Le Soir d'Algérie 24 juillet 2010 Plusieurs familles du bidonville de Diar-El-Kef, au lieudit Sonatro, se retrouvent aujourd'hui dans la rue. Exclues de la récente opération de relogement initiée dans le cadre de l'éradication de l'habitat précaire, ces familles ne savent plus à quel saint se vouer. Rym Nasri – Alger (Le Soir) – La placette Saïd-Touati, ex-La Basetta, dans la commune de Bab-El-Oued, s'est transformée depuis quatre jours en un refuge pour plusieurs familles du bidonville de Diar El-Kef. Ne figurant pas sur la liste des bénéficiaires de la dernière opération de relogement qui a touché leur quartier, et leurs baraques ayant été complètement rasées, ces familles traînent dans la rue depuis une semaine. Pourtant, affirment les concernés, «nous vivons dans ce quartier depuis plus d'une décennie et nous n'avons aucun bien immobilier, ni à Alger, ni ailleurs». Dans une vaste cour, le long de l'enceinte du lycée, des matelas posés sur des tapis en plastique ou à même le sol sont alignés. Des femmes âgées, des jeunes filles et même des enfants y sont installés. Les femmes discutent discrètement, accoudées à des cousins disposés ça et là ou à des couvertures pliées. Epuisées après toute une journée passée en position assise, les plus âgées s'en servent pour s'assoupir un peu. Les hommes, quant à eux, se postent à l'entrée des lieux pour assurer la protection de leurs familles. Native de Bab- El-Oued, Aïcha vit dans ce bidonville avec son mari et leurs 7 enfants depuis 16 ans. Elle relate avec beaucoup d'émotion la mésaventure vécue depuis le début de l'opération de relogement. De Bab- El-Oued à Bab-Ezzouar, à Baraki et à Birtouta et jusqu'aux Eucalyptus, avant le retour au lieu de départ, tel a été leur périple. «Arrivés enfin chez nous, il s'était avéré que nos maisons avaient été déjà démolies», dira-t-elle avec une pointe d'amertume. Et de condamner le «piège des autorités concernées». «On nous a mis à la rue, nos enfants ont été tabassés, et nos affaires et nos meubles, on ne sait plus où ils sont», ajoutera-t-elle. Un groupe de femmes, toutes munies de documents attestant que leurs familles ne possèdent pas de biens immobiliers, ne dissimulaient pas leur colère. «Pourquoi cette injustice ? Nous ne sommes pas des étrangers, nous sommes des Algériens», tonneront- elles. Djamila, mère de 4 enfants et résidant dans ce quartier depuis 13 ans, témoigne «Nous vivons un cauchemar. Mon fils a failli se suicider à cause de cette injustice, et moi j'ai dû abandonner mon poste de travail depuis le début de cette histoire», confie-t-elle. Une autre femme évoque sa situation : «On vit ici depuis 18 ans. Mon mari n'a aucun bien. On n'a ni lot de terrain, ni villa, ni appartement. Et aujourd'hui, à 75 ans, il est contraint de passer la nuit à la mosquée. » Pour sa part, Nila, une veuve de 72 ans, réside dans ce bidonville depuis 18 ans. «On m'accuse d'avoir un haouch au bled. Regarde bien ce document, il prouve que je n'ai aucun bien ni ici à Alger ni au bled», dit-elle. Khalti Fatma est un cas très émouvant. Assise sur un bout de carton, elle était en train de coudre l'ourlet d'une djellaba noire. A 84 ans, cette vieille dame se retrouve dans la rue, sans toit. De temps à autre, elle s'arrêtait de coudre et levait vers le ciel ses mains complètement déformées par l'arthrose, pour prier : «Mon Dieu, tu es l'Unique, le Tout-Puissant ! Répare cette injustice. J'avais un petit chez-moi, une petite baraque qui me protégeait de tout. Pourquoi me jettent-ils à la rue ? Pourquoi me laissent-ils comme ça livrée à moi-même ? Je ne veux qu'une petite chambre pour m'abriter, je n'ai que faire de leurs appartements !» Excédée par cette situation, elle adressait des harangues en direction des agents de police là sur les lieux à surveiller tous les «agissements » des occupants de cette cour. «Eloignez-vous de moi, vous m'étouffez. Allez plus loin, vous m'irritez !», leur lançait-elle. Plus loin, une jeune handicapée moteur et mentale à 100 % gisait sur un matelas à même le sol, et sa mère tentait tant bien que mal de chasser les mouches qui s'agglutinaient. Une mère de 7 enfants au bord du désespoir. Exhibant ses bras parsemés d'hématomes, elle nous a apporté ce douloureux et poignant témoignage : «J'ai été tabassée par la police ce jeudi à la daïra de Bab-El-Oued. Non seulement on nous jette dans la rue, mais en plus, on nous tabasse ! Nous ne revendiquons que notre droit. Un toit pour nous abriter, nous et nos enfants.» Et de ne plus rien dire, avant de s'éloigner pour visiblement dissimuler ses larmes. Encore une autre journée qui s'achève, et toutes ces familles espèrent que les autorités locales se pencheront sérieusement sur leurs cas. R. N. Montrer patte blanche La police surveille de près la placette Saïd-Touati, ex-la Basetta, dans la commune de Bab-El- Oued. C'est là que résident, depuis quatre jours, plusieurs familles recalées par le dernier relogement du bidonville de Diar El Kef. Ainsi, tout étranger accédant à cette cour est soumis à un «interrogatoire ». Même les journalistes sont sommés de répondre à plusieurs questions. Ces mesures sont justifiées par la nécessité de filtrer les entrées afin d'assurer la sécurité des personnes. Des précautions qui gênent les journalistes dans l'exercice de leur mission.