L'histoire, ancienne et contemporaine, de l'Algérie est cet immense espace identitaire qui attend d'être rétabli. Tout a été fait, lors des dernières décennies, comme si l'Algérie sortait du néant, son histoire ne recevant, éclairage et lumière, qu' à «l'occasion» de la célébration de tel ou tel événement. A l'instar du 8 Mai 1945, dont nous célébrons aujourd'hui le 61e anniversaire, lequel ne revient au-devant de l'actualité que de façon ponctuelle, alors même qu'il devait faire l'objet de davantage de sollicitude de la part tant du pouvoir que des chercheurs et historiens algériens. Mais il n'y a pas, malheureusement, que le 8 Mai 1945 qui a souffert du silence et a été l'objet de la désinvolture des gouvernants, mais des pans entiers de notre Historicité sur lesquels est jeté le voile de l'oubli. Combien de livres ont été écrits tant sur le mouvement national, donc sur l'histoire de l'Algérie contemporaine, que sur ces mémoires de l'Algérie ancienne marquées par les passages, plus ou moins longs des Français, -avec toutes les exactions commises contre notre peuple que l'on sait- des Turcs, des Vandales, des Romains, des Puniques... C'est tout cela la Mémoire de l'Algérie multiple jamais prise en compte par la pensée unique qui, au contraire, a posé une chape de plomb sur la mémoire collective des Algériens. Or, l'histoire enseigne qu'elle n'est jamais l'émanation de nos sentiments mais qu'elle essaime sur son chemin aussi bien la lumière qui éclaire les peuples, que la négation qui les renvoie dans l'ombre. Or, l'Histoire officielle a créé une Algérie lisse, mirifique, sans sentiments, autrement dit inhumaine, alors que l'histoire ce sont les faits au jour le jour, ceux des hommes les plus représentatifs du peuple, qui ont su impulser les choses jusqu'à déplacer des montagnes. Qui aurait dit, ou cru, que six hommes -Krim Belkacem, Didouche Mourad, Rabah Bitat, Mustapha Ben Boulaïd, Mohamed Boudiaf, Mohamed Larbi Ben M'hidi- par leur volonté, leur croyance dans la destinée de ce pays ont réussi à soulever la montagne qu'était le colonialisme en déclenchant la Révolution contre la France, alors troisième puissance mondiale? Sans en dire plus, quel sort leur a réservé l'Histoire de l'Algérie, qui les a passés par pertes et profits lorsqu'un géant de la stature de Mohamed Boudiaf n'a été découvert, par la génération des années 1990, que par le fait d'un douloureux concours de circonstances qui l'a remis au faîte de l'actualité nationale. Tout comme Rabah Bitat, dernier rescapé des Six, quand il fallut sa mort un jour de 1999, pour que la jeunesse algérienne découvre ébahie que cet homme modeste et quelque peu effacé a été l'un des fondateurs du FLN et l'un de ceux qui avaient foi en l'Algérie indépendante. Comme on le constate, la mémoire algérienne est amputée de ses pages les plus significatives, celles qui ont forgé au long des siècles l'esprit d'abnégation et, partant, le socle unitaire qu'était l'identité nationale. Le 8 Mai 1945, car historiquement le plus proche de nous, n'est pas sorti du néant et fait suite à une cohorte de révoltes en étant, en fait, l'ultime défi lancé par les Algériens au colonialisme français avant la Révolution du 1er Novembre 1954. Le 8 Mai fait ainsi suite aux insurrections, avortées, de 1912 dans les Aurès, celles de 1871 des cheikhs El Haddad et El Mokrani, et presque à la même période, à l'ouest du pays, la révolte des Ouled Sidi Cheikh et celle de Bouamama. Chacune de ces révoltes et insurrections ont induit des représailles sanglantes de la part des colons et de l'armée d'occupation française. Cette même armée qui fit de 1836 à 1837 le siège de Constantine, où la population conduite par Ahmed Bey et le général Benaïssa, a résisté durant plusieurs mois en protégeant la ville du Rocher, obligeant les soldats français à une bataille au corps à corps dans les rues et maisons de la ville avant que celle-ci finisse par tomber. Qui, aujourd'hui connaît les tenants de la ‘'Bataille de Constantine'', combien de livres, si l'on excepte l'opuscule en arabe de Abdelkrim Badjadja -ancien conservateur aux Archives de la wilaya de Constantine- ont fait connaître ces pages glorieuses de la résistance algérienne à l'occupation étrangère? Combien savent qu'Ahmed Bey, qui a pris la tête de la résistance dans l'Est algérien, ne s'est jamais avoué vaincu et ne fut arrêté en 1854 qu'à la suite de la trahison de gens chez qui il s'était réfugié dans la région des Zibans, où eurent lieu, par ailleurs, les plus mémorables des batailles contre l'armée française? Lorsque l'on parle de devoir de mémoire, l'on se demande aussi, combien d'hommes d'hier et d'aujourd'hui ont encore à être réhabilités par l'Histoire et uniquement par l'Histoire. Aux côtés de Messali Hadj, réhabilité par le président Bouteflika en 1999, combien d'hommes qui ont été derrière la création de l'Etoile nord-africaine -à l'instar de Hadj Abdelkader, Mohamed Redjef, parmi les initiateurs du mouvement national-, attendent d'être réhabilités et reconnus par l'Histoire nationale? Pour ce qui est de l'Histoire contemporaine de l'Algérie. Que dire alors de l'Histoire ancienne du pays longtemps, outre méconnue, ignorée, donnant quelque part crédit aux assertions de la France comme quoi l'Algérie c'est un peu elle qui l'a créée, faisant ainsi, table rase des périodes des Almohades (Mouwahidoune) et des Almoravides (Mourabitoune), période, curieusement, attribuée à la seule Histoire du royaume chérifien par les dictionnaires français, alors que l'Algérie est autant partie prenante dans le parcours des ces dynasties qui gouvernèrent le Maghreb central (désignation arabe de l'Algérie) comme il y eut les royaumes Hammadites, Zianides et Mezghena, notamment. Ce sont ces pans de l'Algérie musulmane qui restent aussi à prendre en charge par la mémoire nationale. Sur un autre plan si Massinissa est formellement réhabilité par l'Histoire, ce n'est pas notamment le cas pour Jugurtha, Micipsa, Adherbal, Hiampsal, Syphax et tous les aguelids qui gouvernèrent la Numidie (nom antique de l'Algérie) à l'ère des royaumes romain et carthaginois. Si l'on connaît tout sur Rome et Carthage, tout en revanche reste à connaître sur la Numidie politique, intellectuelle et culturelle. Les hommes de religion et penseurs tels que Saint Augustin, Saint Donat, des écrivains tels Apulé de Madaure (M'daourouch) Fromentin de Cirta, sont encore à découvrir et à la mémoire collective et à l'Histoire de les réhabiliter en tant que partie intégrante de l'historicité de ce pays que d'aucuns avaient estimé qu'il n'avait pas de passé à même d'être mis en exergue. L'Histoire est un tout et elle a horreur des compartimentations, aussi, si l'on veut aujourd'hui en Algérie faire notre devoir de mémoire, ce sont ces parties de notre Histoire qu'il faut réhabiliter, ramener au jour et pas seulement les évoquer à l'occasion ponctuelle d'une commémoration comme celle du 8 Mai 1945 que nous célébrons aujourd'hui.