Même si l'approvisionnement en pain a été bien géré pendant l'Aïd -avec 60% de boulangers ouverts- la crise n'est pas terminée. Et les boulangers menacent. Si le gouvernement n'entend pas leurs revendications, il faudra se préparer à manger autre chose avec la chetitha… A en croire le président de l'Union nationale des boulangers, Youcef Kalfat, contacté hier : «Il n'y a pas eu de pénurie de pain durant cet Aïd, contrairement à ce qui s'était passé lors de l'Aïd El Fitr, parce que nous avons prévu des sanctions strictes contre les contrevenants et établi des listes de permanence précises pour chaque commune.»D'après l'Union nationale des boulangers, 60% en moyenne des boulangers ont ouvert le jour de Aïd, avec plusieurs variations selon les wilayas : 50% à Alger, 80% à Constantine, 65% à Oran, 80% à Laghouat, etc. «Sans compter les épiceries qui vendent aussi du pain», précise M. Kalfat. Autant de bons points, selon l'Union nationale des boulangers, pour appuyer les doléances des artisans du pain qui ont atterri sur le bureau du ministre du Commerce. «Nous espérons des réponses de la part du ministère avant la fin de l'année», a confié Youcef Kalfat. Car au-delà de la psychose de la pénurie du pain durant les fêtes religieuses et les accusations contre les boulangers, ces derniers se sentent constamment lésés : «On ne pense à nous que pendant les fêtes, nous sommes accusés à chaque fois d'être à l'origine de la pénurie, mais personne ne s'intéresse à nos problèmes pendant le reste de l'année», nous ont déclaré des boulangers algérois. Selon eux, seule une réorganisation du métier ainsi que la satisfaction de leurs doléances pourraient éviter le scénario d'une grave crise du pain, comme celle du lait en ce moment…, annoncée pour les prochains jours. Si vous ne comprenez toujours pas pourquoi vous ne trouvez pas de pain certains jours, voici un résumé de leurs revendications. Des primes spéciales durant les fêtes religieuses Pendant les fêtes, les raisons du manque de pain sont simples d'après les boulangers interrogés : «Les ouvriers qui s'occupent de la préparation le pain rentrent chez eux, la plupart viennent des wilayas de l'intérieur du pays. L'Aïd est l'occasion pour retrouver leur famille.» Et la situation financière difficile des boulangeries, telle que exprimée en juin dernier à travers leur Union nationale, ne leur permet pas d'instaurer «un régime d'indemnisation» adéquat, à savoir une prime pour les ouvriers acceptant de travailler pendant les fêtes. La suppression des impôts Les boulangers demandent à ce qu'ils soient exonérés d'impôts au même titre que les artisans, affranchis à vie par la loi de finances 2010. «Nous, aussi, nous sommes concernés ! Que le ministère des Finances pense à nous !», nous avait déclaré Youcef Kalafat, président de l'Union nationale des boulangers, à El Watan Week-end en juin dernier. Et de poursuivre : «Les impôts ont doublé en deux ans !» D'autant que certains boulangers se plaignent du double traitement des autorités les concernant : «Les jeunes, dans le cadre des formules de l'aide à l'emploi, ouvrent des boulangeries et profitent à notre détriment, en plus des avantages fiscaux, les banques leur accordent des financements aménagés et sans intérêt pour l'achat du matériel, c'est une concurrence déloyale», s'indignent-ils. La révision du prix du pain Depuis 1996, les pouvoirs publics ont instauré le prix référentiel de la baguette du pain, selon le contexte économique de l'époque. Seulement, les prix des matières premières ont augmenté. S'il est admis pour le commun des Algériens que le prix du pain est subventionné, ce n'est pas le cas pour les boulangers : «C'est faux, on trompe l'opinion publique avec cette explication. L'Etat subventionne le prix de la farine. Mais ce que l'Etat n'arrive pas à assimiler, c'est que le pain n'est pas fait seulement avec de la farine. Il faut ajouter la levure et l'améliorant, notamment. Pour que l'on perde moins d'argent, pourquoi ne pas aussi les subventionner ?» Selon les statistiques de l'ONS, le prix de l'huile a depuis des années augmenté sensiblement. Idem pour la levure et l'améliorant importés généralement de l'étranger. L'Union des boulangers plaide pour l'installation d'une commission ministérielle d'expertise pour évaluer la situation des boulangers. Une fourniture régulière en matières premières Vu que l'Etat subventionne le prix de la farine, les boulangers sont soumis à un régime de quota, donc la production du pain suit un rythme dépendant de la quantité disponible de la farine et de la semoule. «Sinon, nous baissons notre production, ce qui engendre des pertes énormes, en attendant la livraison. Pendant les fêtes notamment, la livraison se fait tard, donc nous sommes obligés de fermer boutique», explique un boulanger de Dar El Beïda. Des indemnisations pour les coupures d'électricité Même si la corporation demande un dinar de plus dans le prix du pain pour couvrir les frais d'électricité, cela ne couvrira pas les pertes engendrées par les coupures. «Il n'est plus question de subir des pertes comme celles de l'année dernière évaluées, pour un boulanger, à plus de 7000 DA pour une coupure d'électricité d'une heure», déplore le président de l'Union des boulangers. Même si un accord entre Sonelgaz et l'Union a été conclu, il n'est honoré que dans trois wilayas : Alger, Tipasa et Boumerdès, selon l'Union. Ce sont donc surtout les boulangers des wilayas de l'intérieur qui sont pénalisés. Une formation adéquate pour les ouvriers Le niveau de nos boulangers, comme l'atteste cette quatrième place obtenue au dernier concours international des boulangers, est de niveau international, et ce, malgré l'absence de formation spécialisée dans les métiers du pain. L'Union semble trouver une solution : «Nous avons conclu un accord avec une entreprise française de production de levure chimique. Nous nous sommes engagés à consommer uniquement son produit, et en contrepartie, nous avons réussi à la convaincre d'installer des centres de formation pour les boulangers en activité», a révélé M. Kalafat. Cependant, cet accord est récusé par certains boulangers : «Nous ne pouvons pas accepter cet accord même s'il reste bénéfique pour nous, car quelques initiés seulement en profitent. C'est à l'Etat de prendre en charge ce volet.» Zouheir Aït Mouhoub