Selon des récentes statistiques de l'ONS (2004), 95% des nouveaux contrats de travail sont des CDD (contrat à durée déterminée), y compris dans les entreprises publiques. Et sur les 9 469 946 personnes représentant la population active, seuls 2 902 365 ont un emploi permanent. On les appelle contractuels, vacataires, temporaires, intérimaires, auxiliaires ou salariés CDD (contrat de travail à durée déterminée) ; des qualificatifs synonymes de précarité et d'instabilité utilisés par les employeurs non seulement pour les travailleurs nouvellement recrutés, mais aussi pour ceux qui traînent des années entières dans les entreprises où on continue à brandir à leur égard des CDD renouvelables pour des tâches foncièrement permanentes. Récemment, des centaines de travailleurs de Sonatro de Réghaïa se sont soulevés contre la transposition de leur CDI (contrat de travail à durée indéterminée) en CDD. Cette forme de “permanisation” appliquée à grande échelle dans les années 90 continue de sévir en dépit des conséquences désastreuses qu'elle a engendrées dans le monde du travail. Le recours systématique aux CDD aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé, bien que cette pratique soit illégale aux yeux de la loi, est devenu l'unique mode de recrutement dans nos entreprises et administrations. De nombreux travailleurs qui ont formulé des demandes de prêt pour l'achat de véhicules auprès de la banque El-Baraka ou la CNEP ont vu leur dossier rejeté à cause de leur poste d'emploi non permanent. Une gifle pour ces travailleurs qui se sentent humiliés et diminués. Alors que la loi 90/11 du 21 avril 1990 limite, dans son article 12, l'établissement d'un CDD à cinq conditions seulement, à savoir lorsque il s'agit de contrats de travaux et prestations non renouvelables, à l'occasion de remplacement d'un titulaire à un poste de travail, lorsqu'il s'agit de travaux périodiques à caractère discontinu et lorsqu' il se présente un surcroît de travail ou lorsque des motifs saisonniers le justifient, de nombreuses entreprises s'obstinent à violer la loi en continuant d'établir des CDD pour des tâches à caractère permanent. Le ministère du Travail a beau rappeler au respect de la loi à travers la fameuse circulaire n°009 datée du 20/02/2000 par laquelle il invite les inspecteurs du travail à faire respecter l'article 12 de la loi 90/11, mais cette note qui a établi, par ailleurs, un constat sévère sur la précarité de l'emploi semble être perdu de vue comme l'atteste la réalité sur le terrain. Au mépris de la loi 90/11 Profitant du manque de contrôle dû essentiellement aux insuffisances d'effectif et autres moyens matériels dont souffrent les inspections du Travail, les employeurs (public et privé) continuent à inventer des types de relations de travail pour le moins complaisantes et fantaisistes. Si dans le secteur privé cette pratique est omniprésente, le secteur public n'échappe pas, lui aussi, à la règle puisque de grandes entreprises comme Sonatrach, à titre d'exemple, persistent à utiliser cette forme de contrat. Des comptables, des ingénieurs, des techniciens ou des femmes de ménage dont la tâche présente un caractère permanent ne sont pas titulaires dans leur poste bien que certains d'entre eux comptabilisent plusieurs années d'ancienneté au sein de leur entreprise. Souvent ce sont des CDD renouvelables qu'on leur impose, au nom de la mobilité et de la flexibilité du travail, alors que la loi ne souffre d'aucune ambiguïté puisqu'elle leur accorde le droit de disposer d'un CDI. “Il revient à l'inspection du Travail de relever ces infractions comme le stipule l'article 12 bis de la loi 90/11”, nous affirme M. Messaoudi, secrétaire général de l'union locale de Rouiba qui ajoute que la plupart des inspections du Travail se plaignent du manque d'effectif et de véhicules pour mener à bien cette mission. M. Messaoudi insiste également sur le rôle des sections syndicales. “Il revient à celles-ci de dénoncer les infractions constatées.” Autre argument avancé, le comportement des travailleurs qui “hésitent à saisir l'inspection du Travail de peur de subir des représailles de leurs employeurs, ce qui arrive le plus souvent”, nous explique un inspecteur du travail de Boumerdès. “En dépit du peu de moyens dont dispose l'inspection de Lakhdaria et de Boumerdès, celle-ci est arrivée, tout de même, à régulariser des centaines de travailleurs, mais ce sont les syndicats qui ont mené le combat pour préserver les travailleurs d'un éventuel affrontement avec leurs employeurs”, nous précise un membre de l'union de wilaya de Boumerdès. Les inspections du Travail désarmées Dans le secteur privé, le CDD est “un sport national”, ironise un syndicaliste de Boudouaou dont la structure syndicale qu'il préside peine à créer une section syndicale dans une grande entreprise privée qui emploie plus de 500 travailleurs. “Les travailleurs de cette boîte sont obligés d'accepter des emplois aux normes précaires, et cette précarité est souvent un obstacle à la lutte collective puisqu'ils expriment des craintes pour s'organiser et se structurer à l'UGTA”. La note envoyée début 2005 par Sidi-Saïd, par laquelle il exige de ses structures de base de “pénétrer” le secteur privé, paraît difficilement applicable en raison justement de la précarité des travailleurs. “Cette précarité qui s'apparente beaucoup plus à une forme de chômage larvée tend à se développer davantage au sein de nos entreprises et risque de créer une classe de travailleurs périphérique et surexploitée”, constate un cadre syndical de Rouiba. En effet, plusieurs travailleurs disposant de CDD et voulant créer une section syndicale se sont vu résilier leur contrat de travail. “Si c'était des CDI, l'employeur serait contraint de se plier à leurs doléances et à la loi”, précise un représentant des travailleurs de l'union locale de Boumerdès. Par ailleurs, on apprend que de nombreuses entreprises publiques et privées affichent ouvertement leur hostilité aux CDI. “Il est préférable que l'entreprise fonctionne sur le dynamisme et la mobilité pour survivre et assurer sa pérennité, dans l'intérêt de ses employés”, explique un P-DG d'une EPE de Boumerdès. “Mais la loi prévoit des mesures pour une entreprise qui aura à traverser des difficultés économiques ; le décret 94/09 du 26 mai 1994 permet en ce sens une large manœuvre à l'entreprise de réaliser cette flexibilité tant galvaudée”, rétorque un syndicaliste de Boumerdès qui affiche sa crainte quant aux rumeurs qui circulent pour consacrer cette précarité dans le prochain code du travail. “Ce sont des entreprises notamment étrangères qui insistent sur la modification des dispositions relatives au contrat de travail, alors qu'en France, la maison Peugeot vient de recruter des milliers de travailleurs en CDI (permanents)”, affirme un avocat de Boumerdès qui a eu à plaider de nombreuses affaires liées à cette situation. “Plus de 98% de travailleurs qui saisissent l'inspection du Travail pour dénoncer leur contrat de travail arrivent à gagner leur procès, car les entreprises s'occupent de tout sauf de la législation du travail”, ajoutera-t-il. Actuellement plus de 95% de nouveaux contrats sont des CDD, et rares sont les entreprises, y compris publiques, qui ont à recourir à des CDI, alors que selon les statistiques de l'ONS publiées en septembre 2004, plus de 9 469 946 employés recensés comme faisant partie de la population active, seuls 2 902 365, soit 30% seulement de salariés occupent des postes permanents. Ce chiffre explique à lui seul le degré de précarité qui ronge le monde du travail et, par ricochet, la société algérienne. Et les millions d'emplois annoncés dans le cadre du plan quinquennal 2004-2009 n'échapperont certainement pas à la règle. C'est là une facette de l'Algérie de demain. M. T.