El Watan 03 juin 2010 Trente ans après le printemps berbère, et neuf ans après les événements dramatiques du Printemps noir, les signaux d'alerte se multiplient en Kabylie. Les repères politiques se brouillent devant l'irrépressible avancée des appareils gouvernementaux, mettant parfois sur la défensive les partis d'opposition. Les opérateurs économiques perdent confiance, pris en tenailles entre l'insécurité qui les vise prioritairement et une bureaucratie qui redouble de férocité. Certains faits d'actualité montrent que la région est réduite à un étrange surplace depuis de nombreuses années. L'horloge politique semble bloquée. La semaine dernière, une marche des délégués des archs, réclamant la « mise en œuvre de la plate-forme d'El Kseur », une revendication vieille de neuf ans, a été réprimée par les services de sécurité dans un climat de tension rappelant les longs mois d'émeutes de 2001. Au même moment, les élus locaux du RCD tenaient un rassemblement devant le siège de la wilaya pour dénoncer le « sectarisme politique qui frappe la subvention du PNUD destinée à la Kabylie ». La subvention onusienne, d'un montant d'un million de dollars, affectée au secteur de l'environnement, attend depuis des mois d'être avalisée par l'administration centrale. La radicalisation du discours du RCD, à travers ses structures locales qui pointent un « antikabylisme primitif », à propos du blocage du programme du PNUD par le gouvernement algérien, montre l'ampleur de la rupture avec les autorités centrales. Le bouleversement des rapports politiques est de taille. En 1999, le RCD comptait deux ministres au sein du gouvernement, deux années après des élections législatives qui constituent sans doute les seules joutes électorales qui se soient déroulées dans un climat politique proche des normes démocratiques. Tous les espoirs étaient permis, s'agissant de la consolidation des efforts de développement dans un cadre harmonieux, en ayant une certaine emprise sur les centres de décision. Aujourd'hui, se retrouvant dans une opposition radicale, le parti de Saïd Sadi, après toutes les sorties médiatiques et les actions de ses élus sur le terrain, n'arrive toujours pas à sortir de leur mutisme les autorités gouvernementales au sujet d'une subvention anodine pour le secteur de l'environnement. Dans ce bras de fer qui tient en haleine l'opinion locale, le FFS observe un silence absolu. Le parti d'Aït Ahmed n'arrive pas à surmonter une crise « organique », qui s'est illustrée notamment par le retentissant échec aux élections locales de novembre 2007. Le délitement politique, qui a gagné la région, favorise l'installation au grand jour des partis liés au pouvoir. La démission récente des élus du RCD à l'APC de Tizi Ouzou a eu surtout pour effet de rappeler à l'opinion publique que la commune du chef-lieu de wilaya est gérée par le FLN. L'ex-parti unique est revenu à l'Assemblée populaire communale à l'issue du scrutin de 2007, dans une ville qui a été le point de départ des événements du printemps berbère, lorsque les bases du parti-Etat avaient été ébranlées pour la première fois depuis l'indépendance. La déstructuration de la scène politique s'est aggravée à l'élection présidentielle de l'année dernière, lorsque un tiers de l'électorat local s'était rendu aux urnes, contre l'appel au boycott lancé par toutes les organisations de l'opposition. Le débat politique avait été remplacé par une formidable machine électorale basée sur l'argent. Au plan sécuritaire, la situation est encore plus alarmante. Quinze années après avoir vaincu le terrorisme grâce à la résistance citoyenne, lorsque les villages s'étaient organisés contre les hordes islamistes, la Kabylie se retrouve aujourd'hui désignée en tant que « quartier général de l'ex- GSPC ». Les bombes continuent d'exploser dans les champs, à proximité des villages, et les entrepreneurs vivent sous la menace quotidienne des enlèvements. Des ingrédients suffisants pour faire barrage durablement à tout essor économique et à un retour à une vie politique apaisée.