Affaire de l'assassinat de Ali Tounsi : La version des faits selon Oultache El Watan 05 juillet 2010 Salima Tlemçani En effet, en cette journée du 25 février, tous les cadres centraux de la Sûreté nationale étaient conviés à une réunion, y compris Oultache. Mais ce dernier voulait avant tout retarder l'examen du bilan des activités qu'il dirige parce qu'il n'avait pas achevé son rapport final. A sa demande pressante, Ali Tounsi le reçoit avant les autres, qui attendaient dans la salle de réunion au fond du couloir qui la sépare du bureau du DGSN. « L'accueil par ce dernier était très froid. Oultache entame la discussion en demandant le report de la réunion bilan afin de permettre à ses éléments de terminer leur travail. Tounsi lui a sèchement répondu : ''C'est aujourd'hui que les comptes doivent être rendus''… ». Les échanges de propos entre eux deviennent un peu durs. L'objet tourne autour des marchés de la télésurveillance et des télécommunications. M. Tounsi compare l'avancée en la matière enregistrée par la gendarmerie et le retard accumulé par la Sûreté nationale, puis il s'emporte contre Oultache. « Tu n'as rien fait. Ton service est resté à la traîne, tu m'as mené en bateau et tu t'es arrangé pour donner tous les marchés à l'armée. Vous êtes tous des traîtres », lui lance-t-il. Le ton monte. Oultache vocifère : « C'est toi le traître et fils de harki. » Le défunt prend brusquement un coupe-papier, se lève de sa chaise et se dirige vers Oultache. Celui-ci lui le met en garde : « Attention ! je suis armé, ne t'approche pas de moi. » Tounsi continue d'avancer vers lui d'un ton menaçant. Oultache dégaine son arme, un Smith & Wesson, et tire une balle en l'air pour stopper le défunt, en vain. Il vise une seconde fois, puis une troisième fois son flanc droit. Mais c'était peine perdue. Tounsi est toujours debout, tenant le coupe-papier dans la main droite et cherchant à atteindre Oultache. Il a fallu une quatrième balle pour que le défunt s'affaisse par terre, à plat ventre. Réalisant son geste, Oultache s'assied sur le fauteuil et retourne son pistolet contre lui. La balle ne sort pas. Il tente de la débloquer et n'y arrive pas. Il se lève, fait quelques mètres en direction d'un meuble de télévision. Il lui donne des coups à l'aide du chien sur lequel repose le percuteur de son arme. Les balles restantes sont impossibles à extraire. Il sort du bureau pour aller droit vers celui du secrétaire particulier du défunt. Il lui dit que le DGSN réclame le chef de sûreté de wilaya d'Alger, le directeur de l'administration générale (DAG) et le directeur des moyens techniques (DMT). « En fait, en réalisant la gravité de son acte, Oultache s'est dit qu'il fallait en finir parce que l'un de ses trois cadres allait l'achever. » Quand les trois arrivent au bureau du DGSN, Oultache assène un coup de crosse sur la tempe du chef de sûreté de wilaya, avant qu'il ne prenne la fuite avec les deux autres. Le secrétaire particulier arrive, puis repart en criant dans le couloir : « Il l'a tué, il l'a tué. » Oultache sort du bureau, son arme dans la main. A voix haute, il insulte tout le monde. La salle de réunion se vide. C'est la panique générale. Plus personne ne reste dans le couloir ou la salle de réunion. Soudain, quelqu'un surgit de nulle part et lui tire une balle au niveau de l'abdomen, puis une autre au rein. Oultache revient sur ses pas en direction du bureau du DGSN, et le tireur lui loge une troisième balle dans la jambe, puis une quatrième dans l'autre jambe. Malgré ses blessures, il arrive à rentrer dans le bureau. L'arme toujours en main, il s'affaisse sur un fauteuil face à la porte d'entrée, qu'il a pris le soin de refermer. Il perd beaucoup de sang. Les gémissements du défunt résonnent dans son oreille. Quelques minutes plus tard, le bureau est investi sans aucune difficulté par des hommes en bleu. C'est là qu'il entend une voix rauque lancer d'un ton coléreux cette phrase très lourde : « Achevez-les tous les deux. » Tout s'embrouille dans la tête d'Oultache avant qu'il ne sombre dans un coma profond. A son réveil au service réanimation de l'hôpital de Bab El Oued, il se rend compte que sa vie n'est pas encore loin du danger, d'autant que ceux qui enquêtent sur l'affaire sont des policiers de la Brigade de recherche et d'investigation (BRI). Il a très peur de répondre aux questions jugées très pernicieuses des officiers. Ils veulent savoir ce qu'il a retenu des derniers moments qui ont précédé son coma. Il décide de faire semblant d'avoir tout oublié. Il déclare avoir tiré deux balles, et puis rien. Il ne cesse de parler de trou noir qui a effacé toute trace de cette matinée. Une technique qui lui permet d'avoir la vie sauve jusqu'à ce qu'il soit guéri, d'autant que ce sont les mêmes agents de la BRI qui assurent sa garde à l'hôpital. La vérité de Oultache contre celle de la BRI Dès les premiers instants qui ont suivi l'assassinat de Ali Tounsi, les violations de la procédure judiciaire ne se comptent plus. La vérité de Oultache s'est trouvée durement confrontée à celle de la police judiciaire et du juge d'instruction. Alors que les corps du défunt et de Chouaib Oultache se vidaient de leur sang, en cette fin de matinée du 25 février 2010, aucun des nombreux cadres qui ont investi les lieux n'a pensé à faire appel au médecin de la Sûreté nationale, disponible à ce moment-là, pour prodiguer les premiers soins. Cela s'appelle, rappellent les avocats de Oultache, « non-assistance à personnes en danger ». Pour eux, « le présumé auteur est le coupable idéal auquel on veut confectionner un costume à sa taille en voulant faire admettre une thèse loin de refléter la vérité… ». Pour expliquer leurs accusations, ils commencent par énumérer les plus importantes violations qui ont entaché l'enquête dès les premières heures qui ont suivi l'assassinat, jusqu'à la reconstitution des faits, il y a quelques jours. Selon eux, déjà dès le début, la scène de crime a connu une grande anarchie. Toutes les règles de la procédure pénale sont violées sans état d'âme ni conscience par la plus haute hiérarchie de la police qui était présente sur les lieux et qui connaissait l'importance des détails d'une scène de crime. Le code de procédure pénale est très clair sur ce point et les nombreux officiers présents sur les lieux savent qu'une scène de crime doit obligatoirement être limitée et protégée. Ce qui n'a pas été le cas. Une « anarchie terrible » a marqué le déroulement de l'enquête de la police judiciaire. Les avocats de Oultache révèlent que « les indices comme les balles et les douilles ont été emportés sans qu'ils être mis sous scellés ou du moins sous le contrôle du procureur, qui était durant dix jours inscrit sur la liste des abonnés absents. Le code de procédure pénale fait obligation de mettre les preuves et les indices retrouvés sur le lieu du crime sous scellés, qui ne peuvent être ouverts qu'en présence de l'inculpé et de ses conseils. Malheureusement cette procédure a été délibérément violée ». Le bureau du DGSN a été « manifestement » laissé ouvert du 25 février jusqu'au 28 du même mois, date à laquelle un procès-verbal établi par la BRI précise que les éléments de cette brigade se sont déplacés en compagnie du procureur de la République pour mettre les scellés sur le coffre-fort du bureau du DGSN ainsi qu'aux portes et fenêtres. « Du 25 au 28 février, personne n'a contrôlé ce que les policiers ont pu faire sur la scène de crime », déclarent les avocats. Le jour de l'assassinat, le corps du défunt a été« manipulé, déplacé et retourné » dans le bureau « sans la présence » du médecin légiste, qui est seul habilité à faire le constat de décès sur place. « Nous avons une copie d'un constat de décès comportant un cachet laissant supposer qu'il a été signé par les médecins légistes ayant procédé à l'autopsie, alors que le rapport de ces derniers précise que le corps leur a été transféré de la morgue de l'hôpital Mustapha à la salle d'autopsie de la même structure. Pourquoi n'avoir pas fait appel aux médecins légistes de l'hôpital Maillot de Bab El Oued qui étaient à quelques minutes seulement de la DGSN ? Le médecin légiste aurait dû constater les détails du crime, tels que les vêtements que portait le défunt, la position de son corps avant son déplacement. Le médecin légiste se devait de veiller à la levée du corps. Pourquoi d'un côté le médecin dit qu'il a fait le constat de décès dans le bureau du défunt et d'un autre il écrit qu'il a reçu le corps de la morgue ? Une contradiction flagrante et une violation des règles de procédure. Dans leur rapport, ils écrivent qu'ils ont eux-mêmes effectué les opérations de radiographie sur la victime, or sur les clichés, il y a la griffe de l'hôpital Les Glycines de la Sûreté nationale ». Dans ce dossier, le juge a été durant dix jours totalement effacé de la procédure. Les éléments de la BRI se sont chargés de l'enquête d'une manière unilatérale, alors que c'est au procureur de prendre les premières dispositions nécessaires et de désigner les personnes chargées d'élaborer les actes préliminaires de l'enquête. Il aurait dû, par esprit de neutralité, confier l'enquête à une structure de la police judiciaire n'appartenant pas à la Sûreté nationale et requérir une instruction judiciaire. Or, celle-ci n'a été faite que le 3 mars 2010, soit 10 jours après l'assassinat, au cours desquels les éléments de la BRI agissaient sous aucune autorité judiciaire, et ce, en violation des règles élémentaires de la procédure pénale. « En fait toute la théorie de la BRI repose sur une seule et unique thèse, confortée d'ailleurs par un rapport d'autopsie vraiment intriguant. Cette thèse consiste à affirmer que le thorax, les poumons et le cœur sont intacts en précisant qu'une balle extraite du thorax a fait une trajectoire très bizarre. Selon eux, cette balle de calibre 38 semi-blindée à tête creuse, s'ouvrant au premier contact avec la peau, a pénétré la joue gauche, touché l'os orbital, traversé le palais, percuté le larynx, effleuré les vertèbres cervicales et l'omoplate droite en faisant une traînée de fractures, avant de se loger au niveau du thorax. Pourtant, tous les spécialistes de médecine légale savent que dans le corps humain il n'y a pas de ricochet », révèlent nos interlocuteurs, qui s'étonnent du fait que ces mêmes médecins légistes aient remis cette balle extraite du thorax à la police scientifique, alors que ce service n'est pas habilité à la recevoir. « Oultache n' a jamais visé la tête du défunt » Pour la défense de Oultache, tout a été fait pour que la version de deux balles tirées en direction de la tête soit retenue. Une thèse que l'on retrouve d'ailleurs sur le rapport de la BRI. Dans ce document, les officiers de la police judiciaire affirment avoir trouvé, « après une fouille minutieuse », deux balles d'un Smith qu'ils ont prises en photo, précisant que dans le pistolet de Oultache, ils ont récupéré quatre projectiles percutés et non explosés et deux douilles vides correspondant aux balles ayant touché le défunt. Une révélation contradictoire avec les déclarations des témoins qui affirment que Oultache a tiré une seule balle en leur direction. Ce qui donne un décompte de quatre balles tirées, de ce fait il ne peut rester quatre balles dans le barillet mais deux seulement. « Les pseudo-balles retrouvées et présentées à Oultache ont été rejetées par ce dernier parce qu'elles ne lui appartiennent pas. Oultache sait identifier ses munitions. Elles comportent des indices qui ne le trompent pas. Il fallait faire ressortir la thèse des deux balles visant la tête. Or, Oultache est convaincu que le défunt était grièvement blessé et que quelqu'un d'autre a dû l'achever à bout portant, arguant du fait que lui n'a jamais visé la tête mais plutôt le flanc droit, pour l'immobiliser », expliquent les avocats. Selon eux, le rapport de la police judiciaire insiste beaucoup sur le fait que le type d'arme que possédait Oultache (le Smith) n'est pas utilisé au niveau de la Sûreté nationale. Pourtant, dans un procès-verbal de remise des effets personnels de Ali Tounsi à sa famille, il est fait état d'un permis de port d'arme signé en 1999, pour un Smith. Mieux, dans le coffre fort de l' annexe du bureau du défunt, le juge affirme avoir retrouvé sept armes individuelles et leurs munitions, sans décrire le modèle, et trois kalachnikovs, bien référencées. Le jour de la reconstitution des faits, les deux avocats de Oultache affirment avoir été gardés à vue dans une salle d'attente de la réception de la DGSN de 9h30 à 12h45. Un retard que le juge a justifié par le fait que la clé du coffre-fort du bureau du défunt avait disparu et qu'il était obligé de l'ouvrir avec une tronçonneuse. « Le juge a ouvert les scellés en l'absence de l'inculpé et de ses avocats, mais en présence de deux parties civiles, en l'occurrence le chef de la sûreté de wilaya d'Alger et le directeur de l'administration générale (DAG) qui ont déposé plainte contre Oultache pour menaces de mort et coups et blessures volontaires. L'ouverture des scellés était illégale. Lors de la reconstitution, Oultache a joué franc jeu. Il est revenu sur tous les détails, mais tout était fait pour ne pas perturber la thèse déjà retenue par la BRI. Il déclare avoir tiré quatre balles en direction du flanc droit du défunt et qu'il lui en restait deux bloquées dans son barillet. La photo sur laquelle il montre les quatre balles avec les doigts de sa main est d'ailleurs jointes au dossier judiciaire. Mais le juge écrit dans son rapport que l'inculpé a avoué avoir tiré deux balles… » Ce qui constitue, selon les avocats, une « falsification pure et simple » des propos de Oultache. Une plainte auprès du procureur général près la cour d'Alger a d'ailleurs été déposée contre le magistrat le 28 juin dernier. Si elle est acceptée, la chambre d'accusation sera sommée de lui enlever le dossier. Dans le cas contraire, si « le droit n'est pas rétabli dans ce dossier », révèlent les avocats, « Oultache a décidé de ne plus répondre à aucune question d'aucun tribunal, pas même sur son identité et de récuser toute défense, même celle commise d'office ». Une menace qui, dans le cas où elle venait à être exécutée, risque de priver l'opinion publique d'une vérité tant recherchée sur les circonstances d'un assassinat, certes isolé, mais dont les répercussions ne font nullement honneur aux institutions de l'Etat de droit.