La presse algérienne pluraliste a vingt ans d'existence. Deux décennies de ténacité, de sacrifices, mais aussi de désillusions qui méritent un temps d'arrêt pour mieux appréhender l'avenir. Un bilan critique soigneusement préparé s'impose. Ces vingt années ne sont pas faites que de victoires et de réussites. Elles sont aussi marquées de pleurs, de peurs et de sang. La presse privée a, pour ainsi dire, connu tout au long de son modeste parcours des hauts et des bas. Si elle avait atteint durant les années de braise son summum de liberté de ton — au point d'être considérée comme la plus libre du monde —, elle connaît aujourd'hui une régression, à tout point de vue. Si le paysage médiatique a changé avec le temps, son évolution n'a pas été au même rythme que les changements de la société, de l'environnement et du contexte politique, aussi bien au plan national qu'international. Il est utile de s'arrêter sur ses exploits, mais surtout de s'attarder sur ses revers, ses imperfections, ses insuffisances, ses faiblesses... « L'expérience, c'est le nom que donne chacun à ses erreurs », disait Oscar Wilde, auteur britannique. La courte expérience de notre jeune presse pluraliste est ainsi loin d'être exempte d'erreurs. Faire le point sur l'état de la presse nécessite un rappel du douloureux contexte dans lequel les journaux privés sont nés. Un contexte marqué essentiellement par la violence terroriste qui a entraîné la mort d'une centaine de journalistes, le harcèlement politico-judiciaire, la rétention de l'information et le monopole exercé sur la publicité. Sur le plan sécuritaire, personne ne peut le nier, les choses vont beaucoup mieux. C'est tout le contraire pour la liberté de ton sur laquelle les dirigeants du pays — en place depuis la fin des années 1990 — ont fait marche arrière en pénalisant le délit de presse et ce, depuis 2001. Cette pénalisation, que la corporation des journalistes ne cesse de dénoncer, a nettement fait reculer la liberté d'expression dans notre pays. Une liberté que certains titres privés essaient de conserver en continuant, contre vents et marées, de jouer le rôle de contre-pouvoir dans un pays où les espaces publics se rétrécissent comme une peau de chagrin. Le code pénal n'est pas le seul menaçant la liberté de la presse. Le pouvoir de l'argent est fortement présent dans le milieu médiatique et a son influence sur les titres. Pour couvrir leurs dépenses, les journaux dépendent fortement de la publicité devenue de plus en plus difficile à obtenir, avec la rude concurrence que se livrent les différents titres privés. Il y a aussi le monopole qu'exerce toujours l'agence étatique ANEP sur la publicité des institutions publiques. Sur le plan quantitatif, le paysage médiatique a nettement évolué. Beaucoup de titres, nés dans le sillage de la promulgation de la loi 90-07 du 03 avril 1990 consacrant le pluralisme médiatique, ont disparu. D'autres sont nés. Le paysage médiatique, qui ne comptait avant 1990 que six titres de quotidiens publics, est, aujourd'hui, enrichi de plus de 70 quotidiens, 60 hebdomadaires, 17 mensuels et 6 bimensuels, selon les dernières statistiques du ministère de la Communication rendues publiques en 2006. Le tirage journalier de toute la presse nationale (quelle que soit la périodicité) s'élève à 1 712 497 exemplaires/jour. Cela englobe les 130 publications qui sont dans les kiosques. La presse quotidienne tire 1 376 950 exemplaires par jour, mais il reste que le tirage de la presse hebdomadaire est plus fort. Les 60 titres hebdomadaires mettent sur les étals plus de 1,8 million d'exemplaires par semaine contre seulement 433 000 exemplaires avant l'ouverture du secteur au privé. Ce constat évolutif est aussi valable pour la presse quotidienne qui a gagné beaucoup en termes de tirage, si on la compare à l'époque du parti unique où l'ensemble du tirage des titres quotidiens ne dépassait pas les 700 000 exemplaires. Cela signifie, quelque part aussi, l'augmentation du nombre de lecteurs qui sont attirés par la diversité des titres et des tendances politiques induites par la libération du secteur. Aussi, le nombre de journalistes et assimilés a doublé de 1990 à nos jours, il était de 1500 ; il est, d'après certaines estimations, de 3000 en 2006, sans compter les collaborateurs et les pigistes. Mais peut-on parler aujourd'hui d'entreprises de presse proprement dites ? Hormis quelques titres, inutiles de les citer, le secteur de la presse n'arrive toujours pas à trouver ses marques sur le plan économique. Bien que ces entreprises soient des sources de grands profits, la plupart des journaux privés ne disposent pas de leurs propres sièges. Ils demeurent toujours « parqués » dans les deux maisons de la presse (Tahar Djaout et Kouba) dans des locaux exigus ne répondant à aucune norme en la matière. Sur le plan qualitatif, beaucoup reste à faire. A l'ère de l'internet et de la numérisation, l'aspect esthétique (maquette, habillage, photos) devient important dans un journal. Car, il faut le dire, le fonctionnement des rédactions reste artisanal. Avec un personnel jeune et dynamique, l'encadrement rédactionnel demeure chétif, insuffisant et manque parfois de formation et d'expérience pour répondre efficacement aux exigences d'un lectorat de plus en plus évasif et insaisissable. Les journalistes, eux aussi, exercent dans un environnement difficile, avec un statut précaire et des moyens dérisoires.