Sa profession de journaliste lui a donné la passion des détails, de la description étayée et une maîtrise de l'art de l'argumentaire. Dès les premières pages, l'auteur prêche déjà pour un lecteur conquis et convaincu, et tant pis pour ses détracteurs car il fait comme le nageur dans la mer. Il ignore les bavardages insignifiants et riposte avec une œuvre qui se résume certes à trois romans seulement, mais qui suffit par installer Sadek Aïssat parmi les auteurs majeurs et importants de la littérature algérienne. Disparu en janvier 2005 des suites d'une crise cardiaque, Sadek Aïssat a été l'un des premiers à s'intéresser aux petites gens, aux marginaux, aux laissés-pour-compte. Leur sort l'a toujours intrigué et inspiré, et dans une fresque mélancolique extraordinaire et mesurée, Sadek Aïssat dresse des portraits d'individus singuliers, atypiques et complètement déséquilibrés. Ses descriptions et autres images font sourire. Pris de pitié, le lecteur se laisse guider au fil des pages, et s'abandonne aux récits de Sadek Aïssat, qui mêle mélancolie et nostalgie. Dans l'Année des chiens, il relate les péripéties désastreuses de deux jumeaux qui évoluent dans un quartier populaire. Frères, les deux jeunes hommes choisissent des vies aux antipodes l'une de l'autre : le premier est sauvé par la littérature et les belles lettres, et l'autre est repêché par les fanatiques. En toile de fond, se dresse un quartier populaire, des personnages surprenants et des histoires à la fois tristes et peu gâtés par la vie. Des personnages/acteurs dans les grands bouleversements de l'Algérie. Cependant, Sadek Aïssat est certes mélancolique mais il n'est pas fataliste. Son œuvre est celle de la désillusion. Il relate les échecs, les hontes et les turpitudes d'une génération qui a failli et qui a cru trop vite atteindre ses objectifs. Un mirage ? Sans nul doute, mais Sadek Aïssat n'omet pas de rendre compte de l'enthousiasme de la jeunesse et de l'atmosphère oppressante, représentative du climat des années 1980. Sadek exulte et déborde à chaque phrase, chaque mot, chaque syllabe. Il poétise mais ne politise pas son propos, car cela relève de l'inconscient du roman. En outre, la passion de Sadek Aïssat pour le chaâbi est largement perceptible dans cette trilogie qui s'agence comme une partition chaâbie. Sa grande admiration pour El-Anka qu'il considère comme le maître incontesté et incontestable du genre est aussi évidente, notamment dans le titre de son dernier roman Je fais comme dans la mer le nageur, paru en 2004, un passage de la qsida Soubhane Ellah ya ltif. Mais si l'on ne devait choisir qu'un seul de ces trois romans, ce serait sans conteste la Cité du précipice. Un roman noir où la désillusion se transforme en horreur. Les portraits sont horrifiants et pleins de douleur, une douleur qui sort des tripes. Mais la littérature n'est pas qu'un exutoire pour Sadek Aïssat dont l'écriture s'interroge sur la création, et les limites de la folie. Paranoïaque ? Sans doute. Car comme l'écrit Marc Lambron dans sa Théorie du Chiffon : “Un paranoïaque n'est qu'un altruiste déçu.” C'est peut-être cela la réponse à l'interrogation. Peut-être ! Trilogie de Sadek Aïssat : l'Année des chiens, la Cité du précipice, Je fais comme dans la mer le nageur, recueils de romans, éditions Barzakh, Algérie, octobre 2009, 600 DA.