Mohamed Chafik Mesbah, Alger le 19 mars 2008: Voici, à titre confidentiel, copie de l'épilogue par lequel je veux clore mon ouvrage « Problématique Algérie ». Je souhaite recueillir critiques et observations pour apporter les correctifs nécessaires, le cas échéant. Abdelkrim Badjadja, Abu Dhabi le 3 Avril 2008 : Merci de votre confiance, et après lecture attentive de votre texte, je soumets à votre appréciation quelques remarques du point de vue de l'historien : 1- Votre contribution ne prend pas en compte le contexte historique qui pourrait expliquer la situation de l'Algérie d'aujourd'hui. 2- Vous concentrez vos analyses sur le régime Bouteflika, sans tenter de l'expliquer par des circonstances historiques. 3- Qui est Bouteflika ? D'où sort-il et que représente-t-il ? Etait-il chef incontestable d'un parti politique quelconque porteur d'un projet politique, et se présentant comme alternative au système en place ? A-t-il été réclamé à corps et à cris par la population, ou du moins par une partie significative du peuple, ou de la société civile ? 4- En réalité, il a été fait appel à Bouteflika par ceux-là même qui avaient « invité » Mohamed Boudiaf d'un gabarit, et d'une légitimité historique, autrement plus imposants que ceux dont pouvait se prévaloir l'actuel président. 5- De fait, l'un et l'autre avaient été sollicités pour jouer le « rôle » qui leur avait été désigné avec feuille de route à la clé. 6- Boudiaf, pour avoir voulu s'écarter de cette feuille de route, en se fixant comme objectif d'éliminer la maffia politico-financière, après avoir circonscrit le FIS dans des conditions peu légales et pas du tout démocratiques, seul objectif assigné par sa feuille de route, a fini sa carrière politique et sa vie tout court, assassiné ! 7- Bouteflika joue au chat et à la souris avec ceux qui l'avaient commandité pour améliorer l'image de marque de l'Algérie à l'Etranger, seul objectif de sa feuille de route. Il tente d'aller plus loin, ce que vous avez démontré dans votre contribution. 8- Vous parlez des élections de 1999, et de celles de 2004, comme s'il s'agissait de vraies élections, en attribuant à Bouteflika des qualités de stratège en éliminant « habilement » ses adversaires ! Hors, l'historien-archiviste que je suis, se demande s'il y a eu de vraies élections en Algérie depuis…1947 ? Nous, Algériens, ne connaissons le terme d' « Elections » qu'à travers le concept de « Trafic électoral ». Nous attendons toujours l'heure de passer de l'adjectif « électoral » au substantif « Elections ». 9- Tout un chacun se rend bien compte, même dans sa vie quotidienne, que l'Algérie est dotée de deux pouvoirs : - Un pouvoir de façade qui comprend toutes les institutions de l'Etat, à commencer par la Présidence , mais sans l'Institution militaire ; ce pouvoir se voit confier la gestion de l'Etat dans les limites qui lui sont fixées par le deuxième pouvoir … - Le vrai pouvoir que détient toujours l'Institution militaire, avec à sa tête la Sécurité militaire, appelée aujourd'hui le DRS. 10- Comment expliquer historiquement ce bicéphalisme, cette dualité de pouvoir, ou plus exactement cette inféodation du pouvoir civil au pouvoir militaire, qui fait des institutions légales du pays une façade, taillable et corvéable à merci –Allah Yarham Mohamed Boudiaf qui en a fait les frais ? 11- Il faudrait revenir au soubassement de ce pouvoir militaire prépondérant qui remonte à la glorieuse guerre de libération, et plus exactement à la date de l'assassinat de Abane Radane- Allah Yarhamou pour avoir été le premier à l'affronter. 12- Abane voulait la prépondérance du Politique sur le Militaire, et il avait raison, l'inverse signifiant l'instauration d'une dictature. Il a été assassiné pour ce motif, et depuis cette date le pouvoir militaire s'est imposé, en démontrant que si nécessaire il sera fait usage de la force pour maintenir la primauté du militaire sur le politique. 13- Revenons au concept de « Façade civile » au service du « Pouvoir Militaire » qui prévaut aujourd'hui : 14- Cette mise en scène remonte au 19 septembre 1958 avec la désignation du premier GPRA avec à sa tête Ferhat Abbas, Allah Yarhamou. De quelle force politique, et surtout militaire, pouvait se prévaloir Ferhat Abbas pour s'imposer, ou plutôt pour être imposé, comme Président d'une Algérie en guerre ? 15- Même question à poser au sujet de son successeur, Ben Youssef Benkhedda, Allah Yarhamou ? 16- Voilà où se trouve la clé pour comprendre cette dualité de pouvoir en Algérie, l'un civil, apparent, et impuissant face à l'autre militaire superpuissant qui se place dans une confortable et anonyme arrière scène qui lui permet de tout contrôler, de tirer toutes les ficelles, sans avoir à assumer les échecs des Civils qu'il place et déplace au gré des circonstances. 17- Voilà donc comment expliquer les appels aux civils, dont Ben Bella, Boudiaf et Bouteflika, et l'impuissance des militaires désignés, Chadli, Kafi, et Zeroual qui ne faisaient pas vraiment partie du cercle restreint des décideurs. Seule note discordante : Boumediene, Allah Yarhamou, qui portait les deux casquettes, après le coup d'état militaire du 19 juin 1965. 18- Même au sein du pouvoir militaire, un noyau dur a fini par se détacher pour se placer au dessus de ce que vous appelez les « Corps de Bataille », et se placer au dessus de tout ce qui bouge en Algérie, tout en restant dans l'ombre : la Sécurité militaire, répondant actuellement au vocable DRS, que vous appelez « Services de renseignements ». Un chef de parti politique, avec lequel pourtant je partage peu d'opinions, a eu une formule lumineuse qui résume bien la situation : « Tout se passe en Algérie comme s'il n'y avait qu'un seul parti politique, le DRS ! ». 19- Oui, un pays a besoin d'un service de renseignements, mais pour le protéger, pas pour l'étouffer ! 20- Le DRS a à sa tête le même responsable depuis …1990, soit depuis 18 ans. Entre-temps l'Algérie a connu cinq chefs d'Etat, une douzaine de chefs de gouvernement au moins, des ministres, DG, wali, etc…par centaines, et malheureusement 200.000 Algériens tués par d'autres Algériens, 7.000 Algériens enlevés par les Services de Sécurité, et disparus depuis, quel euphémisme ! 21- Alors, pourquoi cet individu qui a démontré à la planète Terre qu'il est dans l'incapacité de mettre un terme à la violence, des morts encore et toujours, les massacres collectifs en moins, pourquoi cet individu est-il toujours en place ? Pourquoi, même l'Armée, les « Corps de Bataille », tolère-elle la suprématie de ce demi dieu ? 22- L'Algérie ne pourra vraiment se redresser et évoluer que lorsqu'il sera mis un terme définitif à cette mise en scène : un faux pouvoir qui exécute la politique ou la non-politique définie par le vrai pouvoir confortablement installé dans les coulisses. 23- S'il y des modifications à introduire dans la Constitution , elles devraient porter sur : - L'affirmation de la primauté du politique sur le militaire, l'armée devant se placer sous les ordres des Institutions civiles légitimes, et non l'inverse ; - L'interdiction de toute forme de police politique, et en particulier interdiction d'immixtion de l'autorité militaire dans la vie des citoyens, sous quelque prétexte que ce soit, la justice civile étant seule habilitée à mettre en œuvre les dispositions de la loi. - Réhabiliter le Parlement dans son rôle de contrôle de l'Exécutif et non l'inverse. - Affirmer le principe de l'alternance démocratique, et dans ce cadre prohiber toute prolongation de mandat au-delà de deux mandats, cela à tous les niveaux. - Proclamer l'Amazigh langue nationale et officielle, afin de mettre un terme à un déni de culture, en encourageant son enseignement à travers toute l'Algérie pour qu'elle ne soit plus cantonnée, ou « squattée », au niveau d'une seule région. - Instaurer un mode de gestion locale, voire régionale, afin que l'administration centrale ne s'occupe plus que de la réglementation. Etc… Mohamed Chafik Mesbah, Alger le 7 avril 2008 : 1. J'ai bien reçu vos remarques et vous remercie d'avoir pris la peine de parcourir mon écrit et de le critiquer. 2. Vous devez vous en douter. Si je partage nombre de vos préventions sur le fonctionnement de l'institution sécuritaire, je suis loin de vous emboîter le pas pour toutes vos conclusions. Je connais l'institution de l'intérieur ce qui me permet d'établir un constat plus nuancé. Abdelkrim Badjadja, Abu Dhabi le 9 avril 2008: Vous avez connu l'institution militaire de l'intérieur, plus exactement le DRS, et moi aussi. Mais nous n'étions pas du même coté de la barrière: vous en étiez membre, connaissant de près le coté jardin; j'en ai été victime en vivant un temps de ma vie, qui fut interminable, dans un cachot de la sécurité militaire. De quoi étais-je réellement coupable? « De ne pas avoir su profiter de ton poste », je cite mot pour mot l'un des officiers de la SM. J'avais découvert un monde souterrain: Dieu le tout puissant règne au ciel, et la sécurité militaire plane sur l'Algérie, au dessus des lois et règlements, s'autorisant à piétiner toute légalité avec un profond mépris pour le peuple et pour l'ensemble de ses institutions, y compris du reste l'institution militaire. J'ai vu ce même officier insulter vulgairement un officier de gendarmerie qui avait eu l'outrecuidance de jeter un oeil dans le fourgon où je me trouvais menotté avec cinq autres personnes. Depuis ces malheureux évènements, je parle de la période 1986-1987, il y a eu d'autres tragédies qui comptabilisent à l'heure actuelle 200.000 morts au moins, tous de mort tragique, assassinés. L'Algérie n'étant pas en guerre contre un pays quelconque, l'on ne peut même pas évoquer des crimes de guerre pour qualifier ces assassinats à grande échelle. Donc l'on ne peut que les classer comme crimes contre l'Humanité, commis de 1992 à ce jour, avec toujours la SM comme première institution responsable de la sécurité du peuple algérien. Le même responsable est toujours à la tête de la SM depuis 1990. Faudra-t-il attendre de compter un million de morts pour conclure que cet individu est totalement incompétent pour assurer la sécurité de quiconque? Alors de quel « constat plus nuancé » parlez-vous? Rares ceux qui, comme vous je n'en doute pas, n'ont pas trempé dans ces eaux boueuses, ou plutôt rouges du sang de victimes innocentes de tout délit, l'écrasante majorité étant composée de civils appartenant aux couches les plus défavorisées de la population. L'Algérie ne pourra entreprendre le travail d'un deuil national douloureux que le jour où il sera mis fin, non pas seulement aux fonctions de cet individu, mais aussi à la police politique qui a fait irruption dans l'Histoire de l'Algérie avec l'assassinat de Abane Ramdane. Quant aux criminels qui sévissent encore dans nos djebels, le peuple, une fois libéré des entraves et inhibitions de toutes sortes, se chargera alors de les éliminer impitoyablement. Rendez-vous devant l'Histoire. La vérité, sanglante, finira bien par éclater un jour. Mohamed Chafik Mesbah, Alger le 10 avril 2008 : 1. J'ai bien lu, naturellement, votre essai autobiographique. J'ai compris que vous aviez connu les services par « le mauvais côté ». 2. Les services ce n'est pas un corps monolithique. A S…. qui reprochait à ces services de « ne pas être capables de produire des Andropov », j'avais répondu, par voie de presse, que son jugement venait de ce que, malheureusement, il n'avait fréquenté que « la piétaille dans ces services » (en tant qu'objet d'enquête sous le parti unique et en tant que « mokhazni » avec le multipartisme). 3. Je m'efforce d'examiner les choses sereinement. En laissant aux vestiaires les passions et les rancœurs. J'analyse, de l'intérieur, l'institution ce qui permet disposer d'un champ de vision plus fiable et plus proche de la réalité. 4. L'objectif, fondamental, pour l'élite du pays, c'est d'abattre les services, d'assouvir des vengeances personnelles ou de contribuer à instaurer la démocratie ? Si l'objectif est bien d'instaurer la démocratie, les services sont, désormais, sans réelle force pour étouffer le processus. Abdelkrim Badjadja, Abu Dhabi le 13 avril 2008: J'avais bien inscrit mon intervention dans le champ de l'histoire récente de l'Algérie, et non sur le plan personnel visant une quelconque vengeance, ce qui est tout à fait hors de propos. Nous parlons Histoire, et toute contribution historique qui ferait l'impasse de ces dernières cinquante années, du système inique qui en a résulté, entraînant la mort tragique de 200.000 algériens, la disparition de 7.000 personnes, un flou total pour les perspectives d'avenir poussant notre jeunesse vers deux horizons: Harraga ou Kamikaze, une pauvreté qui s'élargit chaque jour en dépit d'un matelas devises de 110 milliards de Dollars US, dont 45% mis en réserve aux USA, sous prétexte d'investissement, alors qu'il s'agit bel et bien d'une belle rente mise en réserve pour les vrais décideurs…toute contribution donc qui ne prendrait pas en compte ces éléments vérifiables dans nos cimetières, et palpables dans nos rues, passerait à coté de l'Histoire: rien vu, rien entendu, rien lu, donc rien à dire. C'est vraiment mon dernier mot, mes convictions les plus intimes, cela dépasse ma personne, c'est un constat historique tout simplement. Suites des correspondances après la publication de trois articles dans le journal Le Monde : Le Monde.fr, Chronique d'abonnés, Décembre 2008: « UTOPIA » Made in Algeria, par Abdelkrim BADJADJA, Consultant en Archivistique (1)http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2008/12/16/utopia-made-in-algeria-1_1131128_3232.html (2)http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2008/12/18/utopia-made-in-algeria-2_1132026_3232.html (3)http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2008/12/18/utopia-made-in-algeria-3_1132452_3232.html Mohamed Chafik Mesbah, Alger le 17 décembre 2008 : Je suis frappé que d'aussi loin ou tu te trouves, tu perçois avec autant de vigilance l'évolution des choses en notre pays. Il manque un détail pour crédibiliser encore plus ton récit qui est loin d'être de la fiction. La »société réelle » est encadrée par le courant islamiste radical parfaitement implanté dans les quartiers populaires. L'issue du scénario que tu décris dépendra de la nature et de la qualité de l'élite qui est à la tête de ce courant, si tant est que élite il y a. Abdelkrim Badjadja, Abu Dhabi le 17 décembre 2008: Le texte publié n'en est qu'à ses débuts. Nous pourrions en reparler lorsque l'ensemble du récit sera publié. Mohamed Chafik Mesbah, Alger le 18 décembre 2008: Volontiers. J'ajoute juste un commentaire. Que « Le Monde » précautionneux pour tout ce qui touche à l'Algérie publie ton récit après l'adresse du Général Benyelles est révélateur de l'état d'esprit prévalant en France à propos de la situation en notre pays. Abdelkrim Badjadja, Abu Dhabi le 18 décembre 2008: Cet état d'esprit n'est pas nouveau, il me semble remonter au moins à …1830! La suite et la fin ne concernent pas que l'Algérie, mais la France aussi, et d'autres pays… Abdelkrim Badjadja Consultant en Archivistique http://badjadja.e-monsite.com/ Lectures: