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Moines de Tibhirine : qui a peur de la vérité ?
Publié dans Le Quotidien d'Algérie le 28 - 08 - 2010


Figaro.fr
28/08/2010
Le 8 septembre au cinéma, Des hommes et des dieux, le film événement de Xavier Beauvois, retrace leurs trois dernières années au monastère de Tibhirine. Mais quatorze ans après leur assassinat, on ne sait toujours pas s'ils ont été tués par les islamistes ou par l'armée algérienne. Ouverte en 2004, l'enquête judiciaire progresse.
C'est l'une des pages les plus noires des relations entre la France et l'Algérie. Une page douloureuse, marquée du sceau du sang, qui a du mal à se tourner. Quatorze ans après leur mort, l'enlèvement et l'assassinat des sept moines français du monastère de Tibhirine reste l'un des secrets les mieux gardés de la République. Une histoire où l'atrocité s'ajoute à l'horreur: seules les têtes des sept religieux, dont l'exécution a été officiellement revendiquée par les terroristes islamistes du Groupe islamique armé (GIA), ont été «livrées» par les ravisseurs, jetées au bord d'une route. Une affaire qui mêle secret-défense et soupçons de manipulation. Une affaire d'Etat, car elle a pour toile de fond cinquante années de relations compliquées entre la France et l'Algérie.
Il a fallu attendre treize ans pour que ce dossier sorte de l'ornière, où il était voué à rester. C'est le témoignage d'un général, probablement habité par la mémoire de ces sept hommes de Dieu et l'envie de livrer – enfin – sa part de vérité, qui a relancé l'affaire. François Buchwalter, ancien attaché de Défense à l'ambassade de France à Alger, a été le premier à remettre en cause le scénario officiel dans le cadre de l'enquête judiciaire. Celui de l'assassinat des religieux par le GIA dirigé par Djamel Zitouni. Le 25 juin 2009, dans le bureau du juge d'instruction antiterroriste Marc Trévidic, il a déclaré que les moines de Tibhirine avaient probablement été victimes d'une bavure de l'armée algérienne.
Il a expliqué tenir cette information d'un ami, dont le frère pilotait l'un des deux hélicoptères de l'armée algérienne qui aurait en fait abattu les moines par erreur, lors d'une opération de ratissage dans la région de Blida, en mai 1996. Une effroyable méprise! L'officier français aurait recueilli cette confidence quelques jours après les obsèques des moines, le 2 juin 1996, et aurait rédigé un rapport à sa hiérarchie faisant état de ce scénario politiquement incorrect. « Ce témoignage a constitué un moment clé pour la relance du dossier », souligne Me Patrick Baudouin, avocat des familles des moines assassinés. Un témoignage choc qui a changé la donne. Le président de la République lui-même, Nicolas Sarkozy, a semblé vouloir montrer qu'il fallait solder ce dossier noir: « Je vous dis une chose, je veux la vérité. Les relations entre les grands pays, elles s'établissent sur la vérité et non pas sur le mensonge », a-t-il déclaré à la suite de la confession du général Buchwalter.
Ce témoignage a eu un premier effet concret: la levée du secret-défense. Une centaine de notes ou télex liés à cette affaire, émanant du ministère de l'Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères, ont été remis au juge au cours des derniers mois. « Une moisson par cellaire », remarque d'emblée Me Baudouin. Le «rapport Buchwalter» n'a pas été retrouvé à ce jour. La Commission consultative du secret de la Défense nationale a limité la levée du secret aux documents datés jusqu'au 7 juin 1996, c'est-à-dire peu de temps après les obsèques des moines. Une demande plus large devrait être adressée par le juge dans les prochains mois.
Cependant, les premières notes confidentielles valident d'ores et déjà un élément déterminant. L'armée algérienne a bel et bien mené des opérations militaires massives dans le secteur précis où étaient détenus les moines. Des documents émanant notamment de la Direction du renseignement militaire (DRM) sont ainsi explicites. Un rapport daté du 10 juin 1996 relate: « Le 20 mai, veille de la date présumée de l'assassinat des religieux, une importante offensive a été lancée par l'armée entre Médéa et Berrouaghia, zone où ils (les moines, ndlr) auraient pu être détenus. Cette action pourrait avoir précipité le dénouement du drame en poussant les islamistes à se débarrasser des moines pour ne pas être gênés dans leur fuite. »
Des témoins, totalement inattendus, accréditent ce scénario. Il s'agit de repentis islamistes, dont les récits dormaient depuis de longues années dans le coffre-fort… de Jean-Louis Bruguière, l'ex-patron de la justice antiterroriste, réputé proche du pouvoir et de la DST. Ces auditions enregistrées et filmées ont été recueillies dans le cadre d'une commission rogatoire internationale, mais n'avaient fait l'objet que d'une simple retranscription écrite, très incomplète. Le successeur de Bruguière a ordonné une traduction intégrale, que Le Figaro Magazine a pu consulter. Certains extraits confirment le scénario d'une responsabilité – sinon directe, du moins indirecte – des militaires algériens dans l'exécution des religieux. Un terroriste repenti, Messaoud Saoudi, déclare ainsi: « Les autorités algériennes exerçaient une pression sur la zone où se trouvait Zitouni (le chef du GIA, ndlr) à coups de ratissages et de survols de la région par les hélicoptères. »
Un autre, Fethi Boukabous, ajoute: « La région de Médéa grouillait de militaires.» Y a-t-il eu bavure? Un autre homme, Larbi Benmouloud, un temps détenu par le GIA au même endroit que les moines, explique qu'il a réussi à s'échapper et que les militaires algériens ont immédiatement mené des opérations lourdes : « On m'a alors embarqué dans un hélicoptère et on est allé à Berrouaghia (l'un des lieux de détention présumés des moines, ndlr). On s'est rendu à l'endroit où était le campement des terroristes (…). Et ils (les militaires, ndlr) ont bombardé l'endroit (…). Après, ils se sont mis à ratisser le coin. J'ignore s'ils ont fini par trouver ce qu'ils cherchaient. »
Pour Me Baudouin, ces témoignages sont accablants: « Tout cela montre que l'armée a fait le sacrifice de la vie des moines. » Une chose est sûre: en pilonnant sans relâche le secteur de Zitouni, l'armée algérienne savait qu'elle mettait la vie des moines en danger. Hypothèse la plus dramatique: elle a tué les religieux en bombardant sans discernement les bastions des terroristes. Deuxième hypothèse: les ravisseurs, harcelés par les forces de l'ordre, n'ont eu d'autre choix que de supprimer les otages. La France avait pourtant instamment demandé à l'Algérie de tout faire pour préserver la vie des moines…
Troisième hypothèse, la plus incroyable, celle d'une manipulation des islamistes par les services algériens. Les témoins «oubliés» ont apporté une information essentielle, qui donne du crédit à ce scénario diabolique. Plusieurs repentis attestent de la présence, lors de la captivité des moines, de l'un des personnages les plus troubles du terrorisme algérien, Abderrazak el-Para. Cet ancien officier de l'armée algérienne, qui a déserté et rejoint les maquis islamistes dans les années 1990, est soupçonné d'avoir été en réalité un agent des services de la Sécurité militaire algérienne. L'un des repentis, Fethi Boukabous, témoin de plusieurs opérations de transfert des moines, raconte: « Il y a eu deux 504 bâchées qui ont été utilisées. Ceux qui ont amené les moines, c'étaient Abderrazak el-Para et Abou Loubada. Ils les ont déposés au niveau de la batha de Khemaïs, puis un groupe les a acheminés à l'hôpital. Abderrazak el-Para et Abou Loubada se sont quant à eux rendus chez nous. Ils ont apporté avec eux les passeports (des moines, ndlr) et les jumelles infrarouges. » Abderrazak el-Para, de son vrai nom Amari Saïfi, impliqué dans le rapt de touristes occidentaux début 2003, aurait été arrêté en 2004 et serait actuellement détenu par les Algériens. La justice française pourrait être amenée à solliciter son audition, même s'il paraît peu probable que cela puisse un jour aboutir.
Parmi les notes déclassifiées reçues par le juge Trévidic, un document montre clairement que les services français ont toujours douté de la bonne volonté de leurs homologues algériens dans ce dossier. Le 28 mai 1996, le général Rondot, alors numéro deux de la DST (Direction de la surveillance du territoire), rendu célèbre par l'affaire Clear stream, a résumé sur cinq feuillets les échanges entre la DST et les services algériens à l'époque des faits. S'il reste prudent, le «maître espion» ne cache pas sa déception quant à l'issue de cette affaire et l'efficacité de ses homologues algériens: « On ne peut pas dire que l'apport des services algériens a été déterminant, puisque nos sept moines ont perdu la vie. » Un peu plus loin, il constate que ses collègues algériens n'ont pas fait de zèle particulier : « Dans le cadre de la guerre sanglante que connaît l'Algérie, le sort des sept moines ne semblait pas devoir être considéré par les responsables militaires algériens comme plus important que le sort d'autres. » Et de poursuivre: « Très (trop) longtemps – et pour des raisons d'ordre tactique – Djamel Zitouni et ses groupes ont bénéficié d'une relative tolérance de la part des services algériens. » Malgré les précautions d'usage, cette phrase confirme que les services français s'interrogent sur une possible manipulation du GIA par les services algériens. La note se termine, d'ailleurs, sur une proposition radicale: « La DCE (Direction du contre-espionnage algérien, ndlr) se doit d'éliminer, par tous les moyens, Djamel Zitouni et ses comparses. C'est notre devoir de l'encourager et peut-être même de lui imposer. »
Selon nos informations, le magistrat a fait verser au dossier en mai dernier d'autres documents, qui concernent directement l'ancien espion: les «carnets Rondot» saisis dans le cadre de l'affaire Clearstream. Il s'agit de notes prises par l'officier de renseignements sur les dossiers qu'il suivait. Plusieurs extraits manuscrits, consignés sur des feuilles à carreaux, concernent les moines de Tibhirine. Premier fait troublant : alors qu'aucune enquête judiciaire n'a été menée avant le 10 février 2004 – date à laquelle les parties civiles ont déposé plainte -, les services de renseignement sont, eux, très actifs. Dans l'une de ses notes, datée du 23 décembre 2002, le général Rondot s'interroge ainsi sur le « double jeu de la DRS (les services algériens, ndlr)» et cite un exemple…: l'affaire des moines de Tibhirine. La date n'est pas anodine: cette note est rédigée avant une visite « historique » de Jacques Chirac à Alger, en mars 2003, au cours de laquelle sera scellée l'embellie des relations entre la France et l'Algérie.
Quelques mois plus tard, deux notes démontrent que l'ouverture d'une enquête judiciaire – dans ce contexte de relance des relations économiques et diplomatiques – inquiète les services de renseignement français. Le 10 juin 2004, Rondot écrit: « Procédure Tibhirine : problème posé par le traitement judiciaire. » Six mois plus tôt, le 21 janvier 2004, le militaire fait état d'un déjeuner avec le juge Bruguière, Pierre de Bousquet et Jean- François Clair, respectivement numéros un et deux de la DST. Il préconise: « Encadrer le juge. » En clair, les services français semblent redouter qu'un juge trop curieux ne s'intéresse aux zones d'ombre de cette affaire. Jean-Louis Bruguière ne fera pas preuve d'une grande témérité dans ce dossier…
Ces notes attestent également que le général Rondot a cherché, longtemps après l'enlèvement des moines, à savoir qui avait négocié avec l'Algérie et comment. Cinq ans après la mort des religieux, le 21 janvier 2001, il indique: « Vérifier les transports aériens de Marchiani à partir de Hyères ». Jean-Charles Marchiani, ex-préfet du Var et ancien des services français, avait mené des démarches pour faire libérer les otages. Une démarche qui avait fortement déplu au Premier ministre de l'époque, Alain Juppé. En toile de fond, une guerre interne entre les services de la DST et la DGSE…
Une autre piste apparaît également à la lecture des «carnets Rondot». Les archives du général mentionnent un échange de lettres avec Mgr Jean-Louis Tauran, le secrétaire du Saint-Siège pour les relations avec les Etats, une sorte de ministre des Affaires étrangères du Vatican. Philippe Rondot aurait effectué deux visites à Rome, le 25 janvier et le 16 mars 1999. Quel était l'objet de ces déplacements au Saint-Siège? Que sait réellement le «maître espion» le plus célèbre de France sur ce dossier ? Entendu une première fois par le précédent juge d'instruction, l'ancien «chargé de mission opérationnelle» du contre-espionnage français s'était réfugié derrière le secret-défense. Un secret-défense aujourd'hui partiellement levé. Le général Rondot sera-t-il plus bavard? Il devrait être convoqué une nouvelle fois dans le bureau du juge au cours des prochaines semaines. Peut-être lèvera-t-il cette fois-ci une partie du mystère sur la mort des moines de Tibhirine.


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