaque fois que j'ai envie de parler en public, avec des mots simples, de ce que j'ai écrit, l'émotion me noue la gorge. L'écriture telle que je la conçois est loin d'être un bonheur, un travail de tout repos. Les personnages qui sont le fruit de mon imaginaire ne se détachent pas de moi. Il sont une partie de moi-même et nous traînons ensembles leurs peines.
Lorsque j'ai terminé l'écriture de Si Mohand (scénario) – travail d'une année, jour pour jour, j'ai failli sombrer dans la dépression, tant j'avais l'impression d'avoir écourté sa vie.
Que pensez-vous de la littérature algérienne, d'aujourd'hui ?
Je ne connais que la littérature algérienne francophone. Ses meilleures pages se conjuguent au passé. Son actualité est indigente et son avenir incertain. C'est à l'école que s'opère le pire travail de castration. L'école est désormais un espace où l'on apprend à retenir, mais pas à réfléchir.
Trois générations se succèdent dans votre roman (Moussa, Hadj Boussad ou Moussa, Dahbia). La disparition de Dahbia dans la rivière clôt la saga de cette famille, dont le destin défie le néant.
Il est évident que ‘‘Thirga au bout du monde'' refaçonne en pointillés, au moins, le parcours de trois générations. Le temps n'est, dans ce cas précis, que le signal d'un événement. Evénement - consistance dans la genèse de notre Histoire.
Si l'on considère que Moussa a vécu à l'époque ottomane, cela nous fait un survol historique de plus de 130 ans. On a ainsi la période turque, la colonisation, et la guerre de libération.
Dans cette vision, le temps ne signifie point succession d'années mais émotion suscitée par l'empreinte d'un événement sur notre mémoire – unique parchemin. N'oublions pas tout ce que pourrait signifier, en sens profond, le souvenir dans une société à traditions orales. Nous ne pourrons pas tout retenir. Nous opérons, avec une rigueur stricte, la sélection du fait. Une telle attitude nous pousse à reformuler notre sens de la douleur, du plaisir, du bonheur…
Parallèlement, il y a les Boutabani, qui se déclinent aussi en trois générations : ils excellent dans l'art de la manipulation, d'où ils tirent leur pouvoir, et savent tirer profit de la zaouïa et de l'administration.
Parfois, il me semble que notre histoire a fait une embardée involontaire du fait que nous vivons dans un e société où l'évolution n'obéit pas au cours d'un ordre naturel. Les civilisations auxquelles nous nous sommes frottés ont provoqué en nous des sauts auxquels nous n'étions pas préparés. Après cinquante ans d'Indépendance, nous revoilà, le bec dans l'eau, prêts à reprendre notre petit bonhomme de chemin là où l'histoire nous a surpris. Je suis certain (avec tout le rejet que j'ai des certitudes et des assurances) que mon pays n'a pas pu s'arracher aux pesanteurs esclavagistes antécoloniales. Nous nous embourbons bien plus que nous pourrions l'imaginer dans le féodalisme tortueux des zaouia. L'Algérie a fonctionné en tant qu'Etat moderne tant que subsistait le vernis d'une administration française.
Sans vouloir faire dans l'apologie du colonialisme, chaque jour qui passe nous éloigne de la rigueur d'une gestion moderne, donc du progrès. C'est une évidence. Pour s'en convaincre, il suffit de se pencher sur les mécanismes de la moindre de nos élections. Tout est basé sur une cooptation douteuse. Bien des députés, voire des sénateurs sont désignés sous des tentes, selon le poids de tel ou tel marabout. La baraka est notre seul sondage.
C'est le poids des Boutabani dans ‘‘Thirga au bout du monde'' Les chats retombent toujours sur leurs pattes et le peuple, rompu aux servitudes, est corvéable à merci. Les rapports sociaux n'ont pas connu de chamboulement depuis l'indépendance. Bien au contraire les positions ‘‘Maître esclaves'' s'affirment de plus en plus. L'Algérie n'a pas encore fait sa révolution. Malheureusement, bien des drames sont à venir. C'est dans ce sens que j'ai poussé jusqu'au ridicule le personnage de Boutabani. Hadj Boussad Oumoussa, son ami et contemporain ne pouvait que l'embrocher avec sa fourche sans parvenir à un mode de gestion plus humain.
Thirga au bout du monde : un pays de nulle part, accroché à un rocher. Vous décrivez un monde dur, auquel une nature hostile a imposé ses lois.
Evidemment, l'univers de ‘‘Thirga au bout du monde'' n'a rien de la douceur méditerranéenne de la Mitidja. Seulement, l'âpreté de la nature est supportable. Au fond, il n'y a jamais eu un combat opposant l'homme à la nature. Il y a eu, parfois, des problèmes d'adaptation de l'homme à son milieu. Les grands drames, les pires malheurs que les hommes ont connus ont toujours découlé de leur mode de gestion. Les injustices sont des failles dans un système profitant à une minorité qui le maintient le plus longtemps possible.
Sur cette rocaille, «où les hommes finissent par ressembler à la terre qui les nourrit», la société est fermée sur elle-même. Le droit coutumier n'admet aucun écart.
Encore une fois, la rocaille – élément d'un paysage physique – n'est rien. Il ne pèse pas dans le poids de nos malheurs. Mais la loi, le droit coutumier, ce pourrait être réformé au nom du progrès humain. A ce jour ce n'est pas fait et j'attends toujours. Nous sommes bêtement patients.
L'une des coutumes les plus sévères est celle du bannissement. Quel a été l'impact de cette coutume sur la vie des montagnards ?
Le bannissement est l'ultime recours dans l'application d'une peine. A ‘‘Thirga au bout du monde'' on ne bannit pas à tour de bras. A dire vrai, Dehbia est partie consentante. Cela ressemble à l'auto flagellation. Ce n'est pas le départ de Dehbia qui est un drame en soi. C'est la culpabilité dans un acte d'amour qui, naturellement aboutit à l'enfantement. C'est le résultat d'une seule nuit d'amour volée, arrachée à la barbe de la tribu gardienne des archaïsmes étouffants. Hadj Boussad Oumoussa est banni volontairement pour se soustraire à une prétendue vengeance que n'entreprendrait jamais le pleutre de Ouali dont le bras ne pourrait tenir une arme sans trembler. Je m'exprime avec exagération jusqu'à la caricature. C'est la seule façon de souligner des contradictions qui nous occasionnent bien des souffrances et dont on s'enorgueillit souvent. N'oublions pas que notre société est malade de son identité, de son école, de sa justice. Prétendre le contraire c'est précipiter notre perte.
Hadj Boussad ou Moussa ne découvre le sens de la tendresse que sur son lit de mort. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
Bien tard. C'est la conception de notre démarche amoureuse où tout est inversé. A ‘‘Thirga au bout du monde'' on se marie d'abord, on tente de trouver l'amour ensuite. Voilà pourquoi le cœur de Hadj Boussad Oumoussa ne bat qu'au crépuscule. A ‘‘Thirga au bout du monde'' les aurores sont froides et la faim creuse les ventres. Quelle chance de vivre la fin de Hadj Boussad Oumoussa. Il aime sans retenue celle qu'il a tant engrossée au gré du hasard. Sans hésiter, il se ruine à lui offrir la langue de veau dont il connaît la succulence. Il est parti en glissant tendrement vers les béances de la mort.
De même le tamen, homme généreux et pondéré, va ruminer sa vengeance durant toute une vie. Quelqu'un un jour, lui avait volé sa vie, en le touchant dans sa dignité.
Le tamène a voyagé avec son quota de haine et de soif de vengeance. Il ne subit pas de transformation en terre étrangère. Il demeure brut et brutal. Avant de tuer, la femme qui l'a dupé a pu remuer son tréfonds même si les sentiments amoureux de la pauvre vieille aveugle étaient adressés à l'amant intrépide. Le tamène tue parce qu'il n'est plus qu'une mécanique réglée pour l'explosion. Or, du fond de son être, remontent le remords, la bonté. Après l'acte odieux, il se donne la mort en réponse à son acte sans fondement.
N'y a-t-il pas quelque chose de donquichottesque dans le pèlerinage de Hadj Boussad Oumoussa ?
Il ressemble au soldat en papier d'Okoudjava qui appelle à la guerre, sans savoir, qu'en cas de guerre, il sera le premier à brûler. Hadj Boussad Oumoussa est parti à la Mecque sans conviction religieuse, il est revenu à Thirga avec des convictions d'aimer viscéralement thamourth – pays natal. Ceci est propre aux Kabyles qui, paradoxalement à thamourth peu nourricière, ont une générosité enracinée et confondue dans Thirga. Thirga, pour Hadj Boussad Oumoussa prend un sens plus noble que la Terre entière. Il dit bien : « Je reviens vers Thirga là où le soleil se couche. A quoi me servirait d'aller là où le soleil se lève». Amour pour Thirga, au-delà d'un sentiment de Foi.
L'émigration et l‘exil sont l'autre facette de la kabylie. La France, à la recherche de bras, va happer cette jeunesse taraudée par la misère. Et pourtant c'est là qu'ils vont se frotter au mouvement national.
Dans ‘‘Thirga au bout du monde'', tous les départ sont des arrachement douloureux, insupportables. Ils sont souvent teintés de sang, qu'il soit sang de noce ou sang de vengeance. Il arrive que l'on tue avant de partir, par prévoyance de préserver l'honneur. C'est le cas d'Amar-penche-tête qui, avant de partir, tue Secoura pour que les gendarmes ne voient jamais la petite verrue nichée au coin de l'aine de sa dulcinée. Les départs sont violents à Thirga. C'est de vives amputations. Maintenant, il se peut que ces déchirements s'accompagnent de quelques enseignements positifs. Cela va de la qualification professionnelle à la conscience politique. Ceci dit, ceux de Thirga ont fait bloc- ensemble compact à l'épreuve des érosions diverses.
Vous avez reçu une formation de réalisateur. Qu'est-ce qui vous a amené à l'écriture ?
Au-delà de l'inspiration, il y a une nécessité. Parfois, on se sent interpellé par le devoir de rapporter des faits, de dire des vérités qui sont pour nous évidentes mais occultées pour la société. Pourtant à vous dire le fond de ma pensée, l'acte d'écrire est un acte de liberté et de douloureuse solitude, contrairement au cinéma où la création est un travail d'équipe. Chaque fois que j'ai envie de parler en public, avec des mots simples, de ce que j'ai écrit, l'émotion me noue la gorge. L'écriture telle que je la conçois est loin d'être un bonheur, un travail de tout repos. Les personnages qui sont le fruit de mon imaginaire ne se détachent pas de moi. Il sont une partie de moi-même et nous traînons ensembles leurs peines.
Lorsque j'ai terminé l'écriture de Si Mohand (scénario) – travail d'une année, jour pour jour, j'ai failli sombrer dans la dépression, tant j'avais l'impression d'avoir écourté sa vie.
Que pensez-vous de la littérature algérienne, d'aujourd'hui ?
Je ne connais que la littérature algérienne francophone. Ses meilleures pages se conjuguent au passé. Son actualité est indigente et son avenir incertain. C'est à l'école que s'opère le pire travail de castration. L'école est désormais un espace où l'on apprend à retenir, mais pas à réfléchir.


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