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Mohand Issad. Avocat et président de la Commission nationale d'enquête sur les événements de Kabylie : « L'idéal serait de remonter jusqu'à celui qui a donné l'ordre de tirer »
El Watan 16 avril 2010 Y a-t-il eu des suites à votre rapport d'enquête sur les événements du printemps noir ? Le rapport que j'ai rédigé a permis aux autorités algériennes d'ouvrir des pistes pour leurs enquêtes et les suites à donner à ces affaires. Mais dans notre pays, il se trouve qu'il y a un déficit de transparence, donc je ne m'attendais pas à ce que ce travail de longue haleine ait de l'écho. Le rapport comporte deux aspects : civil – sur l'indemnisation des victimes – et pénal, qui concerne la poursuite pénale des auteurs et des commanditaires de ces crimes. A ma connaissance, les poursuites n'ont pas eu lieu, excepté dans le cas du gendarme Mestari, auteur de l'assassinat de Massinissa Guermah. Pourquoi, selon vous, n'ont-ils pas été jugés ? Il y a un problème de volonté politique. Ce qui a retenu mon attention dans l'enquête, c'est que les responsables politiques n'ont évoqué que la légitime défense, mais ils n'ont pas expliqué ce qui a provoqué ces attroupements devant les casernes. Ils n'ont retenu qu'un aspect de l'affaire, c'est-à-dire les gens qui étaient devant les casernes, et menaçaient de les envahir. Ils n'ont pas envisagé la cause : l'affaire en amont, ce qui était provoqué par les gendarmes. Pensez-vous que les auteurs de ces assassinats seront jugés un jour ? En tant que juriste, je dirai que toute infraction à la loi, toute bavure de cette nature – et ce n'est pas une bavure, c'est beaucoup plus grave que cela – doivent être sanctionnées. On ne pardonne pas le crime. Dans la législation pénale algérienne, on n'a pas encore introduit le crime de génocide, le crime contre l'humanité. Tant que ce n'est pas fait, je ne vois pas comment on pourrait rouvrir le dossier. Vous voulez dire qu'il n'y a aucun espoir de rendre justice aux victimes et à leurs familles ? L'espoir ? L'espoir de quoi ? Il ne faut pas se faire d'illusion, l'affaire est assez sensible. C'est une affaire politique. Si on gratte dans le dossier du printemps noir, on peut aller très loin. Pour cette raison, les politiques pensent qu'il serait plus sage de tourner la page comme le cas des fusillades d'Oran et de Constantine en 1986. Ce sont des dossiers douloureux dans l'histoire de la nation. Les politiques ne sont pas près de les rouvrir. Certaines victimes arrivent à identifier les gendarmes qui leur ont tiré dessus, ils peuvent quand même saisir la justice, avec des preuves tangibles… Les gendarmes ont deux arguments pour se défendre. Le premier est qu'ils ont reçu des ordres, et leur deuxième argument est la légitime défense. L'idéal serait de remonter jusqu'à celui qui a donné l'ordre de tirer ou jusqu'à ceux qui n'ont pas donné l'ordre de ne plus tirer. En tant que juriste, je souhaite que l'enquête aille jusqu'au bout et qu'au bout, on trouve la solution. Mais politiquement, la sanction n'est pas possible, car cela amènerait à se pencher à nouveau sur les événements de 1988, les tueries de 1986 et à chaque fois que la troupe fut amenée à tirer sur la foule en colère. Quel regard portez-vous sur le printemps noir neuf ans après ? C'est un remake de 1963, 1980 et 2001. Tant qu'il y aura des problèmes politiques, économiques et culturels en Kabylie, il y aura des soubresauts périodiquement, comme il y en aura ailleurs, pour d'autres raisons, à savoir le logement, le chômage, etc. En Kabylie, à tous ces paramètres s'ajoute le problème culturel. Il faut dire que si on ne règle pas le problème culturel et politique en Kabylie, il y aura toujours des événements comme le printemps noir. Le problème en Kabylie n'est pas culturel, il est beaucoup plus profond que ça. Il est important aussi de savoir que les politiques jouent avec la Kabylie, et c'est leur rôle de manipuler. C'est à la Kabylie d'éviter le jeu de la manipulation. En tant que juriste et citoyen, je ne veux pas que les actes criminels demeurent impunis, et c'est valable pour 1988, et pour tous les abus de droits. Il ne faut pas enterrer les dossiers si on veut construire un Etat de droit.