Le destin de l'Algérie moderne s'est mis en route avec l'arrivée des frères Barberousse, qui avaient unifié le pays après avoir vaincu les dynasties qui régnaient à l'Est, à l'Ouest et au Centre. Le processus historique s'était enrayé, cependant, pour des raisons que je ne suis pas en mesure d'expliciter, car les janissaires turcs avaient régné sans partage jusqu'à l'arrivée des Français qui les avaient chassés. Pourquoi les autochtones n'avaient-ils pas été en mesure de s'emparer du pouvoir? Pourquoi les Turcs les avaient-ils toujours tenus à l'écart des postes de commandement? Les historiens répondront peut-être un jour à ces questions. L'important pour nous est de savoir que les Algériens ont réellement pris leur destin en main une fois les Turcs partis. Après une période d'accalmie qui va de la défaite d'El-Mokrani à la fin de la première guerre mondiale, l'histoire se remit lentement en marche pour aboutir à la libération du pays, en 1962. Les observateurs internationaux admiratifs s'attendaient à un épanouissement extraordinaire de la nation algérienne dans tous les domaines. C'était, hélas, compter sans le «boumédiénisme», cette forme de gouvernement typiquement algérienne : règne de la force et cooptation des dirigeants, fuite en avant, mépris du peuple et des élites, radicalisme gauchisant… Deux politiciens chevronnés, instruits et modérés, Ferhat Abbas et Benyoucef Benkhedda, qui étaient tous désignés pour diriger le pays, furent balayés par l'irruption violente des jeunes loups qui piaffaient d'impatience dans leurs rangers. Alors que le bon sens dictait l'adoption d'une politique réaliste qui tienne compte des limitations du peuple algérien dans tous les domaines, Ben Bella et surtout Boumédiène se lancèrent dans projets grandioses qui allaient briser tout ce que les Français avaient laissé en bon état de fonctionnement. A la mort de Boumédiène, les Algériens ne savaient plus rien faire. Seuls quelques vieillards continuaient à travailler la terre, tous les jeunes ayant pris les usines et les administrations d'assaut. Ragda we tmangi… Sur le plan politique, la suprématie de l'ANP, avec la SM comme gendarme, fut la marque de fabrique du pouvoir algérien. Le mensonge et la démagogie (les bénéfices distribués aux travailleurs dans des domaines agricoles déficitaires…), le règne de l'arbitraire (la fameuse autorisation de sortie), l'absence totale d'activité politique et syndicale indépendante : voilà quelques unes parmi les caractéristiques de ce pouvoir qui ont encore cours aujourd'hui. Nous vivons sous le boumédiénisme depuis 1962. Allons-nous enfin en sortir? Tout porte à croire que, comme Messali et Ferhat Abbas avaient été dépassés par les jeunes militants de l'OS, la génération de Boumédiène va devoir passer le flambeau. Les deux hommes forts du boumédiénisme de 2010 ont plus de 70 ans. Les lois de la nature feront le travail de nettoyage. Notre pays est donc à l'orée d'une étape importante de son histoire. Ceux qui ont pris le pouvoir par la force en 1962 vont enfin définitivement quitter la scène. Mais que se passera-t-il ensuite? Le pouvoir changera-t-il de nature et de méthodes? Les dauphins sont déjà tous désignés : Ouyahia en est l'un d'eux. Saïd Bouteflika était aussi sur la liste… Ce serait donc le changement dans la continuité, un changement pris en charge par les enfants du sérail, les produits des laboratoires du DRS? Un autre scénario est-il possible? L'Algérie a déjà raté un premier rendez-vous avec le changement, en 1991. Pourquoi? Voilà une question à laquelle il est important de donner les bonnes réponses. Les principaux acteurs du drame qui a suivi le coup d'Etat de janvier 92 continuent de s'accuser mutuellement et de se rejeter la balle, ne se livrant à aucun travail d'autocritique qui puisse aider les nouvelles générations à surmonter leurs divisions. Le FIS aurait pu être un grand mouvement populaire qui aurait propulsé l'Algérie dans le 21ème siècle, si… Si quoi? Si ses dirigeants n'étaient pas animés par un esprit de revanche contre tous les francisants de gauche(hizb frança) qu'ils accusaient (peut-être à raison) d'avoir marginalisé et méprisé les islamistes (on les appelait les Frères Musulmans dans les années 70) dans les campus universitaires pendant plus de deux décennies. C'est cet esprit de revanche qui les avait amenés à proférer des menaces à peine voilées contre tous les tenants du courant «moderniste», les poussant dans le giron des généraux. Si les dirigeants du FIS avaient été des rassembleurs et non des sectaristes, ce parti aurait certainement réussi dans sa mission. «Ali Benhadj a-t-il changé?», tel était le titre d'un article paru sur LQA. On pourrait poser la même question au sujet de Saïd Sadi. La lecture d'un texte d'un militant du MDS (communiste) – Yacine Teguia – paru dans le Soir d'Algérie (http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2010/10/04/article.php?sid=106875&cid=41) ne donne pas beaucoup d'espoir pour ce qui est du parti issu de l'ex-PAGS. Je crois, pour ma part, qu'Ali Benhadj, Said Sadi et Yacine Teguia, ont une vision tronquée de la réalité de la société algérienne. Lorsqu'Ali Benhadj critique les femmes qui travaillent, par exemple, tient-il compte du fait qu'il y a aujourd'hui en Algérie plus de filles que de garçons qui réussissent au bac? D'autre part, Said Sadi se rend-il compte que dans l'Algérie d'aujourd'hui, celui qui ne fait pas la prière et qui ne se rend pas à la mosquée, au moins le vendredi, n'a aucune chance d'être écouté par l'Algérie profonde, fut-il un brillant intellectuel par ailleurs, et que n'importe quel petit imam de quartier a plus d'influence que lui sur la jeunesse? Le changement démocratique qui sortira définitivement l'Algérie de l'ère du boumédiénisme sera l'œuvre des Algériens du juste milieu, ceux qui sont à l'image de Ferhat Abbas et Benyoucef Benkhedda, des musulmans sincères ayant une culture moderne et d'authentiques démocrates. (Oui, nous devons reprendre la bonne route là où nous l'avons quittée en 62 pour prendre des chemins de traverse qui nous ont menés là où nous attendaient tous les bourreaux et tortionnaires assoiffés de sang). Il y en a beaucoup sur ce site. Je citerai pour l'exemple ceux que je connais bien à travers leurs prises de position sur LQA : Salah-Eddine Sidhoum, Mohammed Jabara et Ahmed Si Mozrag. Oui, l'Algérie pourra être au rendez-vous de l'histoire en 2011, pour peu que la raison prenne le dessus sur la colère et l'esprit vindicatif. L'Algérie de 2010 n'est pas celle de 1962. Le peuple algérien est passé au travers de beaucoup d'épreuves terribles, que peu de peuple dans le monde ont subies. Il est en principe vacciné contre toutes les formes de despotisme (Ali Benhadj version 1991 était malheureusement un deuxième Boumédiène). Il est temps pour lui de s'engager résolument dans la voie du consensus librement élaboré. Toutes les Algériennes et tous les Algériens méritent de vivre libres et heureux dans ce beau pays qui est le nôtre. Toutes celles et tous ceux qui vivent en exil n'attendent que le signal pour boucler leurs valises et rentrer au pays afin de participer à la construction de cette patrie fraternelle dont nous rêvons tous, mais qui continue à se refuser à nous… Cordialement