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Djamel Zenati. Ancien animateur du Mouvement culturel berbère : « Il faut réinventer le militantisme »
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 19 - 04 - 2010

Note de la Rédaction de LQA : Notre frère Djamel Zenati vient de nous adresser le texte intégral de l'interview qu'il a accordé au quotidien El Watan le 19 avril 2010. Il s'avère que des parties de son interview (en rouge ) ont été supprimées par le journal sans son accord. Nous remercions notre frère Djamel Zenati pour ces précisions et pour nous avoir adressé le texte intégral. Nous laissons le soin à nos compatriotes de juger de l'état de « liberté » d'une certaine presse dite indépendante.
EL WATAN 19 avril 2010
Qu'est-ce que le printemps berbère a apporté à la revendication amazighe et au combat démocratique ?
Le printemps berbère de 1980 est le fruit d'une accumulation de luttes menées dans des conditions extrêmement difficiles par des femmes et des hommes qui n'avaient que la force de leur conviction face à une dictature dotée de tous les moyens de terreur et de guerre idéologique. Le printemps de 1980 a eu également le mérite de rompre avec la clandestinité et le caractère épars et atomisé de la militance amazigh. Il a été une sorte de synthèse qui a ouvert des perspectives à l'ensemble de la société.
La revendication est rationnellement formulée. La question amazighe est désormais inscrite dans une problématique générale articulant histoire, identité, culture et développement. Elle est posée en terme de droit des citoyens à disposer librement de leurs ressources matérielles et immatérielles. De ce fait il a permis des convergences et des jonctions avec plusieurs segments de la société civile en gestation.
Il est clairement apparu que le combat pour la réhabilitation de tous les éléments constitutifs de l'algérianité est indissociable du combat pour la construction d'un Etat moderne et la mise en place d'un système politique démocratique. Pour tout cela le printemps berbère de 80 a été un moment historique fort.
D'ailleurs le pouvoir, en plus de la répression physique, réagira très vite sur plusieurs registres. Il organisera par exemple une saisie discrète et minutieuse de tous les livres de Mammeri, Yacine, Marx, Lénine et inondera les librairies de publications de prédicateurs et autres « douktours » intégristes.
Il apportera un soutien direct aux activistes islamistes dans les campus et cités universitaires afin de contenir le mouvement estudiantin libre. L'assassinat d'Amzal Kamel est malheureusement l'un des résultats de cette stratégie.
Quel regard peut-on porter sur le chemin parcouru 30 ans après ?
Le printemps berbère a rallumé la flamme du militantisme en veille depuis le mouvement national. Il a produit des idées et des problématiques en rupture avec les canons de l'idéologie officielle. Il a brisé le mur de la peur et du silence. Il a ébranlé la dictature et ouvert la voix de la contestation publique. Il a suscité passion et espoir.
Trois décennies après, tout s'inverse. L'espoir a laissé place au désenchantement et la passion à la lassitude. Le désengagement politique et le dessèchement intellectuel ont atteint un niveau inquiétant. L'allégeance règne en maître dans le concert des valeurs en vogue et la conviction comme un signe de crédulité.
Selon vous, à quoi est dû ce désengagement ?
Il y a d'abord cette double pression intolérable qu'exercent le pouvoir par le haut et l'islamisme par le bas. Le champ dans lequel devait se construire l'alternative politique au système en place est pris en étau par ces deux autoritarismes. Il y a ensuite l'irruption de la violence dans ses formes les plus abjectes. Nul n'ignore les effets de la violence sur les représentations sociales et les comportements.
L'insécurité et l'usure d'un côté et l'irrésistible attrait de la mangeoire de l'autre ont réussi à casser tous les ressorts de la société. L'indifférence voire la complicité de la communauté internationale et l'arrivée ou plutôt le retour de Bouteflika au pouvoir ont accentué et accéléré ce phénomène de déconstruction politique et sociale.
Il ne reste que l'émeute pour se faire entendre. Un mode d'expression que le pouvoir favorise particulièrement car relevant du registre du protopolitique. C'est-à-dire ne menaçant en rien la nature du système.
Vous parlez de déconstruction politique et sociale, comment est-ce que le système Bouteflika a réussi en une dizaine d'années cette déconstruction ?
Bouteflika est revenu au pouvoir dans des conditions particulières qu'il est inutile de rappeler. Son caractère de renard et sa démarche versatile ont crée une confusion indescriptible et trompé presque tout le monde.
Par ailleurs, le début de son règne a coïncidé avec une stabilisation du prix du baril de pétrole à un niveau élevé, le retour d'une forte pluviométrie et les attentats qui ont ciblés les USA en septembre 2001. La simultanéité de ces trois facteurs exogènes a constitué pour lui l'occasion inespérée de s'émanciper vis-à-vis des éternels « faiseurs de rois » et de procéder à un remodelage du système à sa convenance. D'un mode centralisé sous la forme de cercles concentriques avec l'institution militaire comme noyau on est passé à une configuration éclatée en plusieurs sphères de pouvoir dont l'institution présidentielle représente le centre de gravité. On est vite tenté de voir là un passage de relais forcé ou négocié des militaires aux civils. Il n'en est rien. En fait, c'est juste un partage des territoires.
Cette configuration éclatée, innervée par les cercles occultes et les réseaux maffieux, ne peut être viable et fonctionnelle que si elle est sous-tendue et légitimée par les structures traditionnelles à solidarité primordiale. Ce qui explique, en partie, l'irruption des tribus à l'est, des zaouïas à l'ouest et des arouchs en Kabylie Jamais les conflits communautaires n'ont été aussi nombreux ni aussi exacerbés. L'exemple du Mzab est à cet égard caractéristique.
L'essentiel de la vie institutionnelle et politique se fait dans l'ombre. Le jour doit tout à la nuit. L'argent et la quête de la matière sont devenus les seuls moteurs qui font bouger les choses.
Vous faites référence au phénomène de la corruption dont on connaît aujourd'hui l'ampleur ?
Oui et les dignitaires du régime eux-mêmes reconnaissent que la corruption a atteint des seuils intolérables et qu'il est temps d'y mettre un terme. Il parait que le président a instruit dans le sens d'une lutte implacable et sans merci contre ce fléau. Je voudrai faire deux remarques à ce propos.
La première concerne cet intérêt subit pour la lutte contre la corruption. Qui peut croire une seule seconde à la sincérité d'une telle posture quand on sait que la presse indépendante est sous haute surveillance, la justice aux ordres et l'opposition réduite au silence. On ne peut rien faire en l'absence de contre-pouvoirs reconnus, forts et respectés. Les récents scandales étalés sur la place publique ne sont en fait que l'expression d'une guerre des clans par déballages interposés. Ou tout au moins une brouille entre amis.
La seconde remarque a trait au phénomène lui-même. Il est inapproprié de parler de corruption car nous ne sommes pas face à une pratique marginale et occasionnelle en écart avec la règle légale. Nous sommes plutôt en présence d'un véritable mode d'accès à la rentre en harmonie parfaite avec la nature du système surtout tel que configuré actuellement.
Le nouveau code des valeurs qu'on tente d'imposer dans l'imaginaire social repose sur un double postulat : la combine comme voie par excellence de l'enrichissement et la proximité avec le pouvoir comme unique garantie d'ascension sociale.
L'Algérie est-elle donc condamnée éternellement à reporter sa transition démocratique ?
Il s'agit là d'une grande question qui nécessite une approche pluridisciplinaire si on veut l'appréhender de manière correcte et efficace. Mais rien ne nous empêche d'émettre quelques questionnements pour situer le débat et proposer des pistes de réflexion.
Tous les pays d'Amérique Latine et de l'Europe centrale ont réussi leur transition démocratique. Pourquoi n'en est-il pas de même pour le continent africain si l'on excepte l'Afrique du sud.
Il serait intéressant de s'interroger sur la nature exacte des obstacles à la transition démocratique dans notre pays. S'agit-il d'une spécificité liée à notre histoire ou de quelque pesanteur inhérente à notre culture ou à nos structures sociales ? Quel est le poids du système politique actuel dans cette résistance au changement ? L'état de sous-développement de notre économie ou encore l'islam sont-ils des forces d'inertie ? Pourquoi la communauté internationale pratique-t-elle le régime de deux poids deux mesures en imposant le respect des droits de l'homme aux uns et en accordant des dérogations aux autres ?
Une autre question paraît tout aussi fondamentale : comment poser la problématique démocratique en Algérie ?
D'où vient cette perception de la démocratie comme système importé de l'occident et donc contraire à notre univers culturel et religieux. Dire que c'est le fait exclusif des islamistes est faux. L'abandon du terrain religieux aux islamistes avec leurs interprétations étroites et sélectives et l'opposition entretenue entre islam et démocratie par certains prétendus libéraux ont été très dommageables à la cause démocratique.
Faut-il rappeler que la philosophie libérale, fondement de la démocratie occidentale, tire ses racines du christianisme. Pourquoi l'islam serait-il alors un obstacle à la démocratie ? Pourquoi ce qui est admis pour le christianisme ne le serait-il pas pour l'islam ?
Je reste convaincu que l'islam, tant dans son corpus que dans son histoire, recèle énormément d'idées et de faits à même de contribuer à fonder ce que l'on pourrait appeler la voie algérienne de transition démocratique. Sur diverses questions l'islam est en avance sur beaucoup de philosophies se réclamant de la libération de l'homme.
Il n y a pas de voie royale pour la transition démocratique. Chaque peuple puise dans ses ressources historiques, philosophiques, culturelles, religieuses, sociologiques et autres les constituants et matériaux nécessaires à la réalisation d'un destin collectif. Il n y a pas de théorie générale en la matière. Ce qui est universel c'est l'aspiration de l'homme à la liberté et au bien être. Et il s'y emploie à les atteindre par des chemins toujours plus singuliers les uns que les autres et c'est ça qui est passionnant dans l'Histoire.
Une chose est cependant certaine, l'Algérie est condamnée à faire sa transition démocratique. Regardez le monde. Des grands ensembles se créent, des alliances se nouent, des stratégies s'ébauchent et des dynamiques se développent. Doit-on et peut-on rester en marge de cette effervescence planétaire et se complaire dans cette hallucination collective ?
Si la responsabilité incombe au pouvoir elle est aussi celle de la société.
Il y un grand effort à faire sur soi si on veut prétendre à un lendemain meilleur. Il faut réinventer le militantisme par une reprise des luttes quotidiennes autour de questions concrètes. Il faut réhabiliter les idées et la production du sens. Comme il est tout aussi impératif de repenser de façon sérieuse le rapport entre les principes et les contraintes pour ne sombrer ni dans un idéalisme stérile ni dans un compromis diluant. Pour terminer, je voudrais saisir l'occasion qui m'est offerte, en cette journée du 20 avril, pour rendre un hommage particulier à des militants qui nous ont quittés. Je demanderai à tous d'avoir une pensée pour Matoub Lounes, Berdous Maamar, Rachedi Mhamed, Bacha Mustapha, Boukrif Salah , Zadi Farid, Nait Haddad Md Ourabah et Belache Elhacène.
Entretien réalisé par Djamel Alilat
Note de Djamel ZENATI : en rouge les passages supprimés par la rédaction d'El Watan


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