Yassin Temlali, Maghreb Emergent, 27 décembre 2010 La Tunisie des bonnes notes et des excellents classements des institutions internationales est secouée par une vague de contestation sociale venant de l'arrière-pays. Loin de la « Tunisie utile », les jeunes chômeurs, souvent diplômés, se rappellent au bon souvenir du gouvernement qui agite la carotte et le bâton contre ceux qu'il accuse de « ternir » l'image du pays. Pour le neuvième jour consécutif, les affrontements se sont poursuivis samedi entre la population et les forces de sécurité tunisiennes dans le gouvernorat de Sidi Bouzid (Centre-ouest de la Tunisie), rapportent plusieurs sources, dont El Djazira. Citant des syndicalistes tunisiens, la chaîne panarabe a précisé que des affrontements avaient été enregistrés à d'El Riqab et El Meknassi après avoir embrasé ces derniers jours le chef-lieu du gouvernorat et des petites localités proches comme Menzel Bouziane et El Mezzouna. Les heurts entre les manifestants, d'un côté, et la police anti-émeute et la garde nationale (gendarmerie), de l'autre, ne se sont pas arrêtés depuis le 17 décembre, lorsqu'un jeune vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi, a tenté de s'immoler par le feu devant le siège du gouvernorat pour protester contre la saisie de sa marchandise. Le 24 décembre, à Menzel Bouziane, ils ont fait un mort, un jeune de 18 ans, Mohamed Ammari, tué par balle, ainsi que plusieurs blessés. Les manifestants s'en prennent aux symboles de l'autorité publique, comme les sièges des communes et les commissariats de police, sans épargner les représentations du parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Loin de la « Tunisie utile » L'acte de désespoir de Mohamed Bouazizi a attisé la colère populaire, notamment celle des jeunes chômeurs – dont beaucoup sont des diplômés de l'université – dans cette région agraire de l'intérieur. Il a ramené à la surface les problèmes de développement dans l'arrière-pays tunisien qui ne fait pas partie de ce que l'opposition appelle la « Tunisie utile », ouverte au tourisme et à l'investissement national et étranger. A l'opinion internationale qui, souvent se représente la Tunisie, comme une paisible carte postale, il a rappelé des émeutes similaires qu'avaient connues, début 2008, le bassin minier de Gafsa (Ouest) et qui avaient été durement réprimées. Soutien des syndicalistes Un rassemblement de soutien à la population de Sidi Bouzid a été organisé hier samedi à Tunis par des forces syndicales et politiques devant le siège de l'Union générale des travailleurs de Tunisie (UGTT). Il a été dispersé par la police. Des sit-in de soutien s'étaient tenus la veille à Paris et à Londres, initiés par les mouvements de l'opposition actifs dans l'émigration. Avec une direction sensible aux pressions gouvernementales mais aussi à celles de sa base radicalisée, l'UGTT a appuyé de façon mesurée les revendications des populations de Sidi Bouzid, portant principalement sur l'amélioration de l'accès à l'emploi. Dans une déclaration de son bureau exécutif rendue publique il y a quelques jours, elle a appelé à régler la question du chômage « suivant une démarche équitable et juste », et ce, afin de se prémunir contre « le sentiment d'injustice pouvant donner lieu à des réactions spontanées et à des tragédies sociales ». Employant un langage tempéré sinon euphémique, elle a mis en garde contre « les solutions sécuritaires ». « Des tentatives de ternir l'image du pays » Par la voix de Mohamed El Nouri El Jouini, ministre du Développement et de la Coopération internationale cité par El Djazira, le gouvernement tunisien a reconnu la « légitimité » des revendications des manifestants mais a dénoncé ce qu'il a appelé leur « exploitation » par l'opposition. Pour tenter de calmer la contestation, les autorités ont annoncé le 23 décembre le déblocage de 15 millions de dinars (7,8 millions d'euros) destinés à financer un premier lot de 3 projets de développement à Sidi Bouzid. Elles ont également précisé qu'un avis favorable avait été accordé à 306 microprojets proposés au financement public par de jeunes chômeurs. Il n'est pas inutile de noter que depuis quelques jours, les « projets de développement dans les régions de l'intérieur » font constamment la Une du site Internet de l'agence Tunisie Afrique Presse (TAP, gouvernementale). Le parti au pouvoir, le RCD, tente de mobiliser ses troupes contre ces protestations populaires qui menacent de s'étendre après le retour des élèves des vacances d'hiver. Son secrétaire général Mohamed Ghariani a ainsi tenu le 24 décembre un meeting à Sid Bouzid au cours duquel il a dénoncé les « tentatives de ternir l'image de la Tunisie ». Il ne s'est pas privé de mettre l'accent sur « la mutation qualitative dans tous les domaines » qu'a connu, selon lui, Sidi Bouzid « à l'instar des différents gouvernorats du pays, notamment les gouvernorats de l'intérieur ».