Un ministre de la Communication qui tire sur la télévision. Une direction sous pression. D'anciens responsables remerciés. Et un pouvoir qui donne soudainement la parole à la population. Mais que se passe-t-il à l'Unique ? El Watan Week-end a enquêté. Bienvenue dans le monde merveilleux de la télévision où tous les coups sont permis… ACTE 1. La réunion Jeudi 16 septembre au siège de l'ENTV. L'état-major de la télévision se retrouve dans la grande salle de réunion du 5e étage. Durant 4 heures, Nacer Mehal, ministre de la Communication, expose les nouvelles orientations en matière d'information décidées par le Président. En clair, on ouvre l'antenne à la critique mais dans les limites du supportable et de l'acceptable. Autorisation est donnée de taper sur les lampistes, sans s'en prendre aux décideurs, tout en contrôlant au plus près toute forme de dérapage. Oui à l'ouverture, mais à doses homéopathiques ! Cela n'a toutefois pas échappé aux téléspectateurs qui ont vu, pour la première fois, des journalistes critiquer ouvertement à l'antenne la charte pour la réconciliation nationale ou encore des manifestants s'en prendre au système à l'occasion de la commémoration du 5 Octobre. Pourquoi maintenant ? Quelle interprétation peut-on faire de ce soudain intérêt du Président pour les programmes de la télévision et à sa volonté d'ouverture ? Cette ouverture va-t-elle donner lieu à une nouvelle bataille de clans entre le Président et les services ? L'hypothèse : si c'est vraiment le Président qui est derrière cette décision d'ouverture, c'est pour pouvoir, par exemple, se défendre face aux affaires de corruption qui touchent ses ministres ousa présidence Selon un cadre de l'entreprise, «toutes ces conjectures sont des délires de journalistes. Le Président avait d'autres problèmes plus urgents à régler. C'est pourquoi il ne s'est pas intéressé à la télévision. Cette ouverture peut aussi être annonciatrice d'une volonté d'ouverture du champ médiatique. C'est pour cela que l'ENTV doit vite se réformer. C'est sa survie qui est en jeu, si demain d'autres chaînes de télé venaient à voir le jour.» ACTE 2. Le ministre de la Communication dézingue les responsables Pour faire comprendre aux Algériens que le Président n'apprécie pas les programmes de la télévision, le ministre de la Communication va s'en prendre à ses responsables. «L'heure est aux réformes. Il est d'une nécessité impérieuse d'insuffler un nouvel élan qualitatif afin d'améliorer les prestations de la télévision en y associant tous les acteurs, qu'ils soient à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entreprise.» Critiquant la grille des programmes pu bliquement et sommant la direction de l'ENTV d'entreprendre, au plus vite, les réformes nécessaires, le ministre va déclencher un véritable cataclysme au niveau de la télé et se mettre à dos une bonne partie de ses cadres dirigeants, qui ne comprennent toujours pas pourquoi ils ont été jetés en pâture à l'opinion. «C'est bien facile de critiquer l'ENTV. Le ministre actuel a été directeur de l'APS pendant dix ans, ce n'est pas pour autant que l'agence est devenue Reuters, souligne un cadre. Les réformes demandent du temps. Et puis pourquoi ne s'attaquer qu'à l'ENTV et pas aux autres médias qui dépendent de son département ? Le ministre de la Communication est-il devenu uniquement le ministre de la Télévision ?» Les déclarations de Nacer Mehal ont créé un véritable malaise. Cette situation est sans précédent dans l'histoire des rapports entre les dirigeants de l'entreprise et leur ministre de tutelle. C'est la première fois que les désaccords apparaissent au grand jour. Pour autant, l'entreprise a déjà connu, dans un passé récent, des passes d'armes d'une très grande violence entre Khalida Toumi, alors ministre de la Communication, et Hamraoui Habib Chawki, ou encore celle entre El Hachemi Djiar en charge de la Communication avec HHC. A chaque fois, c'est le Président qui sifflait la fin des hostilités en changeant d'affectation le ministre. ACTE 3. Opération nettoyage L'ancienne équipe dirigeante aurait laissé 200 milliards de dette derrière elle. C'est le chiffre effarant qui circule dans les couloirs de l'entreprise. Une somme qu'auraient découvert les services financiers de l'entreprise en épluchant les factures. «Les dettes que l'ENTV doit payer s'élèvent à 200 milliards. 80 milliards ont déjà été remboursés, explique-t-on au service financier. Il faut maintenant trouver 120 milliards. On compte sur la générosité du gouvernement pour nous aider à régler cette dette», m'affirme-t-on. Cette somme serait due à l'opacité dans laquelle l'ancienne équipe dirigeante travaillait. A la direction des finances, on se tient le ventre de peur de voir arriver de nouvelles factures à honorer. Cette somme est contestée par un membre de l'ancienne direction. Il s'insurge contre cette folle rumeur et se demande pourquoi on balance ce genre d'allégations alors qu'il est toujours employé par l'entreprise et qu'aucun grief ne lui a été reproché. «Il y a toujours eu des dettes à l'ENTV. Mais jamais une telle somme. Et quand on parle de dettes, il faut aussi parler des créances. A mon sens, elles couvraient largement les dettes. De plus, le DG était membre du conseil d'administration de l'ENTV depuis des années. Il était destinataire des rapports du commissaire aux comptes. Si une telle dette existait, il l'aurait su bien avant son arrivée.» A la cantine, les employés de l'ENTV se racontent entre eux une histoire… vraie. Celle d'un producteur qui a gagné 220 millions de dinars (22 milliards) en huit ans, sans jamais avoir une idée. Il produit des concepts qui lui sont proposés par d'autres et il empoche la mise. Bienvenue dans le monde magique de la production télévisuelle où, sous le règne de HHC, les surfacturations auraient été nombreuses, où les budgets auraient explosé et où les grosses productions se seraient négociées de gré à gré dans le bureau de la direction, sans le passage par la case commission. 105 producteurs sont répertoriés dans le fichier de la direction de la production. «On voit de tout dans ce milieu, constate un dirigeant. Il y a des producteurs qui ont tout juste un numéro de fax et ceux dont les maisons de production sont situées dans les quartiers chics d'Alger.» La nouvelle direction de la télévision essaie de moraliser la profession en mettant en place des nouvelles méthodes de travail et une plus grande rigueur dans la négociation des devis. L'exemple d'«Alhane oua chabab» est édifiant. L'ENTV a payé 12 milliards cette nouvelle édition au lieu des 30 milliards les années précédentes, soit 20 milliards d'économie. Pour l'heure, à la direction de la production, on prépare déjà la grille du Ramadhan. L'enjeu est de taille et l'équipe dirigeante de l'ENTV sait pertinemment que si elle loupe ce rendez-vous, des têtes vont encore tomber. ACTE 4. Petits règlements de compte entre amis Dans les couloirs de l'ENTV, il se murmure que certains ministres auraient été plus favorisés que d'autres par l'ancienne direction de l'information. Les activités ministérielles de Ould Abbès, Tayeb Louh ou El Hadi Khaldi auraient bénéficié d'une plus grande couverture médiatique de la part de la télévision. «C'est vrai qu'on voyait beaucoup plus certains ministres, alors que leurs activités ne nécessitaient pas d'en faire un sujet pour le 20 heures.» Une accusation immédiatement réfutée par un membre de l'ancienne direction de l'information. «On n'a jamais favorisé quiconque. Les archives sont là pour le prouver.» Entre une ouverture qu'il faut mettre en pratique et un ministre de tutelle qui maintient la pression, la direction de l'information ne sait plus où donner de la tête. «C'est une situation stressante où on doit travailler avec une énorme pression, témoigne un journaliste. On nous demande de tout réussir en un même temps : l'ouverture et le professionnalisme. Le tout en un temps record. Ce n'est pas facile.» Résultat : dans les couloirs, les tensions sont perceptibles. D'autant que les visites inopinées de Nacer Mehal-du jamais vu à l'époque de HHC – ajoutent une pression supplémentaire. n