Mercredi, Zine Ben Ali annonçait qu'il serait candidat à sa propre succession à l'élection présidentielle qui se tiendra en Tunisie l'an prochain. Elu, l'héritier de Bourguiba rempilerait ainsi pour un cinquième mandat de cinq ans. Lors de sa visite, fin avril, Nicolas Sarkozy avait officiellement estimé que « l'espace des libertés progresse » dans le pays que Ben Ali dirige depuis 1987. A l'époque, les habitants de la région de Gafsa, à 400 kilomètres au sud-ouest de Tunis, postaient pourtant ces images sur Dailymotion. (Voir la vidéo sur Dailymotion) Trois mois plus tard, militants des droits de l'homme et opposants politiques n'ont pas décoléré contre le président français, accusé d'avoir « fait l'autruche ». Pendant ce temps, les affrontements entre population et forces de l'ordre ont dégénéré dans le bassin minier de Gafsa. Au point que le régime lui-même a fini par infléchir sa position, par crainte de la contagion. Invité par le PS aux rencontres des jeunes socialistes européens, Sahbi Smara était de passage à Paris cet été. Président des Jeunes socialistes démocrates en Tunisie, le militant de 28 ans a raconté à Rue89 combien la situation s'est dégradée dans la région de Gafsa, depuis le passage de Nicolas Sarkozy. Dans la région minière, un tiers de la population est au chômage. Parmi eux, de très nombreux jeunes, qu'on appelle sur place les « diplômés chômeurs ». Sahbi Smara est l'un des fondateurs de leur mouvement à l'échelle nationale et dénombre « entre 150 et 200 000 diplômés chômeurs en Tunisie ». Diplômés chômeurs insurgés et contagion dans la population Ce sont eux qui s'opposent au pouvoir, depuis début janvier. Sur place, le journaliste Wicem Souissi chroniquait déjà pour Rue89 leur bras de fer, mi-avril. A l'époque, la région frontalière de l'Algérie connaissait grèves de la faim et manifestations: la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), seul gros employeur local, était accusée d'avoir truqué le recrutement pour les rares postes à pourvoir dans la région. Cette contestation a dégénéré, révèle Sahbi Smara: « Alors que la Tunisie compte 150 à 200 000 diplômés-chômeurs, le régime a réprimé violemment la révolte et tué des jeunes dans cette région. Un premier est mort le 6 mai, électrocuté alors que plusieurs grévistes occupaient une centrale électrique. Délibérément, le pouvoir local a rallumé l'électricité, le tuant sur le coup. » Un mois après le départ de Nicolas Sarkozy, le soutien de la population aux diplômés chômeurs avait carrément viré à la fronde générale, les femmes de la région menaçant de quitter la zone encerclée par la police pour fuir en Algérie dans un climat hautement tendu. Le journaliste Omar Mestiri, pilier de la défense des droits de l'homme en Tunisie, parle même de « soutien historique » de la population à un mouvement réprimé par les forces de l'ordre: Mais, alors que les femmes du bassin minier renonçaient à fuir vers l'Algérie début mai, la situation s'est encore dégradée le 7 juin. Sahbi Smara poursuit son récit: « La police a tiré à balles réelles sur une manifestation, tuant un jeune de 23 ans, et blessant encore 23 personnes. Le régime répond par la force pour camoufler la crise économique mais la misère et la corruption sont énormes sur place. J'ai récemment appris qu'un troisième jeune avait été tué depuis. » Répression et accusations de coup d'Etat Depuis, la police locale a arrêté plusieurs leaders du mouvement, poursuivis notamment pour tentative de coup d'Etat ou « déstabilisation de l'ordre républicain ». Leur procès a démarré le 22 juin, sauf pour ceux qui sont en fuite. Sahbi Smara n'a pas réussi pénétrer dans l'enceinte du tribunal pendant le procès: « Impossible, j'ai été bloqué, comme d'ailleurs les familles des prisonniers, qui ont été empêchées d'assister à l'audience, pourtant publique en théorie. J'en ai alors profité pour rencontrer les familles, qui n'avaient aucune nouvelle des jeunes arrêtés depuis plusieurs semaines. » Omar Mestiri, lui, a réussi à se glisser à l'audience, où il a pu assister à un procès qu'il estime « historique ». Evénement rarissime, la Cour a en effet désavoué l'enquête policière et prononcé des peines « plutôt clémentes pour la Tunisie répressive d'aujourd'hui », explique Omar Mestiri à Rue89: Depuis la mi-juillet, le pouvoir commence cependant à infléchir sa position. Pour la première fois, le chef d'état tunisien a évoqué publiquement les troubles dans cette région d'où sont partis la plupart des grands mouvements de contestation dans le pays depuis l'indépendance. Pour calmer le jeu, Ben Ali a promis un ensemble de mesures censées développer économiquement cette région plombée par la crise économique et sociale. Le président tunisien a reconnu, chose exceptionnelle, la corruption qui avait entouré la dernière campagne de recrutement par la Compagnie des phosphates. Double discours? Sur le terrain, les militants des droits de l'homme rappellent que la répression policière n'en reste pas moins intensive.