Le Midi Libre 4 Avril 2010 Plusieurs centaines de travailleurs, notamment ceux exerçant dans de puissantes multinationales pétrolières au Sud du pays se plaignent des mauvaises conditions de travail et à subir les représailles des dirigeants de ces sociétés qui leur dénient le droit de créer un syndicat Il ne fait pas bon d‘être salarié dans une compagnie pétrolière étrangère par ces temps qui courent. Travailler et se taire ou à la porte. C‘est le choix laissé à ces travailleurs qui ne savent plus à qui s‘adresser pour rester dignes, exercer leur métier selon la législation du travail et sans épée de Damoclès suspendue sur leurs têtes. « Nous sommes inondés de dossiers de plaintes déposées par des salariés des compagnies pétrolières étrangères exerçant en Algérie », a déclaré, hier au Midi Libre, Yacine Ziad, membre fondateur du Comité national pour la défense des droits des travailleurs, créé depuis peu. Selon ce responsable, la création du comité « a été le déclic et surtout un repère » pour ces travailleurs qui revendiquent des conditions de travail décentes et la possibilité de « créer un syndicat ». Ils sont, selon Yacine Ziad, « plusieurs centaines de travailleurs, notamment ceux exerçant dans de puissantes multinationales pétrolières au Sud du pays à se plaindre des mauvaises conditions de travail et à subir les représailles des dirigeants de ces sociétés qui leur dénient le droit de créer un syndicat». Ces sociétés qui ne respectent pas les lois algériennes Schlumberger, Waterford, Emflaco, Algersco, Beechtel, Compass, Butterhug et Petrojet, sont « les compagnies qui se distinguent par des pratiques scandaleuses à l‘égard des travailleurs algériens », souligne le membre fondateur du Comité national pour la défense des droits des travailleurs qui avoue « son impuissance » à faire face à ce déferlement de plaintes des salariés algériens à l‘encontre de leurs employeurs étrangers. « Nous manquons terriblement de moyens pour venir en aide à ces travailleurs dont plusieurs ont été licenciés abusivement», se plaint-il, regrettant que « les multinationales pétrolières font peu cas des décisions de justice qui prononcent leur réintégration ». Avec la création du Comité national pour la défense des droits des travailleurs, les langues des travailleurs commencent à se délier pour revendiquer leurs droits. Jusqu‘à une période très récente, les travailleurs du Sud, employés des compagnies pétrolières étrangères, estimaient « taboue », la création d‘un syndicat au sein de ces entreprises. Et s‘il venait l‘idée à « un salarié de ces puissantes compagnies de lancer un syndicat, il est licencié sans autre forme de procès », s‘indigne Yacine Ziad qui laisse entendre que « les dirigeants de ces sociétés s‘appuient sur la justice et les inspecteurs de travail pour se tirer à bon compte s‘il y a une plainte devant l‘inspection de travail ou une action en justice ». Il se rappelle que le problème des travailleurs licenciés abusivement par des compagnies étrangères opérant au Sud a été posé au ministre du Travail, Tayeb Louh. « Vous devez vous organiser », telle a été la réponse du premier responsable du département du Travail. Même avec une organisation forte, le problème se poserait toujours, insiste Yacine Ziad qui affirme que « le recours à la justice et les décisions qu‘elle prononce ne dérangent pas ces multinationales ». Le cas de Mehdi Meriem risque de faire école Le cas de Mme Mehdi Meriem, coordinatrice d‘administration et des opérations au niveau de British Gas à Hassi Messaoud qui a été licenciée abusivement le 08 novembre 2009 sans préavis, est révélateur des pratiques des multinationales exerçant en Algérie, particulièrement dans le Sud du pays. Son long combat pour faire valoir ses droits mérite tous les égards. Une grève de la faim qui a duré 79 jours a eu raison des atermoiements de la compagnie britannique British Gas. Ce n‘est pas faute à la dame courage qui a tenté de régler ce litige de travail en se basant sur la législation algérienne. Malgré les divers recours adressés par Mme Mehdi Meriem à la Direction générale de son ex-employeur, aucune suite ne lui a été donnée. Aussi, elle n‘a trouvé d‘autre moyen pour faire entendre sa voix que d‘entamer une grève de la faim le 10 décembre 2009. Derrière cette affaire, somme toute banale, comme il y en a tant d‘autres dans les sociétés qui emploient des salariés, les compagnies étrangères craignent, avant tout que si elles cèdent aux revendications d‘une salariée, qu‘elles n‘ouvrent la porte à une prise de conscience des Algériens employés par ces multinationales. Le précédent de Mériem Mehdi risque de faire tâche d‘huile pour peu que les salariés licenciés abusivement bénéficient d‘une couverture médiatique et de relais de soutien à l‘image de celui dont a bénéficié la dame courage. Une justice incapable d‘appliquer ses décisions Ghomri Abdelkader, ex-employé chez Algesco Hassi Messaoud n‘a pas eu cette chance. Marié, trois enfants à charge, il a été licencié après 4 années de bons et loyaux services. Il a été chassé de son emploi, gestionnaire-magasinier, sans qu‘il sache pour quel motif est tombé cette lourde sanction et sans qu‘il soit traduit devant un conseil de discipline « J‘ai bataillé dur pour obtenir de la justice ma réintégration », a-t-il dit, s‘indignant que « 5 décisions de justice prononcées par le tribunal de Hassi-Messaoud en sa faveur n‘ont pu fléchir le directeur d‘Algesco Hassi-Messaoud qui n‘a pas voulu appliquer les décisions prononcées au nom du peuple algérien ». Il se souvient que dès qu‘ils se pointe avec un huissier de justice pour mettre en œuvre ces décisions, « ils sont chassés des locaux de la direction par son premier responsable, un Algérien ». L‘ex-salarié de cette compagnie pétrolière opérant à Hassi Messaoud ne compte plus le nombre de déplacements dans cette dernière ville pour bénéficier de ce que la justice algérienne lui a accordé. Peine perdue face à l‘entêtement de la direction d‘Algesco qui semble faire peu cas du respect des décisions prononcées par une juridiction algérienne. Les frais de transport en A/R Laghouat-Hassi Messaoud ont laissé sur la paille Abdelkader Ghomri. Humilié et avec lui la justice algérienne, sans travail depuis son licenciement d‘Algesco Hassi-Messaoud, il s‘est résigné à accepter une indemnité de 200.000 DA versée par Algesco pour que, se justifie-t-il, « mes enfants ne meurent pas de faim ». Une erreur qu‘il a payée chèrement. Maintenant, il ne peut plus faire valoir son droit à la réintégration. « Le procureur de la République près du tribunal de Laghouat, auquel je me suis adressé après le refus de la compagnie Algesco d‘appliquer la décision de justice, me l‘a clairement signifié », a-t-il dit. Révolté, Abdelkader Ghomri ne baisse pas les bras. Il compte bien s‘appuyer sur le Comité national pour la défense des droits des travailleurs afin de relancer une autre bataille pour faire appliquer les décisions de justice et réintégrer son poste de travail qu‘il n‘aurait jamais quitté sans cette «hogra» dont il estime être victime. Il est bien plus révolté depuis qu‘il a su que le directeur de cette société étrangère a placé « un membre de sa famille » au poste duquel il a été viré sans ménagement. Hachachna Abdelkader, quant à lui, était employé à Petroget, une compagnie égyptienne. Il a subi le même sort que Abdelkader Ghomri. Licencié au bout de cinq mois de travail au sein de cette société, son seul tort est d‘avoir dit basta « à l‘humiliation » que subissaient les employés algériens de cette compagnie opérant dans le Sud algérien. L‘ex-salarié de Petroget en a gros sur le cœur. « Tous les droits des travailleurs algériens sont bafoués par cette entreprise égyptienne », s‘est-il indigné, assurant qu‘il a alerté l‘inspecteur du travail de Hassi Messaoud et les autorités locales sur les dépassements commis par la société. Pour autant, Hachachna Abelkader ne peut expliquer le « silence » des responsables qu‘il a interpellés sur la situation qui vivent les travailleurs algériens de cette compagnie qui s‘autorise bien des « excès » dans la relation de travail que la législation algérienne interdit. Lui aussi s‘est adressé au comité national pour la défense des droits des travailleurs pour l‘épauler dans sa lutte engagée contre la compagnie égyptienne. Autre cas, autre licenciement abusif. S. Z. était chauffeur, puis opérateur forage à Weatherford à Hassi Messaoud. Il atteste que les travailleurs algériens avaient de bons rapports avec l‘ancienne direction de la compagnie qui avait même autorisé la création d‘une cellule syndicale de la société. Il compte 8 ans de travail sans interruption au sein de Weatherford. Le climat s‘est dégradé à l‘arrivée d‘un nouveau directeur égyptien. Cet expatrié a remis en cause tous les acquis que les travailleurs algériens ont arrachés à l‘ancienne direction et à plus forte raison la création de la cellule syndicale qui n‘était pas de son goût. L‘inspection du travail de la ville qu‘ils ont interpellée ne leur a été d‘aucun secours. Bien plus, le nouveau directeur, « arrogant et sûr de lui, s‘est permis d‘élever la voix contre les salariés et ce, en présence du représentant du département de Tayeb Louh », se souvient S. Z. La grève a été l‘ultime recours pour ces travailleurs pour défendre leurs acquis. Mal leur est pris car la direction a réagi en licenciant 19 parmi eux. Un licenciement qu‘ils ont contesté auprès du tribunal de Hassi Messaoud pour réclamer leur réintégration. Tout au plus, au bout de 16 mois d‘une bataille juridique, la situation n‘a pas évolué. Pas question de réintégration et une indemnisation à la tête du client. Pour une même affaire, le verdict rendu par une même juridiction, Hassi Messaoud et par un même juge, diffère sensiblement d‘un travailleur à un autre. Le tarif varie entre 150.000 DA à 800.000 DA. « C‘est anormal », s‘indigne S. Z. qui reste sans voix face à ce verdict qui ne dérange nullement les dirigeants de cette société. « Vous ne valez pas cher », telle est la réaction du directeur de Waetherdord à l‘énoncé de cet arrêt de la justice. Une réflexion que S.Z n‘est pas près d‘oublier Ils sont plusieurs centaines de salariés algériens travailleurs dans des compagnies pétrolières étrangères opérant au Sud qui se plaignent du diktat qui leur est imposé. En l‘absence d‘un cadre organisé, ils ne croient plus en l‘UGTA qui est, selon eux, complice par son silence face aux cas flagrants de licenciements abusifs dont sont victimes ces travailleurs qui ne savent plus à qui s‘adresser pour se faire entendre. Ils ne croient plus aussi en la justice qui semble incapable de faire appliquer sur le terrain ses décisions rendues au nom du peuple algérien. Ils fondent toutefois des espoirs sur les responsables du pays pour prendre à bras- le-corps ce problème qui fait des ravages au Sud du pays. Ils espèrent que le Comité national pour la défense des droits des travailleurs saura engager des actions pour que « l‘impunité » dont jouissent ces compagnies étrangères cesse un jour. S. B.