Concernant la question du placement des avoirs de Sonatrach à l'étranger, il semble que les enquêteurs du DRS aient encore du pain sur la planche. Lorsqu'en mai 2010, au plus fort du scandale financier qui avait éclaboussé son secteur, l'ex-ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, s'est empressé d'annoncer à la presse avec un large sourire le montant du gain réalisé par Sonatrach sur un placement d'un milliard de dollars effectué en 2003 chez Russell, un fonds d'investissement américain, il était pratiquement certain de détenir l'argument imparable à opposer à tous ceux qui l'accusaient jusque-là d'avoir bradé le pétrole algérien. Grâce à lui, l'Algérie venait en effet d'engranger la coquette somme de 600 millions de dollars sans que les pouvoirs publics soient amenés à débourser le moindre copeck. Sur le coup, il faut bien avouer que ses nombreux détracteurs se sont retrouvés dans leurs petits souliers. Devant une telle «prouesse», il était pour le moins difficile pour le plus téméraire d'entre eux d'oser continuer à défier ouvertement l'ancien fonctionnaire du FMI. Pourtant, il s'avérera avec le temps que le prédécesseur de Youssef Yousfi – qui aujourd'hui passe son temps à faire la navette entre Washington, Paris et Alger, des capitales où il possède de luxueux pied-à-terre – aurait pu faire gagner au Trésor algérien le double, au moins, de ce qu'a rapporté le placement de Sonatrach. En réalité, Chakib Khelil a omis de dire aux journalistes invités ce jour-là à sa conférence de presse qu'avant d'atterrir dans les caisses de Russell Investments, l'argent de Sonatrach a d'abord transité par Rayan Asset Management, une société de conseil en investissement basée à Dubaï gérée par Ziad Dalloul et Farid Bedjaoui. Ce dernier n'est autre que le petit neveu de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, dont le nom a été plusieurs fois cité dans le scandale de l'autoroute Est-Ouest. Dans le très select milieu d'affaires émirati, Rayan Asset Management est considérée comme une sorte de représentante de Russell au Moyen-Orient puisque les deux sociétés sont liées par un accord de partenariat. Accord qui est d'ailleurs toujours en vigueur. Pour la petite histoire, Farid Bedjaoui et son associé ont fondé leur société 6 mois seulement à peine avant que Sonatrach ne décide de placer une partie de ses avoirs dans des fonds d'investissement. Etait-il vraiment nécessaire que les fonds de Sonatrach destinés à être placés à l'étranger – qui s'élèvent en réalité à 3 milliards de dollars et non pas à 1 milliard de dollars comme l'affirme M. Khelil – fassent escale par Rayan Asset Management ? Certainement pas. Le dernier des courtiers sait mieux que quiconque que plus on multiplie les intermédiaires, plus on perd de l'argent. Pourtant c'est ce que fera Chakib Khelil. Rayan Asset Management décroche le gros lot Pour quelle raison ? Quelle que soit la réponse, des sources financières bien au fait du «dossier Sonatrach-Russell» affirment que la boîte gérée par Farid Bedjaoui a pu engranger, grâce à la décision pour le moins inattendue du premier responsable du secteur de l'Energie de l'époque, plusieurs centaines de millions de dollars. Rayan Asset Management aura ainsi réussi le pari difficile de gagner le gros lot en moins d'une année d'existence. Une performance difficile à réaliser surtout dans une période marquée par la crise financière internationale et une raréfaction des capitaux sur le marché international ! Comment cela a-t-il été possible ? L'astuce est assez rodée : pour tout le monde, le placement de l'argent confié à Russell devait rapporter 4% d'intérêt. Maintenant que les langues commencent à se délier, il ressort que Rayan Asset Management qui a «hérité», dans un premier temps, de l'argent de Sonatrach a, en réalité, convenu d'autre chose avec Russell Investments. Dans les faits, les avoirs de Sonatrach seront placés dans le fonds américain sur la base d'un taux d'intérêt de 11%. Inutile de sortir d'une grande école de commerce nord-américaine pour comprendre que la différence est allée tout droit dans les poches de M. Bedjaoui et de son associé. Mieux encore, Rayan Asset Management a gagné dans l'histoire bien plus d'argent que Sonatrach à laquelle appartenaient pourtant les fonds placés. Chakib Khelil, qui a été miraculeusement épargné dans le scandale des marchés de gré et à gré qui a ébranlé toute la haute hiérarchie de Sonatrach, a-t-il profité aussi de l'argent ramassé par «Rayan» ? C'est bien évidemment à la justice de le déterminer si jamais elle décide d'ouvrir le dossier des placements de Sonatrach à l'étranger. Mais en attendant et dans le cas précis du dossier Russell-Sonatrach, des experts du système bancaire algérien soutiennent mordicus que l'opération n'aurait pas pu être menée sans l'aval tacite du ministre des Finances de l'époque, à savoir Abdelatif Benachenhou, du PDG de la Banque extérieure d'Algérie (BEA) – qui est connue pour être la banque de Sonatrach – et du PDG de la Banque nationale d'Algérie (BNA) qui se trouve être en même temps l'un des principaux décideurs de la Banque algérienne du commerce extérieur (BACE). Cette banque, dont le siège se trouve à Zurich en Suisse, est détenue à 50% par la BNA. Et c'est justement la BACE qui s'est chargée de transférer en plusieurs tranches, pour le compte de la BEA, les 3 milliards de dollars de Sonatrach dans les caisses Rayan Asset Management. Cela, bien sûr, avant que ceux-ci n'atterrissent, en fin de parcours, chez Russells investments. Le silence assourdissant des banques En tout cas, la responsabilité de tout ce beau monde, affirment nos sources, pourrait de facto être engagée dans le mesure où aucun d'entre eux n'a jugé utile de tirer la sonnette d'alarme et d'attirer l'attention des hautes autorités du pays sur l'usage fait des deniers publics et surtout sur le parcours inhabituel suivi par l'argent de Sonatrach. A l'époque des faits, le PDG de la BEA, c'était Mohamed Loukal, celui de la BNA était Seghir Benbouzid. La BACE, quant à elle, était dirigée par Baba Ahmed. Avant de gagner Zurich en 2003, celui-ci était à la fois consultant et conseiller de M. Benachenhou. Seghir Benbouzid, PDG de la BNA, a eu aussi à évoluer ces 7 dernières années avec deux casquettes au moins. Ainsi, il a souvent cumulé le poste de PDG de la BNA et celui de président du conseil d'administration (PCA) de la BACE. Ce qui n'est pas illégal en soi. Cela pourrait l'être moins dans le cas où il se confirme effectivement, comme l'annoncent certaines sources bien informées, que M. Benbouzid a été nommé DG de la BACE tout en ayant la possibilité de garder son poste de PCA de la BNA et de PCA de la BACE. Une telle situation serait bien évidemment considérée comme inédite dans les annales bancaires algériennes. Baba Ahmed a eu aussi à faire la «navette» entre le poste de DG de la BACE et celui de PCA de la même «boîte». Des sources affirment qu'il lui est même arrivé de dépasser la durée de son mandat. Ce qui n'est pas normal aussi. La réglementation veut, en effet, qu'au bout de 5 ans, les responsables soient invités à découvrir de nouveaux horizons. Ce qui n'a pas été le cas ni pour l'un ni pour l'autre des patrons de la BNA et de la BACE. Entre tous les responsables nommés ces dernières années à la tête des établissements bancaires publics, Seghir Benbouzid et Baba Ahmed sont ceux qui, probablement, affichent la plus grande longévité dans leurs postes respectifs. Cette situation a d'ailleurs contribué à éveiller les soupçons et à amener les mauvaises langues à soutenir l'idée que «ceux qui les ont maintenus à leur place, durant tout ce temps, ont forcément quelque chose à cacher». A signaler que notre tentative de joindre le DG de la BACE pour connaître sa version des faits s'est avérée vaine. L'administration de la BACE, dont le siège est basé en Suisse, nous a appris le 9 février 2010 que «Baba Ahmed n'était plus DG de la banque et que le nouveau patron de la BACE n'a pas encore pris ses fonctions». A la question de savoir qui avait été désigné comme le successeur de Baba Ahmed, notre interlocutrice a refusé poliment, mais fermement tout de même, d'en dire plus. Elle n'a pas non plus voulu dire ce qu'était devenu Baba Ahmed. Le nom du nouveau DG de la BACE relève-t-il d'un secret d'Etat ? Si c'est le cas, pour quelle raison ? Autant de questions qui demeurent à ce jour sans réponse. Autant dire aussi qu'il est plus facile de «toucher» la présidence de la République ou le ministère de la Défense que de joindre un responsable de la BNA. Au-delà et concernant particulièrement la question des placements des avoirs de Sonatrach à l'étranger, il semble que les enquêteurs du DRS aient encore du pain sur la planche. Surtout que certaines indiscrétions disent qu'il y en a eu plusieurs. Zine Cherfaoui Lectures: