«L'Année des chiens», «La Cité du précipice» et «Je fais comme fait dans la mer le nageur» sont les trois romans que Sadek Aïssat a eu le temps d'écrire avant de mourir à Paris, le 6 janvier 2005, d'une crise cardiaque. Depuis mai dernier, le lecteur peut dévorer ses romans d'un seul coup. Ce faisant, il re-découvre une plume puissante mise au monde par le chaâbi d'El -Anka. «Humain jusqu'au chavirement de l'âme. C'est pour ça qu'il écrit. Mais attention, son écriture n'est pas sa psychothérapie. Il n'écrit pas pour se guérir, il écrit dans sa blessure. C'est différent», peut-on lire dans la préface signée par Sid Ahmed Semiane. Bachir hadj Ali raconte qu'El-Anka était un homme blessé. Un homme en colère. En colère contre la colonisation, d'abord. En colère aussi contre ces ronds-de-cuir morveux qui avaient décidé de le marginaliser. C'est suite à cette blessure qu'il avait enregistré «El-Meknassia». Texte lumineux de Kaddour El Aalami. «Je fais comme fait dans la mer le nageur» dit-il. «Ma bouche riait mais les ténèbres remplissaient mon cœur / c'est ainsi que j'ai enduré les revers de la vie/ Mes forces déclinèrent, mon silence grandit, je devins muet./J'étais incapable de me réconcilier, de me battre…/Et j'ai fait comme fait dans la mer le nageur/ J'ai relâché mes membres pour affronter les impolis… », chantait El-Anka dans cette «palpitation de l'âme dont l'immensité du territoire n'apparaît qu'une fois que l'on s'est égaré sur des sentiers nomades.» C'est ainsi que Sadek, cité par François Maspero en postface, définissait le chaâbi. Ainsi, le lecteur, en plus des trois ouvrages écrits par une plume miroir qui restitue l'inquiétant visage d'une mère auto-immune qui détruit les siens, peut découvrir l'homme à travers ceux qui l'ont aimé et qui l'ont lu. «Et je comprenais que pour Sadek, écrire était comme un geste de survie du naufragé dans la tempête. Une question de vie ou de mort», écrit encore l'éditeur de Frantz fanon, devenu lui aussi «un frère» de Sadek après l'interview qu'il accorde à ce dernier en 1991, à son début d'exil parisien. A un moment où son parti s'effondre. «Je faisais tout pour ne pas être vu, j'étais au bord du suicide dans les années 93/95, j'écrivais pour ne pas devenir fou», déclare-t-il à la journaliste Daïkha Dridi qui, en 2004, signe un beau texte intitulé «Alger-Paris, et la déglingue de Sadek Aïssat.» «Je ne prends plus la tête à mes gamines avec l'Algérie comme avant, car je me suis rendu compte que dans mon désir de leur transmettre leur pays je leur passais en fait ma déglingue», lui confie-t-il encore. «De la marge et de l'intérieur » titre Yasmina Belkacem qui parle de «littérature de la douleur.» D'Algérie, de déglingue et de marges sont en effet tissées les histoires contées par Sadek. Zohra, jeune vieille veuve de «La Cité du précipice», sursaute sur son tapis de prière quand elle entend trois rafales d'armes automatiques. Son cœur de mère est mystérieusement averti qu'un de ses fils vient d'être déchiqueté par les tirs. Dans «L'année des chiens», le quartier de l'oued putride, El-Harrach, est au cœur de la tragédie. Dans «Je fais comme fait dans la mer le nageur», les vieux émigrés maghrébins du foyer Sonacotra «poussent leurs gémissements catarrheux de tubards, poitrinaires qui ne veulent plus rentrer chez eux car cela fait longtemps qu'ils n'ont plus de chez eux, ils habitent leur hémoptysie et l'intérieur schizophrénique des étrangers qu'ils sont devenus. Ils ont voyagé sans ceinture.» Des jeunes gens, habités par la mort, finissent par la dispenser généreusement avant d'être fauchés à leur tour. «Malgré nos morts, nos défaites, les trahisons, nous ne sommes pas des résignés», disait pourtant Sadek, avec lucidité. «L'Année des chiens», «La Cité du précipice» et «Je fais comme fait dans la mer le nageur» sont les trois romans que Sadek Aïssat a eu le temps d'écrire avant de mourir à Paris, le 6 janvier 2005, d'une crise cardiaque. Depuis mai dernier, le lecteur peut dévorer ses romans d'un seul coup. Ce faisant, il re-découvre une plume puissante mise au monde par le chaâbi d'El -Anka. «Humain jusqu'au chavirement de l'âme. C'est pour ça qu'il écrit. Mais attention, son écriture n'est pas sa psychothérapie. Il n'écrit pas pour se guérir, il écrit dans sa blessure. C'est différent», peut-on lire dans la préface signée par Sid Ahmed Semiane. Bachir hadj Ali raconte qu'El-Anka était un homme blessé. Un homme en colère. En colère contre la colonisation, d'abord. En colère aussi contre ces ronds-de-cuir morveux qui avaient décidé de le marginaliser. C'est suite à cette blessure qu'il avait enregistré «El-Meknassia». Texte lumineux de Kaddour El Aalami. «Je fais comme fait dans la mer le nageur» dit-il. «Ma bouche riait mais les ténèbres remplissaient mon cœur / c'est ainsi que j'ai enduré les revers de la vie/ Mes forces déclinèrent, mon silence grandit, je devins muet./J'étais incapable de me réconcilier, de me battre…/Et j'ai fait comme fait dans la mer le nageur/ J'ai relâché mes membres pour affronter les impolis… », chantait El-Anka dans cette «palpitation de l'âme dont l'immensité du territoire n'apparaît qu'une fois que l'on s'est égaré sur des sentiers nomades.» C'est ainsi que Sadek, cité par François Maspero en postface, définissait le chaâbi. Ainsi, le lecteur, en plus des trois ouvrages écrits par une plume miroir qui restitue l'inquiétant visage d'une mère auto-immune qui détruit les siens, peut découvrir l'homme à travers ceux qui l'ont aimé et qui l'ont lu. «Et je comprenais que pour Sadek, écrire était comme un geste de survie du naufragé dans la tempête. Une question de vie ou de mort», écrit encore l'éditeur de Frantz fanon, devenu lui aussi «un frère» de Sadek après l'interview qu'il accorde à ce dernier en 1991, à son début d'exil parisien. A un moment où son parti s'effondre. «Je faisais tout pour ne pas être vu, j'étais au bord du suicide dans les années 93/95, j'écrivais pour ne pas devenir fou», déclare-t-il à la journaliste Daïkha Dridi qui, en 2004, signe un beau texte intitulé «Alger-Paris, et la déglingue de Sadek Aïssat.» «Je ne prends plus la tête à mes gamines avec l'Algérie comme avant, car je me suis rendu compte que dans mon désir de leur transmettre leur pays je leur passais en fait ma déglingue», lui confie-t-il encore. «De la marge et de l'intérieur » titre Yasmina Belkacem qui parle de «littérature de la douleur.» D'Algérie, de déglingue et de marges sont en effet tissées les histoires contées par Sadek. Zohra, jeune vieille veuve de «La Cité du précipice», sursaute sur son tapis de prière quand elle entend trois rafales d'armes automatiques. Son cœur de mère est mystérieusement averti qu'un de ses fils vient d'être déchiqueté par les tirs. Dans «L'année des chiens», le quartier de l'oued putride, El-Harrach, est au cœur de la tragédie. Dans «Je fais comme fait dans la mer le nageur», les vieux émigrés maghrébins du foyer Sonacotra «poussent leurs gémissements catarrheux de tubards, poitrinaires qui ne veulent plus rentrer chez eux car cela fait longtemps qu'ils n'ont plus de chez eux, ils habitent leur hémoptysie et l'intérieur schizophrénique des étrangers qu'ils sont devenus. Ils ont voyagé sans ceinture.» Des jeunes gens, habités par la mort, finissent par la dispenser généreusement avant d'être fauchés à leur tour. «Malgré nos morts, nos défaites, les trahisons, nous ne sommes pas des résignés», disait pourtant Sadek, avec lucidité.