Le Soir d'Algérie 03 juillet 2010 Vendredi 2 juillet, cimetière El-Alia, il est 8h30. Des agents d'entretien nettoient les lieux, et les organisateurs, après avoir installé une sono, font les derniers essais en diffusant l'hymne national, avant le coup d'envoi de la cérémonie de recueillement sur la tombe du martyr Mohamed Boudiaf, assassiné il y a maintenant 18 ans. Mehdi Mehenni – Alger (Le Soir) – Il est 9h30, soit une demi-heure avant le début officiel de la cérémonie. Kamel Bentoumi, l'un des sympathisants, et des tout premiers à avoir répondu à l'appel de Mohamed Boudiaf pour rejoindre les rangs du Rassemblement patriotique national (RPN), arrive et installe sur un banc public un portrait du défunt, sur lequel on peut lire : «Plus patriotique que ça… !» Les premiers arrivés, des curieux ainsi que de simples visiteurs venus se recueillir sur la tombe d'un proche, commencent à se regrouper autour de la sépulture de Boudiaf, exposant, à leur tour, des tableaux. L'un d'eux est venu offrir au martyr Boudiaf ce qu'il appelle la «Rose du 5 juillet», la «Rose de l'indépendance et de la jeunesse». «Je viens avec cette rose exprimer une prose en l'honneur de ton sacrifice pour la juste cause. Sois sûr que ton appel trouvera écho auprès de la jeunesse, qui œuvre et ose pour faire de notre Algérie une rose. Repose en paix, repose en paix !», peut-on lire sur ce tableau qui, apparemment, a suscité la curiosité des gens qui, de plus en plus nombreux, s'approchent de son auteur pour lui poser des questions. Mais sous l'effet d'une profonde mélancolie, de sa bouche ne sortira qu'une seule phrase. Les larmes aux yeux, il répète : «Il leur a tendu la main, on lui a donné la mort… Qui a raison ? Qui a tort ?» Il est maintenant 10 heures passées. Une centaine de personnes, entre anciens moudjahidine tels Omar Boudaoud et Ali Haroun, personnalités politiques comme l'ex-Premier ministre Reda Malek et des sympathisants de la figure emblématique qu'était Mohamed Boudiaf, attendent l'ouverture du portail du Carré des martyrs pour se recueillir sur sa tombe. Du côté des officiels et des hommes politiques actuels, personne n'est là. Idem pour la presse officielle, en l'occurrence l'ENTV et la Radio nationale. Quant à la famille du défunt seul son fils aîné, Nacer Boudiaf, est présent. L'épouse du défunt, sa fille et ses autres fils s'étaient recueillis sur sa tombe le 29 juin, à savoir le jour de l'anniversaire de son décès (29 juin 1992). Selon certains proches de la famille Boudiaf, l'épouse du défunt a voulu respecter la date de sa mort, car opposée à cette initiative du 2 juillet. Quelques minutes plus tard, la grande porte s'ouvre et la foule se précipite pour occuper les devants de la scène. Un ancien moudjahid prend brièvement la parole pour demander que l'on diffuse l'hymne national. Sous un soleil de plomb, faisant face à la tombe du géant Boudiaf et sous les chants des oiseaux l'air de «Kassaman», les regards se croisent, donnant l'impression que l'assistance est quelque peu mal à l'aise. Certains ne peuvent rester une minute en place, se retournant sans cesse, comme si quelque chose les tourmentait. Deux personnes âgées qui ont observé la scène, et ne pouvant attendre la fin de l'hymne national pour échanger leurs pensées, se sont essayées à des commentaires. Et l'une d'elles de lancer : «Tu vois, même quand on est innocent, on ne peut s'empêcher de se sentir coupable et mal à l'aise devant Boudiaf même enterré, et bien que 18 ans se soient déjà écoulés !» Juste après la fin de l'hymne national, un autre ancien moudjahid a pris la parole, glorifiant le défunt, mais sans remuer le couteau dans la plaie : «Il nous a quittés trop tôt, beaucoup de gens ne savent pas grand-chose de lui.» La foule s'est retirée discrètement, sans trop s'attarder. Seul le fils du défunt est resté encore un moment pour recevoir les vœux de quelques proches de la famille. Sollicité, Nacer Boudiaf dira : «Je suis vraiment dépité de voir chaque année ma famille se recueillir seule sur la tombe de mon père, comme s'il s'agissait d'une quelconque personne. Comment voulez-vous que le peuple algérien respecte la mémoire de nos martyrs si les officiels se comportent ainsi face à une figure emblématique de l'histoire contemporaine de l'Algérie ?»